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lundi 13 mai 2013

Hommage à Ray Harryhausen (1920 - 2013)

Peter Jackson, Steven Spielberg, Joe Dante, la liste est longue lorsqu’il s’agit d’énumérer les vocations nées des démons et merveilles issus de l’imagination de Ray Harryhausen. Le destin du maître fut d’ailleurs lui-même scellé par un autre magicien de la pellicule après la vision à treize ans du mythique King Kong (Merian C. Cooper & Ernest B. Schoedsack, 1933). Déjà passionné par la mythologie et ses créatures, ce sont en effet les extraordinaires trucages du grand Willis O’Brien et le bestiaire fantastique déployé lors des séquences sur l’île qui ont fait naître la curiosité de Ray Harryhausen pour les effets spéciaux. 

Ray Harryhausen passe son adolescence à s’initier à la sculpture de monstres préhistoriques et mythologiques en pâte à modeler puis réalise un premier rêve en montrant son travail à Willis O’Brien. Ce dernier le félicite et lui recommande de suivre les cours d’anatomie du Los Angeles City College. C’est là que Harryhausen apprend à donner une touche réaliste aux proportions et à la morphologie de ses créations les plus extravagantes, ce qui le démarque des autres adeptes de la stop motion aux effets plus grossiers. Cette technique, basée sur l’animation d’objet image par image intégrée aux prises de vue réelles, sera poussée par Harryhausen à un degré de maîtrise et de poésie inégalés. 

Remarqué par le spécialiste des effets spéciaux George Pal (futur producteur-réalisateur de classiques SF des années 1950 tels que La Guerre des mondes, réalisé par Byron Haskin en 1953), il est engagé par celui-ci sur la série Puppettoons (1932-1947). Plus tard, il officie sur un programme de contes de fées destiné au milieu éducatif. Ces longues années d’apprentissage lui permettent de perfectionner son art et de se constituer une belle carte de visite. La première consécration et marque de reconnaissance intervient en 1947 lorsque son idole Willis O’Brien l’engage comme assistant sur Mighty Joe Young (Ernest B. Schoedsack), trépidante variation enfantine de King Kong. La santé fragile d'O’Brien l’amène à déléguer largement son travail et Harryhausen assure notamment l’essentiel de l’animation du gorille. 

Après cet essai réussi, Harryhausen est prêt à voler de ses propres ailes et à quitter le giron d’un O’Brien sur le déclin et qui ne parvient plus à financer ses projets. Il est notamment sollicité pour les effets spéciaux du Monstre des temps perdus d'Eugène Lourié en 1953 où il perfectionne à nouveau sa technique d’animation image par image. Le moment déterminant de sa carrière restera la rencontre avec le jeune producteur Charles H. Schneer avec qui il s’associera durant vingt-cinq ans. 

Leur collaboration est idéale, Schneer laissant toute latitude artistique à Harryhausen sur le choix des projets tout en le plaçant dans les meilleures conditions en termes de production. Le duo se conforme tout d’abord aux modes propres aux années 1950 avec Le Monstre vient de la mer (Robert Gordon, 1955) et Les Soucoupes volantes attaquent (Fred F. Sears, 1956), respectivement monster’s movie et film de SF. Des productions pas forcément réussies (notamment Les Soucoupes volantes, probablement en raison du peu d’attrait d'Harryhausen pour la SF trop sérieuse et réaliste) mais qui permettent à Harryhausen d’affiner sa technique.

Les choses sérieuses peuvent enfin commencer lorsque les deux hommes s’installent à Londres, leur association devenant un véritable label du cinéma fantastique et d’aventures patronné par la Columbia. Leur patte est immédiatement identifiable dans la mesure où ils sont tous deux inspirés par la mythologie, la Préhistoire, Les Mille et une nuits mais aussi les romans d’anticipation du XIXe de Jules Verne, H. G. Wells ou encore Jonathan Swift. Leur première vraie réussite intervient en 1957 avec À des millions de kilomètres de la Terre, réalisé par Nathan Juran. Récit des dégâts dus à l’arrivée sur Terre d’un extra-terrestre aux proportions de plus en plus gigantesques, le film offre son lot de péripéties spectaculaires. On y trouve une certaine forme d’humanisme naïf entre la nature finalement peu belliqueuse de la bête dont le métabolisme est perturbé par l’atmosphère terrestre et les affrontements titanesques avec l’armée qui le pourchassent.

L’année suivante sort Le Septième voyage de Sinbad, un de leurs chefs-d’œuvre. Pas forcément aussi sombre et cruel que le récit des Mille et une nuits qu’il adapte, le film développe un envoûtant et luxuriant monde oriental de conte. Parfois bien mal servi par les réalisateurs devant mettre en images ses créations, Harryhausen trouve sur ce film un collaborateur de choix en la personne de l’excellent et efficace Nathan Juran qui officiera sur ses œuvres les plus réussies. La preuve éclatante en étant la mythique séquence où le héros affronte un squelette animé en stop motion avec une fluidité époustouflante.

Le Septième voyage de Sinbad fut un immense succès au box office et lance définitivement les productions Harryhausen/Schneer. Pour l’anecdote, le film a engendré un quasi clone trois ans plus tard avec Jack le tueur de géant. Le producteur Edward Small (qui rata le coche en refusant de produire Sinbad) tente de reproduire la formule à succès avec ce film et engage pour cela le même réalisateur, le même héros (Kerwin Mathews) et le même méchant joué par Torin Thatcher à nouveau dans un rôle de sorcier. Ne manque que Harryhausen aux effets spéciaux mais cet avatar est également une belle réussite.

