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samedi 16 août 2014

Mirage de la vie - Imitation of Life, Douglas Sirk (1959)

Sur la plage de Coney Island, près de New York, Lora Meredith, une jeune mère célibataire aspirant à devenir actrice, rencontre Annie Johnson, une sans-abri noire s'occupant elle aussi seule de sa fille. Les deux femmes sympathisent et Lora propose bientôt à Annie de rester chez elle, devenant ainsi la nourrice et la domestique de la maison. La fille d'Annie, Sarah Jane, semble ne pas supporter la couleur de sa peau à une époque où cela l'exclut socialement; elle est jalouse de Susie, la petite fille blonde de Lora. Cependant, les deux enfants grandissent ensemble, comme de véritables sœurs. Son père était pratiquement blanc : Sarah Jane a donc la peau très claire et se fait passer pour blanche, provoquant la tristesse de sa mère.

Mirage de la vie est le film d’adieu à Hollywood de Douglas Sirk, son ultime mélodrame et son apothéose de ces années 50 où il porta le genre au sommet. Le film boucle la boucle en quelque sorte puisque tout comme Le Secret Magnifique (1954) qui lança la vague de ses grands mélodrames, Mirage de la vie est un remake de John Stahl à savoir Images de la vie sorti en 1934. C’est aussi la seconde adaptation du roman de Fannie Hurst, la version de Stahl étant plus fidèle et sobre en comparaison de la flamboyance et emphase qu’apportera Sirk dont les changements ne sont pas innocents.

Le récit traite du phénomène du passing, cet acte voyant au plus fort de la ségrégation raciale américaine des jeunes femmes noires à la peau suffisamment claire pour passer pour blanche tenter de transcender leur condition. Ces femmes portent ainsi le titre de mulâtresses tragiques dans la culture américaine car cette volonté aboutira constamment à une issue dramatique. C’est une thématique récurrente d’une certaine littérature américaine dans laquelle s’inscrit l’ouvrage de Fannie Hurst et également au cinéma où durant ces années 50 d’autres films abordèrent la question, notamment la comédie musicale Show Boat (1951) et le drame Cœurs Insondables (1951) où Ava Gardner tenait le rôle de la métisse. 

Dans Mirage de la vie, cette idée s’exprime à travers le récit de l’amitié entre la blanche Lora Meredith (Lana Turner) et la noire Annie Johnson (Juanita Moore), deux femmes seules décidant de s’entraider et vivre ensemble pour élever leurs deux filles, Susie (Sandra Dee) et Sarah Jane (Susan Kohner). 

Dès l’enfance les germes du drame à venir se posent puisque Sarah Jane par sa peau blanche renie sa race et défie sa mère par des actes en restant à la sphère intime (refuser de jouer avec une poupée noire) mais qui iront en s’étendant à travers son rapport au monde. Cela donnera ainsi ce moment cruel où Sarah Jane réagit violemment lorsque sa mère la démasque en venant la voir à son école où elle avait maintenu le mensonge.

Si cette trame constitue le cœur émotionnel de l’histoire, ce serait une erreur de voir celle concernant Lana Turner et la carrière d’actrice de son personnage comme secondaire. C’est justement par elle que parviendra à exister et ne pas être jugé si sévèrement l’attitude indigne de Sarah Jane. Douglas Sirk reprend ici une thématique au cœur d’un de ses plus beaux films, Tout ce que le ciel permet (1955). Ce dernier traitait déjà de l’émancipation d’un personnage féminin incarné par Jane Wyman, celle-ci voulant dépasser le statut de femme mûre, rangée et asexuée dans laquelle son entourage veut la ranger alors que la passion renaît en elle pour le viril Rock Hudson. 

Il est également question d’émancipation dans Mirage dans la vie avec deux figures féminines aspirant à autre chose. Lora poursuit le rêve d’être actrice, nourrit une grande ambition de carrière et y sacrifiera au passage une relation amoureuse stable avec Steve Archer (John Gavin) mais aussi celle avec sa fille Susie dont elle est éloignée par les scènes de théâtres. Sarah Jane cherchera elle aussi constamment une existence plus exaltante et à explorer un monde plus vaste que celui promis par la ségrégation raciale vivace d’alors. Lora a son talent d’actrice pour atteindre son but, Sarah Jane n’a que sa couleur de peau. 

L’audace de la première est malgré tout souvent vue comme un atout, celle de la seconde toujours une malédiction. Sirk opère un mimétisme constant entre leurs deux destinées à quelques années d’écarts. L’égoïsme et l’ambition démesurée de Lora désormais en haut de l’affiche répond ainsi aux envies d’ailleurs de Sarah Jane. Les conséquences différentes de cette même volonté d’émancipation ne tiennent finalement qu’a leurs races différentes. Les tourments des relations mères/filles Lora/Susie et Annie/Sarah Jane voient donc leurs violences exacerbées par cette différence. 

Si la relation à distance entre Lora et Susie crée un certain éloignement et manque de complicité entres elles, le carcan auquel se voit condamnée Sarah Jane l’amène à une cruauté révoltante envers cette mère trop aimante et omniprésente, miroir la renvoyant toujours à sa négritude – une scène où elle baisse les yeux face à son reflet et celui de sa mère devant une glace exprimant littéralement cette idée. Ces espoirs communs mais perspectives et conséquences opposées se jouent aussi dans leurs carrières où la donne change par leur couleur. 

