Axel Freed est un professeur de
littérature qui a un vice : le jeu. Un vice qui lui fait perdre tout son
argent, sa petite amie et l'affection de ses proches. Une descente aux
enfers qui ne l'empêche pourtant pas de continuer à dépenser son argent
aux tables de jeux...
Karel Reisz signe son premier film américain avec
The Gambler, transposition moderne façon polar urbain du
Joueur
de Dostoïevski. C'est ce dernier aspect qui semble faire le lien avec
la filmographie anglaise de Karel Reisz alors qu'à première vue ce cadre
semble bien éloigné de son univers. Bien au contraire, l'addiction au
jeu du héros autobiographique de Dostoïevski (puisque l'auteur était
dévoré lui-même par le même démon du jeu) rejoint totalement les
thématiques du réalisateur. Les héros de Karel Reisz sont tous des
obsessionnels névrosés en quête d'un absolu les faisant fuir leur
mal-être, leur environnement oppressant. Le plus marquant reste
l'ouvrier incarné par un Albert Finney s'étourdissant en beuveries pour
oublier sa condition sociale dans
Saturday Night and Sunday Morning (1960), bientôt suivi par David Warner amoureux acharné dans le survolté
Morgan (1966) et une Vanessa Regrave tout entière consacrée à son art de la danse dans
Isadora
(1968) flamboyant biopic d'Isadora Duncan. Le Nick Nolte traumatisé par
la guerre du Vietnam suivrait également dans le précurseur
Les Guerriers de l'enfer (1978).
Le
film s'ouvre sur une frénésie de notre héros Axel Freed (James Caan)
qui se met dans un terrible pétrin dans une salle de jeu clandestine ou
ne sachant s'arrêter malgré les avertissements il contracte une dette de
44 000 dollars. L'ensemble de l'intrigue le verra tenter de rattraper
ce dérapage tout en essayant de réfréner ses pulsions de jeu. James Caan
est toujours excellent lorsqu'il s'agit de dévoiler la fragilité de
personnages qui en apparence en impose (le Sonny Corleone du
Parrain, le cambrioleur du
Solitaire)
et son prestation intense ne fait pas exception ici.
Réfléchi et
mélancolique après ses errements (les multiples inserts où il se revoit
pariant), pris de folie mais lucide sur les risques encourus (ces mêmes
inserts teintant de regrets ses actes lorsqu'il repense à ceux l'ayant
aidés sa mère notamment) le personnage possède un vrai charme et une
détermination qui le rendent attachant, fragile et font comprendre cette
force de conviction qui l'enfonce en fait face au bookmaker conciliant
ou aux amis trop compréhensifs qu'il tape. On a ainsi une relation
mère/fils fort bien illustrée par Reisz avec une Jacqueline Brookes
poignante en mère dépassée et la romance entre Caan et Lauren Hutton
parait faussement superficielle au départ pour prendre un tour tout
aussi fort et intime.
Sans surligner à l'excès, le scénario de
James Toback lance quelques pistes passionnantes quant à la nature du
vice d'Axel. Les scènes de cours (il est prof de littérature) nous
éclairent à travers ses choix de lecture avec une allusion directe à
Dostoïevski et sa notion du 2+2 = 5. Cette idée exprime complètement le
fonctionnement du danger recherché par le joueur (ou l'artiste, le
sportif comme il est suggéré) qui pense un court instant surmonter la
logique naturelle des choses et la transcender dans par sa prise de
risque. C'est cette adrénaline qui est recherchée par le parieur
compulsif, la défaite est indispensable au plaisir des rares victoires et le gain n'a finalement que peu d'importance (la scène où il défie de jeunes basketteurs).
Caan dans sa fuite en avant semble constamment rechercher cela, prenant
des risques insensés alors qu'il est renfloué, défiant la chance à
l'excès lorsqu'elle lui sourit enfin. Autre point intéressant, le carcan
de son milieu juif respectable, nanti et étouffant semble provoquer ce
besoin de liberté pour Freed tel cette scène où il flambe la somme
qu'il devait rembourser après les remontrances de son oncle sur sa
petite amie Lauren Hutton. Finalement, notre héros ne se sent vivant
qu'à la table de jeu, quoi qu'il lui en coûte.
Reisz qui avait si bien su filmer les milieux populaires dans son
Saturday Night and Sunday Morning
est tout aussi inspiré capturer cette urbanité new yorkaise, ses salles
de jeux enfumées (hormis une escapade plus prestigieuse à Las Vegas) ou
son ghetto noirs hostile à la fin. On baigne dans une atmosphère de
polar même s'il n'y a pas de réelle intrigue policière notamment avec un
joyeux casting de trognes connues tel Paul Sorvino en ami bookmaker ou
un mémorable Burt Young en homme de main rappelant virilement leurs
dettes aux mauvais payeurs. La déchéance est totale pour notre héros qui
n'y réchappera finalement qu'au prix de son âme, la seule chose à
parier restant finalement sa vie dans un tragique final suintant la
haine de soi. Un grand Karel Reisz.
Sorti en dvd zone 1 chez Paramount et doté de sous-titres anglais ainsi que d'une vf
Extrait
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