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mercredi 11 juin 2014

Trois petits tours et puis s'en vont - Here We Go Round the Mulberry Bush, Clive Donner (1968)

Été 1967 dans la grande banlieue de Londres. Jamie McGregor, étudiant de terminale qui s'apprête à entrer à l'université, a du mal à perdre sa virginité, malgré l'atmosphère de permissivité du milieu des années 60. Après des tentatives aussi burlesques qu'infructueuses avec Linda, Paula, Caroline, il réussira avec la gentille Audrey puis surtout avec la fille de ses rêves, la belle Mary Gloucester dont il est romantiquement amoureux.

Here We Go Round the Mulberry Bush est des films les plus emblématiques de la jeunesse hédoniste des 60's. C'est une sorte de croisement idéal entre le réalisme du free cinema et la stylisation bariolée du cinéma pop alors en vogue, faisant le pont entre deux des grands courants de cette décennie. Clive Donner se montre même bien plus brillants sur des thèmes voisins que pas mal d'œuvres du surestimé Richard Lester (on pense un peu notamment à The Knack ...and How to Get It (1965) mais aussi à une version adolescente et positive d'Alfie (1966)). Le film est l'adaptation du roman éponyme de Hunter Davies (qui signe également le scénario) auteur emblématique des 60's et responsable entre autre de la première et controversée biographie des Beatles en 1968). Le film narre l'odyssée sexuelle et sentimentale de Jamie McGregor (Barry Evans), adolescent dont la frustration est mise à rude épreuve par le contexte hédoniste d'alors et une sexualité ouvertement affichée à tous les coins de rue.

La scène d'ouverture voit notre héros traverser son quartier à vélo pour effectuer des livraisons, l'œil concupiscent et s'attardant sur toutes les mini jupes, pulls moulants et autres décolleté qui forment la garde-robe de la gent féminine croisée sur son parcours. Barry Evans est confondant de naturel, garçon maladroit et attachant dont la voix off à l'accent cockney blasé est le vrai fil conducteur d'un récit entièrement plié esthétiquement et narrativement aux émotions qui le traversent. Qu'il livre ses courses à une mère au foyer et Donner déploie un fantasme à la Somerset Maugham où Jamie fantasme d'être initié sexuellement par une avenante femme mûre.

Le réalisateur fait preuve d'une grande inventivité dans l'illustration de ces rêveries (et une nouvelle fois de façon tellement plus forte qu'un Richard Lester) surgissant à tout moment et où sont convoqués le splapstick et le burlesque, où la photo d'Alex Thomson (premier film de celui qui allait faire des merveilles avec Excalibur (1981) et autres Legend (1985)) reproduit les teintes colorées du cinéma muet, laisse exploser l'arc en ciel pop psyché 60's ou désature l'image façon vidéo domestique en 16mm.

Jamie cherchera donc durant tout le film à perdre sa virginité auprès de différentes jeunes filles, tout en observant de loin l'inaccessible Mary (Judy Gleeson) dont il est réellement amoureux. Le scénario ne fait d'ailleurs pas de Jamie un timide empoté, mais plutôt un jeune homme dont le manque d'envergure et de maturité le voit toujours se faire dépasser par d'autres ayant de meilleurs arguments à faire valoir pour une adolescente, son vélo ne pouvant faire le poids face aux prétendants motorisés de Mary. On aura dans la quête de Jamie une savoureuse satire sociale à travers ses déconvenues amoureuses et le caractère singulier de chacune des filles qu'il va tenter de conquérir. Toute les petites amies seront l'illustration de cette libération sexuelle et de cette morale disparue de cette Angleterre décomplexée.

La blonde écervelée et revêche Linda (Adrienne Posta) se montre ainsi hermétique aux tentatives de baiser de Jamie mais s'excite toute seule et attends l'assaut de ce dernier quand il la fera involontairement basculer au sol à l'horizontale. La ravissante brune à frange et pieuse Paula (Sheila White) l'incitera même à consacrer du temps aux animations de l'église tout en l'éconduisant pour flirter avec un jeune prêtre. Cela donne d'ailleurs une des scènes les plus mémorables du film avec le Spencer Davis Group donnant un concert dans une église (le titre du film est d'ailleurs celui d'une chanson de Traffic, nouveau groupe de Steve Winwood qui quitta le Spencer Davis Group durant le tournage) où symbole de cette hypocrisie le slow chaste se mue en roulage de pelle furieux à chaque break de la chanson où les jeunes gens profite de la brève obscurité pour se sauter dessus.

La farce sera encore plus drôle quand Jamie tentera sa chance avec Caroline (Angela Scoular), fille de la haute dont la famille s'avérera bien dépravée le temps d'un week-end où notre héros aura plus de chance de conclure avec la mère que la fille passablement éméchée. On rit beaucoup tout en étant consterné pour Jamie dont chaque tentative est vouée à l'échec par les circonstances défavorables, la mine dépitée de Barry Evans contrebalançant l'extravagance et la drôlerie des situations.

Barry Evans dont c'était le premier rôle est si authentique que le personnage suscite toujours l'empathie et ne passe jamais pour un obsédé en rut. On devine une certaine mélancolie dans sa présence à l'écran qui fait comprendre que la quête n'est pas seulement d'ordre sexuelle mais surtout affective. Ainsi le dépucelage sans amour avec une camarade peu farouche intervient par une ellipse au terme d'une gigantesque séquence de batifolage collectif témoignant de cette jeunesse sans tabous et échangeant joyeusement ses partenaires de flirt et plus si affinité.

Jamie se voit ainsi confronté aux limites de ce contexte quand il réussira enfin à conquérir Mary, son romantisme naïf se brisant dans la quête d'expériences de son aimée. Avant cette déconvenue, Donner ose enfin puisque l'amour est enfin là déployer des scènes sexuelles plus osées (où l'on appréciera la plastique parfaite de Judy Gleeson sous tous les angles) dans une esthétique chatoyante et où Jamie parait enfin heureux et épanoui.

Cela pourrait donner une conclusion plus pessimiste mais c'est la fougue juvénile qui prédomine dans cette œuvre ouvertement optimiste et la splendide dernière scène nous montre bien le désir charnel toujours bien là sera désormais au service d'un sentiment plus profond. Une belle réussite trépidante et bariolée filant le sourire et un portrait juste et très universel des émois adolescents.

 Sorti en dvd zone 2 anglais et bluray anglais chez BFI et doté de sous-titres anglais

Générique de début

2 commentaires:

  1. "Ouvertement optimiste", ce film ? J'y ai vu au contraire une certaine tristesse, vers la fin, quand l'histoire entre Mary et Jamie tourne court, et que ce dernier se sent ridicule d'être bêtement amoureux. Mais c'est un GRAND film, bien plus profond qu'il en a l'air. Cent coudées au-dessus de The Knack ou Blow-Up pour parler de son époque et de son cadre (oui, très surévalué, Richard Lester).

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  2. Oui optimiste car le film réussi à dépasser la désillusion et la mélancolie se dégageant de la romance avortée pour montrer le héros marqué mais pas démonté pour autant capable d'aller de l'avant dans d'autres expériences. On n'en reste pas sur l'histoire avec Mary et on sait que Jamie s'en remettra. C'est l'exact opposé d'une oeuvre voisine de l'époque et dont le final est bien plus dramatique, "Deep End" de Jerzy Skolimowski. Je vous le recommande vivement si vous ne l'avez pas vu ;-)

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