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lundi 18 août 2014

Inception - Christopher Nolan (2010)

Dom Cobb est un voleur expérimenté – le meilleur qui soit dans l’art périlleux de l’extraction : sa spécialité consiste à s’approprier les secrets les plus précieux d’un individu, enfouis au plus profond de son subconscient, pendant qu’il rêve et que son esprit est particulièrement vulnérable. Très recherché pour ses talents dans l’univers trouble de l’espionnage industriel, Cobb est aussi devenu un fugitif traqué dans le monde entier qui a perdu tout ce qui lui est cher. Mais une ultime mission pourrait lui permettre de retrouver sa vie d’avant – à condition qu’il puisse accomplir l’impossible : l’inception. Au lieu de subtiliser un rêve, Cobb et son équipe doivent faire l’inverse : implanter une idée dans l’esprit d’un individu.

Après l’immense succès de The Dark Knight (2008), brillant deuxième volet de sa vision de Batman, Christopher Nolan voyait enfin l’opportunité de réaliser Inception. Fasciné par le monde des rêves et les possibilités narratives et visuelles qu’il offre, Nolan travaille au script du film depuis dix ans mais la Warner l’aura laissé s’aguerrir sur des productions d’envergure avant de lui donner les clés de cet ambitieux projet personnel. Cela laissera le temps au réalisateur de peaufiner son concept au final bien éloigné du film d’horreur qu’il envisageait au départ. Nolan est le cinéaste cartésien et cérébral par excellence et la fantaisie, l’étrangeté et l’imprévisibilité du monde des rêves semblent bien éloigné de son univers. Il va ainsi insérer cette thématique du rêve dans deux genres associés à des cadre plus réalistes, le film de casse et celui d’espionnage façon Mission : Impossible. Le rêve prend ainsi un tour plus concret associé à ces deux éléments où le héros Dom Cobb (Leonardo Di Caprio) est un spécialiste pour façonner une illusion à ses victimes où il peut s’immiscer dans leur subconscient durant leur sommeil pour subtiliser des secrets. 

Les dérapages onirique sont ainsi limités puisque l’objectif est de dissimuler à la cible qu’elle rêve et de donner au songe l’illusion de la réalité. L’imagerie plus étrange et inattendue ne peut surgir que si les manipulateurs se laissent submerger par leurs émotions et font vaciller l’illusion pour se faire démasquer par leur cible. L’équilibre entre ce réalisme, cette maîtrise et ce contrôle face à un dérèglement psychique bien humain, c’est justement une des grandes thématiques de Nolan. L’organisation minutieuse du héros amnésique de Memento (2000) n’est qu’un voile perpétuel masquant un deuil inconsolable. Sa vision de Batman joue justement entre l’aspect hyper technologique et réaliste de son arsenal et celui purement terrifiant et surnaturel du personnage pour ses ennemis, The Dark Knight voit le Joker détruire l'ordre rétablit par le super héros. Dans Inception, le remord et la culpabilité de Dom Cobb viendront mettre à mal l’aspect froid et technologique appliqué au principe.

La première partie est une longue introduction servant à poser toutes les règles de ce cadre du rêve pour nos voleurs onirique. La spectaculaire scène d’ouverture donne notamment une idée du potentiel possible de l’illusion où Cobb et son équipe vont carrément enchâsser deux rêves pour voler un secret industriel au magnat Saito (Ken Watanabe). Cobb va pourtant se voir proposer par sa cible un défi inédit : ne pas voler une idée mais au contraire en insérer une dans le subconscient, soit une inception. Forcé de recruter une équipe de virtuose Cobb déroule donc notamment les possibilités à la nouvelle venue et architecte du rêve Ariadne (Ellen Page). Nolan reprend les motifs narratifs du premier Matrix (1999) où le dialogue et le jeu sur l’environnement apprennent le fonctionnement de l’univers. 

Là aussi le concret se dispute à l’irrationnel avec cette vision de l’architecture parisienne littéralement pliée en deux par la force de l’esprit, avant qu’un rappel à l’ordre nous informe que ce genre de prouesses réveille l’attention de l’individu piégé et les défenses de son inconscient rendant soudainement hostile tous les figurants/projections humaines du rêve. La menace principale de la mission pointe ainsi en filigrane à savoir le fantôme de Mal (Marion Cotillard) la femme décédée qui ne cesse de hanter les profondeurs du subconscient de Cobb. Nolan parvient sous cette sophistication à donner un vrai aspect ludique (également dans des éléments comme les totem où la chanson d'Edith Piaf ingénieusement utilisée) à travers la présentation de l’équipe et de l’élaboration du plan où l’on retrouve ce fameux plaisir du caper movie à une échelle différente. 

Ellen Page nous sert de référent réfléchi et ingénu en découvrant cet univers avec le spectateur, Joseph-Gordon Levitt de maître ès science et calcul, Tom Hardy d’illusionniste de génie (Martin Landau dans Mission Impossible en gros) et d’homme d’action tandis que Leonardo Di Caprio est le chef, l’organisateur de cette somme de talent mais aussi un facteur imprévisible par son esprit perturbé. L’enjeu est plus grand encore pour Cobb puisque la réussite de la mission pourrait lui permettre de rentrer au Etats-Unis et revoir ses enfants.

Bien évidemment dès le lancement de la mission et l’incursion dans l’esprit du riche héritier Robert Fischer (Cillian Murphy), tout vole en éclat et notre fine équipe va devoir improviser dans l’urgence pour atteindre son but. Après nous avoir si longuement posé le fonctionnement du cadre de l’action, Nolan en teste les limites pour ses personnages aux abois et renforce la tension. Mourir dans un rêve n’est pas fatal et provoque simplement le réveil ? Impossible cette fois tant l’on est drogué pour s’enfoncer au plus profond du songe et où la mort provoquerait un long sommeil équivalent au coma pour la victime. De plus, aller trop loin dans le rêve rend plus forts les démons du subconscient où ils sont tapis et Mal va ainsi provoquer bien des dégâts. Nolan passe à la fois par le dialogue et par une esthétique qui se disloque pour traduire ce sentiment. On a parfois reproché à Nolan sur ce film la nature peu imaginative de ses visions de rêves.

Cela est pourtant justifié par le postulat (ne pas laisser deviner à la victime qu’elle rêve justement) et surtout ne rend que plus fort le surgissement de l’irrationnel. Si les gardes fous du subconscient façon hommes de mains surarmés manque de folie, ce train surgissant soudainement en pleine ville, ce corridor oubliant toute les règles de gravité ou dans un registre plus léger Tom Hardy imaginant une arme plus destructrice que Joseph Gordon Levitt, tout cela montre le dérèglement d’un monde en apparence maitrisé. Plus l’on va loin dans le songe, plus l’imagerie se fait décomplexée, Nolan faisant jouer sa fibre cinéphile. 

La bagarre en apesanteur rappelle évidemment Matrix, la forteresse enneigée et les poursuites à ski lorgne vers le James Bond de Au Service Secret de sa Majesté (1969) et l’intérieur du coffre-fort contenant la catharsis de Robert Fischer évoque la chambre du final de 2001, l’Odyssée de l’espace (968). On sent une vraie jubilation et un plaisir de narrateur communicatif dans la façon dont Nolan fait déraper le récit et laisse éclater son imaginaire.

Dès que l’on aborde le thème du rêve dans la fiction, le principal questionnement repose sur la différence possible ou impossible à faire entre réel et illusion. C’est un thème central dans les œuvres ayant influencées Nolan comme Matrix donc, Dark City (1998) ou Paprika (2007 et dont des pans entier sont évoqués par Inception). Nolan trouve sa force et originalité en se délestant de toute vertu philosophique et pompeuse pour essentiellement jouer sur le facteur émotionnel. Di Caprio, à fleur de peau et torturé est parfait pour véhiculer cela. 

Cobb n’est pas seulement rongé par le spectre de sa femme disparue, mais par la responsabilité qu’il a dans cette mort et c’est cette culpabilité qui rend ses interférences si dévastatrices. Marion Cotillard dégage à merveille cette folie et séduction, sorte de femme fatale obsédante dont la passion pourtant sincère est synonyme de chaos. Elle est l’incarnation concrète et le fil conducteur de l’expression d’un esprit torturé et on s’étonne de la cohérence de Leonardo Di Caprio qui incarnera la même année un personnage souffrant de la même problématique dans le formidable Shutter Island de Martin Scorsese.

En dépit des frontières en apparence bien établies, Nolan perturbe notre perception bien plus en amont tout au long du film. Dès la première expérience, il nous est rappelé qu’un rêve n’a pas forcément de début ou de fin, que le temps qui s’y écoule est totalement différent de celui de la réalité. C’est du coup l’exact principe d’un film et de ses ellipses nous emmenant d’un lieu/moment à un autre et qui rendra chaque transition suspecte. Quelle différence entre les agents protecteurs du subconscient et les hommes de mains d’entreprise nébuleuse qui traque Cobb dans la réalité ? 

Certains dialogues pourtant imprimés dans le trauma de Cobb s’avère initialement prononcés par d’autres l’ignorant dans le film (« Don't you want to take a leap of faith? » lancé par Saito précédent le « I'm asking you to take a leap of faith » prononcé par Mal lors de son traumatisant suicide), la géographie incertaine du récit et de certain personnage (Michael Caine à la fois à Paris et aux USA et enjoignant mystérieusement à Cobb de revenir à la réalité…). 

Deux perceptions et interprétations courent ainsi tout au long du film, chacune résolue par la catharsis de Cobb lorsqu’il s’enfoncera dans les limbes de son esprit (seul déception du film d’ailleurs on imagine mal un monde aussi commun créé à sa guise et sans entrave par un esprit humain) enfin affronter Mal et surmonter sa douleur. Tout d’abord la trame principale et ce happy-end idéal qui se suffit à lui-même. Et puis l’idée que l’ensemble du film était un rêve et que l’inception consistait à résoudre le traumatisme de Cobb et le faire sortir du monde des rêves. Dans les deux cas, Nolan nous laisse dans une merveilleuse expectative avec cette toupie qui tourne, tourne, prête à tomber, ou pas… Vertigineux mais jamais prétentieux car profondément intimiste sous sa grande machinerie, Inception est une œuvre passionnante et la plus grande réussite de Christopher Nolan. 

Sorti en dvd zone 2 français et blu ray chez Warner

5 commentaires:

  1. Bonsoir Justin,
    Ceci devrait vous intéresser, en rejoignant votre lecture d' "Inception"... :
    http://lemiroirdesfantomes.blogspot.fr/2014/08/memento-la-memoire-dans-la-peau.html?view=classic
    Bonne lecture et à bientôt !

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  2. Texte passionnant ça donne envie de revoir Memento ! C'est vrai que tout Inception est déjà là, la structure alambiquée au service d'un récit de deuil, les méandres de la mémoire comme malédiction et seul lien avec l'être aimé disparu. Le petit thriller virtuose a juste laissé place à la superproduction ambitieuse.

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  3. Ouch ! Je suis totalement passée à côté du film, moi... en éjectant mon DVD au bout de 20 minutes, tellement le côté virevoltant m'a exaspérée.... (Zhonte)

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  4. C'est dommage d'avoir stoppé si tôt car si le côté virevoltant peut perdre devant l'énorme scène d'ouverture, le réalisateur fait tout ensuite pour nous faire efficacement assimiler les règles de cet univers de façon limpide. C'est virtuose mais toujours clair à suivre, un gros tour de force narratif. Peut être en moins pesant que Inception (mais pour le coup complètement fou et flottant comme un long rêve) je vous recommande vivement le film d'animation Paprika qui est une des grandes inspiration de Nolan pour son film. J'en parlais ici

    http://chroniqueducinephilestakhanoviste.blogspot.fr/2014/08/paprika-papurika-satoshi-kon-2006.html

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  5. Bel article! Moi une fois que j'ai compris je m'ennuie un peu (notamment la séquence à la james bond dans la neige)...
    Hier soir en regardant le Mission Impossible de De Palma j'étais frappé de la ressemblance entre les films. Illusion, simulacre, déguisement, faux-semblants, comme un hommage au cinéma...

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