 Pour Harryhausen et Schneer, c’est désormais l’exploitation d’un nouvel univers dépaysant à chaque film qui a cours avec les excellents Les Voyage de Gulliver (Jack Sher, 1960) et L’Île mystérieuse (Cy Endfield, 1961) respectivement adaptés de Jonathan Swift et Jules Verne. En 1963, Harryhausen délivre son œuvre la plus populaire avec le fabuleux Jason et les Argonautes (Don Chaffey, 1963). Monument du péplum et du film d’aventures, le cadre mythologique (avec un récit original respecté à quelques détails près, ce qui ne fut pas le cas de toutes les adaptations) offre un écrin idéal à Harryhausen qui déploie un festival de morceaux de bravoure inoubliables. 

L’arrivée du géant de bronze Talos, Poséidon surgissant des mers, le combat avec l’hydre à sept têtes sont autant de séquences mémorables qui marquent durablement le jeune public de l’époque. Sans parler du fameux combat contre les squelettes, rondement mené à tel point qu'il vient conclure le film alors que Jason n’a pas encore achevé sa quête et reconquis son royaume !

Le succès colossal de Jason enhardit le duo qui ose le récit steampunk (terme définissant la SF rétro souvent située dans l’Angleterre victorienne imprégnée par la révolution industrielle) avec Les Premiers hommes dans la lune (Nathan Juran, 1964) adapté de H. G. Wells. Très fidèle au livre, hormis un prologue trop contemporain, c’est sans aucun doute la plus belle réussite de Harryhausen.

 Le scénario respecte parfaitement les préoccupations humanistes de Wells tandis que les images déploient des paysages lunaires à la fois réalistes et extravagants, influençant sans doute Kubrick pour son 2001 (1968) tant les similitudes pullulent. Échec retentissant, le film signe pour un temps la fin de leur collaboration. Harryhausen commettra en effet une infidélité envers son partenaire en supervisant l’amusant Un million d’années avant J.C. (Don Chaffey, 1966) où son défilé de créatures préhistoriques a fort à faire avec l’autre effet spécial du film, Raquel Welch en peau de bête.

Schneer et Harryhausen se retrouvent en 1969 pour La Vallée de Gwangi (Jim O'Connolly), mais il semble que le succès les ait quittés. Ils passent les années 1970 à tenter de retrouver la formule magique de leurs premières productions, mais ne réussissent qu’à ressasser le passé en moins bien avec deux nouveaux Sinbad, Le Voyage fantastique de Sinbad (Gordon Hessler, 1974) et Sinbad et l’œil du tigre (Sam Wanamaker, 1977). Il faut dire qu’à l’époque, le public s’est trouvé de nouveaux dieux de l’entertainement plus jeunes et modernes en les personnes de Lucas et Spielberg.

 À côté de la fougue juvénile et de l'inventivité d’un Star Wars ou d'un Indiana Jones, la naïveté d’un Harryhausen semble bien désuète. Un constat qui se confirme avec le chant du cygne que constitue Le Choc des Titans (Desmond Davis, 1981). Si les créations de Harryhausen sont toujours aussi flamboyantes (Pégase, la Méduse, le Kraken), la réalisation gériatrique de Desmond Davis, les tentatives de modernité embarrassantes (la chouette mécanique faisant écho à R2-D2) et l’interprétation transparente (Harry Hamlin fait un bien piètre héros) rendent le film difficilement regardable aujourd’hui.

Depuis, malgré de nombreux projets non aboutis, Harryhausen s'était retiré et se contentait de recevoir diverses distinctions, tel un Oscar pour l'ensemble de son œuvre en 1991. L’avènement des effets numériques au début des années 1990 signa définitivement le glas d’un retour aux affaires. Cependant, la stop motion qu’il porta à son plus haut degré d’expression survit toujours aujourd’hui, à travers notamment les œuvres du Studio Aardman (Wallace et Gromit, créés par Nick Park ; Chicken Run - Nick Park et Peter Lord, 2000) ou les films d’Henry Selick (L’Étrange Noël de Monsieur Jack, 1993 ; Coraline, 2009).

Influence majeure des grands créateurs d’effets spéciaux récents comme Phil Tippett (Starship Troopers - Paul Verhoeven, 1997), c’est sans doute chez Peter Jackson ou Guillermo del Toro que Harryhausen trouve ses plus dignes successeurs actuels. Ces deux-là auront tout comme lui su associer la légère touche d’imperfection, de poésie et de rêve censée définir le trucage cinéma. Grâce à eux, quelque chose de l'esprit d'un des plus grands illusionnistes de l'histoire du cinéma subsistera toujours, tout comme ses merveilleux films ayant fait rêver des générations de spectateurs émerveillés.

2 commentaires:

  1. Merci pour ce joli hommage... Ahhhhh, le combat contre les squelettes, terreur délicieuse de mon enfance !! quelle poésie dans ces animations... qui nous emmènent parfois bien plus loin que la 3D et le numérique !

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  2. Et oui moi aussi toute mon enfance les démons et merveilleille de Ray Harryhausen. 92 ans une bien belle vie tout de même !

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