Lulù Massa est un ouvrier modèle de
l'usine BAN et ce travailleur acharné est utilisé comme référence par sa
direction dans l'établissement des critères de productivité, au grand
dam de ses collègues qui peinent à suivre ces cadences infernales. Un
jour, Lulù est victime d'un accident du travail qui lui coupe un doigt.
Par solidarité et pour faire entendre leurs revendications, les
responsables syndicaux déclenchent alors un mouvement de grève générale.
Privé d'un travail qui représentait jusqu'alors toute sa vie, Lulù va
alors avoir le temps de réfléchir à sa condition...
Avec Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon
(1970), Elio Petri avait réalisé un des films emblématiques de l'Italie
des Années de Plomb pour une satire glaciale et ironique démontrant
toute la corruption et l'impunité des nantis dans un système inamovible.
Petri en réalise en quelque sorte le pendant prolétaire avec La classe ouvrière va au paradis avec une même impasse et constat désabusé au bout du chemin, Gian Maria Volonté en étant à nouveau le symbole.
Lulù
Massa (Gian Maria Volonté) est l'ouvrier le plus assidu de l'usine BAN,
acharné de travail et seul capable de répondre aux cadences infernales
imposées par la direction. Mieux, il sert de modèle à la direction pour
fixer ces rythmes de travail intenable ce qui lui suscite l'animosité de
ces collègues. L'ombre des Temps Modernes
de Chaplin plane sur ce début de film avec le thème martial et
répétitif d'Ennio Morricone accompagnant l'arrivée des silhouettes
anonymes des ouvriers à l'usine tandis qu'une fois au travail la caméra
virevoltante de Petri arpente l'espace de l'atelier. Là le réalisateur
multiplie les effets afin de souligner la tâche harassante des
travailleurs avec gros plans et zoom sur les visages en sueurs, la
gestuelle répétitive et les pièces qui s'encastrent dans un maelstrom
inexorable.
Courant après sa prime de rendement, Lulù semble n'avoir
cure des invectives de ses collègues ou des militants gauchistes
squattant l'entrée de l'usine. Ces allures bravaches dissimulent
cependant un malaise se révélant au quotidien où notre héros fait
véritablement figure de zombie, regardant l'œil morne la télévision,
trop épuisé pour faire l'amour à sa compagne Lidia (Mariangela Melato)
et voyant se réveiller tous les pépins physiques accumulés par cette
existence entièrement dévouée au travail.
L'éveil se fera avec un
accident de travail où il perd son doigt. Prenant conscience de tout ce
qu'il a sacrifié à sa tâche, Lulù passe ainsi à l'extrême inverse en
devenant un opposant acharné de ses patrons. L'acharnement surhumain
qu'il mettait à monter ses pièces n'a d'égal que son acharnement sans
concession où il sera désormais bien plus indomptable que les timides
directives syndicales en poussant ses camarades à l'arrêt total du
travail. Gian Maria Volonté déploie une passion et une énergie fiévreuse
pour témoigner de l'éveil spectaculaire de ce dormeur trop longtemps
assoupi.
Les phrases qu'il a tant occultés dans son stakhanovisme se
révèle à lui en lui rappelant combien son travail le déshumanise et le
réduit au rang d'automate ("Nous arrivons et quittons l'usine alors
qu'il fait nuit"), un travail dont le capitalisme froid et
l'organisation industrielle n'apporte même plus satisfaction avec des
patrons invisibles et des pièces dont il ne saura même pas l'objet de
fabrication final. Dès lors l'ombre de son ami Militina (Salvo Randone)
que cette vie à faire perdre la raison et conduit à l'asile.
Petri
renverra pourtant toutes ces voies dos à dos, signes de cette Italie
plongée dans le chaos et où tous les choix ne peuvent être qu'extrême,
dévoués maladivement aux patrons ou dans une rébellion où le terrorisme
n'est jamais loin. Ainsi la supposée solidarité des camarades ouvriers
de Lulù est surtout un prétexte pour eux à lancer enfin les hostilités
avec les puissants.
La diatribe gauchiste caricaturale s'avère très
creuse, privilégiant le discours à l'individu finalement tout aussi
anonyme que quand il trimait à l'usine et servant juste une idéologie
différente sans forcément y gagner plus. Petri se montre d'un terrible
cynisme avec ce militantisme vu comme un métier où les activistes sont
presque en tournée pour réciter les mêmes idées interchangeables qu’ils
se trouvent dans une usines ou dans un lycée ou l'appartement de Lulù
qu'il investissent en masses en raillant le matérialisme de sa compagne.
Lulù
se donnant corps et âmes dans tout ce qu'il entreprend saisira bien
trop tard cet état de fait et perdra femme, enfant et travail alors que
tout semble retrouver son moule originel. Après être descendu très bas
(sa longue errance donnant les seuls quelques longueurs du film) la
conclusion semble donner quelque espoir en faisant retrouver sa place à
Lulû. Petri semble nous donner l'illusion que les choses ont changées
avec cette disposition alignée des travailleurs laissant croire à un
travail plus libre et convivial. Personne n'est dupe cependant, le
découpage strictement identique de l'arrivée des ouvriers à l'usine et
le thème de Morricone reprenant plus frénétique que jamais faisant de
cette lobotomisation de l'individu un éternel recommencement.
Sorti en dvd zone 2 français chez Tamasa
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