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jeudi 23 janvier 2014

Le vent se lève - Kaze tachinu, Hayao Miyazaki (2013)

Inspiré par le fameux concepteur d’avions Giovanni Caproni, Jiro rêve de voler et de dessiner de magnifiques avions. Mais sa mauvaise vue l’empêche de devenir pilote, et il se fait engager dans le département aéronautique d’une importante entreprise d’ingénierie en 1927. Son génie l’impose rapidement comme l’un des plus grands ingénieurs du monde. Le Vent se lève raconte une grande partie de sa vie et dépeint les événements historiques clés qui ont profondément influencé le cours de son existence, dont le séisme de Kanto en 1923, la Grande Dépression, l’épidémie de tuberculose et l’entrée en guerre du Japon. Jiro connaîtra l’amour avec Nahoko et l’amitié avec son collègue Honjo. Inventeur extraordinaire, il fera entrer l’aviation dans une ère nouvelle.

Hayao Miyazaki avait déjà sérieusement tiré sa révérence en 1997 au moment de la sortie de Princesse Mononoké, mettant tout dans cette œuvre testament : le souffle épique, les questionnements écologiques et une aura romanesque flamboyante tout en dressant un constat lucide et désabusé sur la séparation inéluctable entre le mythe/la tradition et la modernité où les grandes légendes d’antan ne pouvaient plus qu’être des symboles diffus dans le monde contemporain. Un monde où il n’avait plus sa place puisqu’il s’apprêtait à se retirer ; mais la mort de Yoshifumi Kondo, son successeur désigné à Ghibli (et auteur du merveilleux Si tu tends l’oreille 1995) l’obligea à revenir. Un retour en forme de second souffle pour Miyazaki durant les années 2000 qui bien après Mon Voisin Totoro (1988) renouerait avec le point de vue d’une fillette pour son Alice japonais (Le Voyage de Chihiro (2002)), retrouverait les atmosphères épiques et les influences occidentales des débuts dans une tonalité différente (Le Château ambulant (2004)) et signerait son œuvre la plus euphorisante avec l’enchanteur Ponyo sur la falaise (2008).

Tout comme la mélancolie des années 90 avait répondu à la fougue de la décennie précédente, Miyazaki signe une œuvre particulièrement mortifère avec Le Vent se lève, comme pour nous rappeler un âge avancé qu’on avait fini par oublier avec la fontaine de jouvence que constituait sa filmographie des années 2000. Le Vent se lève est un film somme où Miyazaki semble avoir réuni toutes ses préoccupations. Si Princesse Mononoké était le constat de sa vision du monde, Le Vent se lève, lui, fait un bilan beaucoup plus intime de l’état d’esprit de l’auteur.

A l’origine un projet personnel destiné à être publié en manga, Le Vent se lève devient un film grâce au producteur (et cofondateur de Ghibli) Toshio Suzuki qui aura convaincu le maître d’en faire la prochaine production Ghibli. Pour Miyazaki le cinéma doit avant tout être un divertissement, une évasion où peuvent s’insérer des thèmes plus profonds (il reprocha ainsi à l’époque à son ami Isao Takaha la noirceur de son Tombeau des Lucioles alors que lui-même signait Mon Voisin Totoro).

Pourtant là l’auteur s’éloigne de ce précepte avec un biopic romancé de Jiro Horikoshi, ingénieur créateur du révolutionnaire avion Zero qui fit des ravages durant la Deuxième Guerre mondiale sur le front du Pacifique. On retrouve ainsi la fascination des airs de Miyazaki avec ce personnage se rêvant pilote mais qu’une mauvaise vue va inciter à devenir ingénieur pour rester au plus près de sa passion. Sur une période de quinze ans, on assiste ainsi à une sorte d’Etoffe des héros japonais où les recherches et atermoiements de Jiro amenant à la fabrication du Zero se mêlent à l’Histoire du pays en train de basculer dans l’horreur belliqueuse et totalitaire.

L’intrigue est en de nombreux points autobiographique pour Miyazaki, où Jiro est son double. Comme précédemment évoqué, sa propre passion pour l’aviation est née durant l’enfance grâce à son père directeur de l'entreprise aéronautique familiale participant justement à la chaîne de fabrication des Zero. La fascination pour les engins ailés se conjugue ainsi à l’aura de mort qu’ils dégagent par l’usage qui en sera fait, thème récurrent chez l’auteur.  

Le Vent se lève exprimera donc dans un premier temps la fougue de cet attrait des airs, que ce soit par les clins d’œil de Miyazaki à sa filmographie (la scène de rêve d’ouverture semblant échappée du Château dans le ciel), la manière amusée d’exprimer l’influence européenne chez son héros (les apparitions rêvées du mentor et précurseur italien Gianni Caproni) et bien sûr le bouillonnement d’activité des bureaux de l’usine qui renvoie évidemment à ceux agitant le Studio Ghibli dans un mimétisme évident. Peu à peu pourtant un voile vient assombrir cette vision. Le sentiment d’insécurité s’exprimera d’abord par une terrible séquence illustrant le séisme de Kanto en 1923 et où l’on sent la nature prête à se révolter face à la folie des hommes. Même s’il n’en fait pas le cœur du récit, le poids du régime totalitaire japonais traverse tout le film, tout comme ce double regard si cher à Miyazaki durant le voyage de Jiro en Europe où il se confronte à la haine des nazis tout en s’ouvrant à de nouveaux horizons avec le savoir-faire technologique et la culture occidentale.

Le plus grand pas en arrière, Miyazaki le fait pourtant avec l’attitude de son personnage principal. Obsédé qu’il est par sa tâche, Jiro a à peine le temps de se consacrer à sa fiancée Nahoko. Le scénario dessine tous les contours d’une romance flamboyante mais qui ne le sera jamais complètement. La première rencontre en plein durant le chaos du séisme, la seconde le temps d’un été de vacances et les charmantes séquences qui en découlent (Jiro rattrapant l’ombrelle de Nahoko emportée par le vent, tous deux s’amusant d’un avion de papier alors que Nahoko est convalescente) humanisent d’ailleurs grandement un Jiro jusqu’ici trop hermétique (et doublé de la voix terne de cet autre grand de la japanimation qu’est Hideaki Anno, sollicité par son ami Miyazaki dans cette tâche inhabituelle pour lui).

Là encore des éléments personnels viennent se greffer. Nahoko est atteint de tuberculose tout comme la propre mère de Miyazaki à l’époque, un élément qu’il avait déjà intégré dans Mon voisin Totoro où la mère des deux fillettes était absente car au sanatorium. La pudeur de l’auteur avait laissé cet élément flou, au point de faire des héroïnes des sœurs pour éviter tout mimétisme avec lui alors que le scénario initial en faisait des frères. Cette fois Miyazaki exprime pleinement cette culpabilité avec une romance feutrée, résignée et condamnée, qui est paradoxalement la plus charnelle de sa filmographie très chaste mais finalement la moins poignante.

Le contexte historique semble comme écraser les personnages, Nahoko étant une figure sacrificielle et effacée dévouée à son époux, Jiro en dépit de son amour sincère ne s’écartant pourtant jamais de sa mission. Le drame s’exprime ainsi dans une retenue touchante (la belle scène de mariage) mais où l’on sent Miyazaki peu à l’aise.

Le constat final amer de Princesse Mononoké n’empêchait pas une vraie portée romanesque quand, dénué de ses démons et merveilles, Miyazaki semble paradoxalement comme cloué au sol pour laisser respirer ce qui est son œuvre la plus personnelle, l’austérité des personnages jurant avec la vaillance farouche de ses héros habituels. Cette fois tout semble joué et il n’y a plus de raison d’y croire alors que le monde pouvait sombrer sans que l’on cesse d’essayer de se relever, encore et toujours (Nausicaä, Le Château dans le Ciel, Princesse Mononoké, Le Voyage de Chihiro...).

A nouveau, c’est sans doute dans le parcours de Miyazaki qu’il faut chercher cette carence. L’impact de la guerre et les conséquences du grand œuvre de Jiro ne s’illustreront qu’en toute fin dans une scène onirique renvoyant notre héros à une culpabilité nationale et personnelle par la perte de sa fiancée malade. Un culpabilité que partage sans doute aussi le réalisateur, entièrement dévoué à ce Studio Ghibli qui lui a au moins coûté des relations difficiles avec son fils Goro dont il s’opposa au passage à la réalisation avec Les Contes de Terremer et auquel il mena la vie dure sur le tournage de La Colline aux coquelicots (2012) qui avec moins de lourdeur évoquait des thèmes voisins.

Toute cette longue quête semble ainsi avoir été vaine pour Jiro dont la silhouette disparait lentement à l’horizon en conclusion. Miyazaki pense-t-il aussi la même chose en se retirant sur une œuvre si résignée ou adhère-t-il au leitmotiv du poème de Paul Valery donnant son titre au film : « Le vent se lève, il faut tenter de vivre » ? La réponse est sans doute entre les deux, et suspendue à une possible volte-face du sensei.

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