La liberté de Lora l’aura conduit au sommet des scènes de théâtres de Broadway, Sarah Jane se trémousse dans les bouges les plus douteux de New York puis de Los Angeles. Lora perd un amant mais aura l’occasion de le reconquérir, Sarah Jane sera battue par son petit ami blanc quand il aura découvert son mensonge. Et aussi et surtout, Lora aura néanmoins une seconde chance de se rapprocher de sa fille quand Sarah Jane brisera définitivement le cœur de sa mère.

La mère aimante et compréhensive ainsi que la fille en quête d’affection se rapprochent donc de la même façon sans que ce problème de peau ne pose de problème à travers la relation tendre qu’entretiennent Annie et Susie. Le racisme et de manières plus générales toutes formes de clivages n’existent ainsi que par le rapport à l’extérieur, la romance de Tout ce que le ciel permet étant également stoppée par les regards d’autrui. Sandra Dee compose un personnage de jeune fille piquant et innocent (là aussi s’opposant à la Sarah Jane interprétée avec une belle intensité par Susan Kohner plus vite adulte et sexuée de par colère et soif de liberté), fille aimante idéale pour Annie qui en est plus proche que de la sienne dans leurs nombreux moments de complicité et confidence. 

Il est d’ailleurs dommage que la relation entre Lora et Sarah Jane n’ait pas été plus creusée pour tisser une même affection dans l’autre sens et appuyer cet amour filial dépassant la race. Lana Turner offre une prestation assez générique et forcée (alors qu’elle sut se montrer bien plus habitée dans d’autres mélodrames) et l’émotion naît finalement surtout du bouleversant personnage d’Annie, interprétée avec une dignité magnifique par Juanita Moore.

Cette figure de mère de multiples fois repoussée mais guidée par son instinct est des plus touchants, poursuivant sa fille de son amour jusqu’à ce que ses forces l’abandonnent pour un ultime échange poignant. Tout le contexte aura permis de comprendre à défaut d’accepter/approuver l’attitude de Sarah Jane et s’il est chuchoté, son dernier adieu à sa mère dans cette chambre de motel n’en est pas moins sincère.

La dernière scène est une des plus belles jamais filmée par Douglas Sirk qui laisse enfin exploser son lyrisme. Annie, cette femme si discrète et humble osera uniquement pour ses funérailles s’octroyer la grandeur dans une séquence flamboyante où une procession et un carrosse fait défiler son cercueil dans la rue. La caméra de Sirk offre même à ce moment un plan surprenant où la marche est vue depuis l’intérieur d’une boutique d’un regard dont la source interroge. Est-ce une vision divine d’une Annie apaisée et voyant sa fille effondrée reconnaître enfin publiquement leur parenté ? L’ultime image réunissant les héros est également motif à interprétation avec cette étreinte entre Lora, Sarah Jane et Susie sous le regard bienveillant de Steve.

D’un côté la différence n’aura pas eu de prise sur eux et quoiqu’il advienne ils constitueront désormais toujours une famille. De l’autre la famille n’aura pu être complète et apaisée qu’avec la disparition de l'élément perturbateur Annie et sa peau noire, Sarah Jane pouvant définitivement y être intégrée maintenant. Le progressisme et le clivage s’exprime brillamment dans une même scène ambiguë pour Sirk qui faisait donc également ses adieux à Hollywood et ne retrouverait plus les même hauteurs après cet immense succès.

Sorti en dvd zone 2 français che Carlotta

4 commentaires:

  1. Vous soulignez à raison l'ambiguïté du final.
    La même année, Cassavetes, avec le bien nommé "Shadows", poursuivra la réflexion sur la couleur de peau américaine, dans un tout autre style.
    Il faudra bien un jour se résoudre à donner à Lana Turner ou John Gavin (remarquable aussi dans Le "Temps d'aimer et le temps de mourir") la place qui leur reviennent.
    N'oublions pas la belle chanson d'Earl Grant, art poétique du cinéma de Sirk.
    Je garde aussi un bon souvenir de sa toute dernière réalisation, "Bourbon Street Blues", co-réalisé par des étudiants, résumé autant que passage de témoins à la génération suivante...

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  2. J'aime beaucoup aussi Lana Turner et John Gavin même si ce n'est pas forcément dans "Mirage de la vie" qu'ils donnent leur meilleur tant le drame racial contient toute la charge émotionnelle du film c'est vraiment mon seul regret que le lien entre Sara Jane et Lana Turner n'ai pas été plus creusé pour créer un parallèle parfait entre les deux couples mères/filles. Mais c'est sans doute volontaire de la part de Sirk qui aurait rendu la conclusion moins ambigue vu que ce lien semble prêt à se faire une fois la famille revenu dans une configuration plus "classique". J'avais évoqué le très beau Le temps d'aimer et le temps de mourir ici sur le blog http://chroniqueducinephilestakhanoviste.blogspot.fr/2010/06/le-temps-daimer-et-le-temps-de-mourir.html

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  3. Quel est votre Dire préféré ? Moi c'est celui là

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    1. Bonjour, mon préféré est celui-là aussi, avec "Tout ce que le ciel permet" et "La Ronde de l'aube" pas loin derrière.

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