Monsieur Lung, un chef de triade
respecté vient tout juste d'échapper à un assassinat qui le visait, dans
le restaurant de Gros Cheung, le Superbowl. Afin de jouer la carte de
la discrétion pour retrouver le commanditaire de cette tentative de
meurtre, il décide de se passer de son bras droit, Franck, et fait appel
à Curtis, un de ses anciens hommes de main devenu depuis simple
coiffeur. Lorsque celui-ci arrive au bureau de Lung, il se voit charger
d'une importante mission : suivre le parrain nuit et jour. Et pour ce
faire, il devra faire équipe avec d'autres cracks, son ami James, Mike,
ainsi que Roy et son jeune protégé Shin. Mais après une nouvelle
tentative d'assassinat qu'ils font échouer de justesse, des tensions
naissent dans le groupe.
Johnnie To signe peut-être son polar le plus brillant avec The Mission,
film représentant un premier aboutissement de sa carrière. Réalisateur
touche à tout dans la première partie de sa carrière (dont le génial Heroic trio
(1993) aux antipodes de la suite de sa carrière où Maggie Cheung, Anita
Mui et Michelle Yeoh jouent les super héroïnes), Johnnie To décide en
1996 de se réorienter vers des œuvres plus personnelles en fondant sa
société de production Milkyway. Dès lors il alterne films commerciaux
(sa carrière dans la grosse comédie cantonaise restant méconnue en
occident) dont le succès permet de financer des titres moins accessibles
où le polar deviendra son genre de prédilection. Tour à tour à la
réalisation, au scénario ou à la production mais toujours fortement
impliqué, To y impose une patte singulière qui s'affine avec de grandes
réussites comme The Longest Nite (1997) de Patrick Yau ou Beyond Hypothermia (1996) de Patrick Leung pour conduire au premier grand classique que constitue The Mission.
Johnnie To s'éloigne là en tout point du polar hongkongais tel qu'il fut définit dans les 80's et notamment John Woo et son Syndicat du crime.
On oublie là les flingueurs chevaleresques, les gunfights démesurés aux
munitions illimitées et le mélodrame exacerbé. A la place, un pitch
minimaliste (cinq hommes de mains protègent un chef de triades menacés
de mort), des personnages aux contours restreints et des scènes
d’actions stylisées dont l'épure découlent des choix précités. Johnnie
To en éliminant tout le superflu propose une œuvre où l'on retrouve dans
sa veine la plus pure la définition du héros "à l'ancienne", taiseux,
professionnel et ne révélant sa personnalité que dans l'action. On se
situe là au croisement du samouraï et du gangster échappé de Melville
(le Delon du Samouraï justement)
où notre groupe d'homme de main se renifle, se jauge et finit par
s'apprécier une fois que chacun aura fait ses preuves en situation et
gagné le respect des autres.
Ainsi la première entrevue en tête à tête
est absolument glaciale, le premier gunfight montrant un individualisme
et une division qui conduira au premier accrochage entre Curtis (Anthony
Wong) et Roy (Francis Ng) avant qu'un coup de pouce du premier
adoucisse le second. Johnnie To caractérise son groupe de personnage de
façon brillante, par la gestuelle pour signaler l'anxiété de Roy, le
détail loufoque pour la bonhomie de James (Lam Suet bâfrant ses
cacahouètes à tout moment), l'attitude calme et stoïque signifiant la
nature de leader de Curtis. Les détails sur leurs passé et leur liens
sont minimes et se restreignent au strict nécessaire, le rôle de chacun
se définissant par ses actes et dans l'action.
Là aussi le
traitement du réalisateur est très original. Chaque morceaux de
bravoures jouent sur les espaces clos et /ou l'immobilisme avec un
brillant gunfight dans une ruelle étroite où nos héros sont pris pour
cible pour un sniper. Les plans sur le tireur sont furtifs, To
s'attardant plus sur les réactions et les déplacements des
protagonistes, l'énergie naissant plus du déploiement de leur capacité
que de l'opposition avec un adversaire indistinct. Le procédé est étendu
de façon plus virtuoses encore dans la mémorable séquence du centre
commercial.
Les adversaires restent pratiquement invisibles sous le feu
des balles du groupe, ceux qu'on verra apparaître sont éliminés avec une
brièveté dévastatrice et une nouvelle fois l'émerveillement vient de
l'organisation impressionnante de nos professionnels , Johnnie To les
déployant dans l'espace avec une rigueur géométrique aussi irréaliste
que stylisée. La complicité et l'amitié communes naissent aussi par le
geste grâce à quelques interludes ludiques où chacun se déride (la
partie de foot dans la salle d'attente, les cigarettes piégées). Lorsque
ces liens seront mis à l'épreuve lors de l'épilogue, tous ces éléments
déployés en filigrane amènent une vraie émotion et tension quant au sort
des héros confrontés à un cruel dilemme.
Pas d'épanchements pour finir,
To misant sur notre sens de l'observation et les manières discrètes de
ses professionnels pour nous faire comprendre l'issue. Une grande
réussite où l'amitié virile se dissimule sous une froideur de façade (et
le score synthétique de Chung Chi-wing). To en donnera une
suite/variation tout aussi forte avec Exilé (2006).
Sorti en dvd zone 2 français chez TF1 Vidéo
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