Un vendredi après-midi, trois hommes
débarquent dans une petite ville américaine: Harper, Chapman et Hill.
Ces trois personnages sont là pour attaquer la banque, le samedi à midi,
heure de la fermeture. Leur venue, et ce jour sanglant, vont faire
tomber les masques et révéler le lourd passé de certains habitants de la
cité.
Fleischer signe un des polars les plus brillants et singulier des années 50 avec cet excellent Violent Saturday.
Le film constitue un mélange inédit entre polar (et plus précisément
ici film de casse) et le mélodrame tel qu'il se pratique au cours de
cette décennie. Ce croisement des genres opère de façon symbolique dès
la séquence d'ouverture et la vision de cette exploitation minière qui
en plus de nous confronter à la réalité économique de la ville exprime
la bascule inattendue qui aura cours durant le récit avec cette
tonitruante explosion dans laquelle s'inscrit en couleur vive le titre.
Deux trames narratives vont par la suite évoluer en parallèle avant de
se rejoindre dans la dernière partie. D'abord celle attendue à savoir
l'intrigue criminelle qui voit trois malfrats arriver le vendredi dans
la petite ville de Bradenville pour attaquer sa banque le lendemain à
l'heure de la fermeture. Chaque truand est dépeint de manière
schématique le réduisant à son rôle dans cette entreprise criminelle et
caractérisé avec brio par Fleischer en quelques vignettes, que ce soit
le cerveau Stephen McNally (séduisant et amical monsieur tout le monde à
la conversation facile), J. Carrol Naish le vieux de la vieille
flegmatique et la brute épaisse Lee Marvin dont la violence contenue et
l'anxiété se devinant à l'inhalateur qui ne le quitte pas est palpable
d'emblée.
C'est ensuite un récit choral qui se développe où l'on
suivre diverses destinée individuelles plus ou moins fouillées parmi
différents habitant de la ville : un père de famille (Victor Mature)
perdant du crédit aux yeux de son fils car il n'est pas un héros de
guerre, un riche héritier (Richard Egan) alcoolique et dépressif à cause
de sa épouse infidèle (Margaret Hayes), un directeur de banque
libidineux (Tommy Noonan) reluquant d'un peu trop près la jolie
infirmière locale (Virginia Leith) ou encore une employée de
bibliothèque endettée (Sylvia Sydney).
La manière d'évoquer les
problèmes des uns et des autres dans une sorte d'envers du décor
contredisant la forme attrayant (cinémascope, technicolor) nous place
plus dans une tradition de mélodrame provincial alors très en vogue
durant les années 50. On pense à Douglas Sirk évidemment mais aussi à
des films tel que Comme un torrent (1958) de Vincente Minnelli ou Peyton Place
(1957) de Mark Robson dans cette volonté de montrer les noirs secrets
se dissimulant sous la belle imagerie americana.
Le scénario de Sydney
Boehm (déjà responsable de façon moins poussée de ce mélange des genres
avec ses scripts de La Rue de la mort (Anthony Mann, 1950) et Règlements de comptes
(Fritz Lang, 1953)) nous rend ainsi les destinées de chacun palpable au
lieu de victimes collatérales entraperçues lors du hold-up, on aura de
vrais personnages qu'on aura vu exister et dont le sort nous concerne.
Cela se ressentira particulièrement pour le rôle pourtant secondaire de
Sylvia Sydney dont le désespoir est d'autant plus fort par rapport à ce
que l'on sait d'elle lorsque Lee Marvin lui arrache négligemment la
liasse de billet qu'elle vient déposer. La fatalité du film noir se
laisse déborder par le côté soap opera du mélodrame dans un tout
harmonieux, comme si l'horlogerie suisse peu à peu défaillante de L'Ultime Razzia (pour citer un autre grand film de casse se mélangeait au gout du rebondissement improbable du Secret Magnifique.
Fleischer
gère parfaitement ces va et vient dans sa mise en scène. Le découpage
est minime pour au contraire exploiter les possibilités du cinémascope
et le réalisateur usera notamment de cette largeur du cadre pour
exprimer par l'image ces sentiments contrastés. Un plan de la scène du
restaurant montre ainsi dans au sein de la même image différents
personnages aux pensées bien éloignées : Lee Marvin et son acolyte
installé discutant du coup en vue, le banquier regardant d'un œil
concupiscent l'infirmière dansant amoureusement sur la piste avec un
Richard Egan ivre mort dans un flirt étrange.
Ce sera aussi l'occasion
de laisser un peu plus exister les gangsters lors d'une discussion
nocturne où Lee Marvin se confie à Stephen McNally, Fleischer les
accompagnants en plan fixe le temps de cet échange sans découpage (les
gros plans étant rares voire absents du film). L'enferment et la
destinée tragique inéluctable s'exprime également par cette approche
subtile et symbolique (les barreaux d'escaliers dissimulant le couple
Fairchild lorsqu'ils se réconcilient, la colline bouchant l'horizon
lorsque le banquier traverse la rue) et la bascule vers la violence se
fera dans un plan lourd de menace où Lee Marvin s'avance avec
détermination depuis le centre de l'écran.
L'évolution "héroïque" de
Richard Mature tout comme les croyances ébranlées des amish (très bon
Ernest Borgnine dans un petit rôle de patriarche) est plus attendue mais
est l'occasion d'une scène d'action mémorable qui annonce la violence
rurale du Peckinpah des Chiens de Paille.
Déroulant avec autant de brio la mécanique du polar que les chemins de
traverse du mélo, un grand film surprenant et captivant.
Sorti en dvd zone 2 français chez Carlotta
Extrait
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire