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jeudi 25 septembre 2014

L'Homme au complet blanc - The Man in the White Suit, Alexander Mackendrick (1951)

Sid Stratton est chimiste. Des recherches le conduisent sur la voie d'une découverte susceptible de révolutionner l'industrie textile : le tissu inusable et insalissable. Afin de tester sa découverte, il se fait embaucher dans les filatures et parvient à s'introduire dans les services de recherche. Grâce à l'appui d'Alan Birnley, un gros industriel, la découverte de Stratton semble tout d'abord être un succès. Mais les magnats du textile et les syndicats ouvriers entreprennent bien vite d'empêcher l'exploitation d'une invention dans laquelle ils ne voient qu'une dangereuse menace pour leur industrie.

Dès son premier film Whisky à gogo (1949), Alexander Mackendrick s’était avéré un des réalisateurs les plus virulents et politisés du studio Ealing dans ce récit de résistance alcoolisée d’un village écossais face à l’envahisseur anglais. Cette facette se ferait plus brillante encore avec cet excellentt Homme au complet blanc où il fait montre d’une plus grande maîtrise et signe un de ses chefs d’œuvre. Mackendrick avait longtemps envisagé de traiter d’un film sur le domaine de l’invention et de la science où il évoquerait les travers du monde de l’industrie. Sa première idée serait d’évoquer l’arme atomique mais il ne trouverait jamais le ton idéal dans les scénarios envisagés. L’étincelle viendra en lisant la pièce inédite et dormant dans les tiroirs de son cousin Roger MacDougall qui lui offre la trame et le cadre idéal à ses attentes même s’il la remaniera considérablement (au point de décevoir les spectateurs de théâtre connaissant le film quand la pièce sera enfin jouée en 1954) et y inventera quasiment le personnage d’Alec Guinness. Le résultat donnera une fable visionnaire et cinglante sur le capitalisme moderne.

L’histoire nous dépeint les soubresauts que causera dans l’industrie du textile l’invention du chimiste Sid Stratton (Alec Guinness) qui invente rien moins que le tissu inusable et insalissable. Le ver est dans le fruit dès l’ouverture, nous montrant un Stratton exploitant en sous-marin les ressources des usines où il est engagé à des postes bien plus modeste afin de poursuivre ses recherches. Les grands patrons de l’industrie nous sont alors déjà montrés au mieux comme des incompétents découvrant sans en connaître la teneur le laboratoire secret de Stratton et les énormes dépenses qui en découlentr. Au pire et sous cette stupidité, ce sont de vils calculateurs dont chaque action n’est motivée que par le profit, à l’image de l’odieux Corland (Michael Gough) fiancé intéressé délaissant Daphné (Joan Greenwood) dès que la possible association commerciale avec son père (Cecil Parker) sera caduque.

Stratton est ainsi un électron libre et rêveur uniquement préoccupé par ses recherches et qui ne trouvera pas plus sa place parmi les ouvriers. Mackendrick place d’ailleurs cette classe populaire dans des stéréotypes complémentaires à ceux des nantis. Les riches sont refermés sur eux-mêmes et leur seul soucis de l’argent, les ouvriers sont certes plus compétents dans ce qu’ils font mais font montre d’un même repli avec une obsession syndicale et des formules gauchistes prémâchées, à l’image du tea time imposé à Stratton par une collègue. Mackendrick n’aura pas été cherché bien loin l’inspiration pour les figures de l’usine, le patron interprété par Cecil Parker étant tiré du patron d’Ealing Michael Balcon et l’ouvrier syndicaliste sur Sidney Cole, producteur du film et très porté sur les droits des travailleur au sein du studio. La catastrophe est donc déjà en marche même si Stratton trouvera une interlocutrice plus attentive avec Daphné, personnage le plus lucide du film et sachant écouter et comprendre la portée de ses recherches.

 Alec Guiness est une fois de plus formidable dans son interprétation de ce personnage naïf, obsessionnel et touchant dans son autisme le détachant complètement des réalités du monde qui l’entoure. Mackendrick tout en le rendant très attachant dans sa nature quasi enfantine n’en est pas moins critique envers son héros qui ne mesure pas les conséquences de son invention, uniquement obnubilé par le résultat. Son attitude noble sera ainsi baignée d’une légère ambiguïté lorsqu’il refusera les pots de vins des industriels du textile pour enterrer son invention, la vraie vertu incorruptible se disputant à son caractère obsessionnel. 

Il s’avère d’ailleurs incapable de communiquer avec le monde extérieur, ne pouvant expliquer la nature de ses recherches que dans un charabia scientifique incompréhensible inaudible pour les patrons qui n’auront de cesse de le congédier et il faudra la vulgarisation et l’appel du profit de Daphné envers son père pour qu’il y trouve enfin un intérêt. Auparavant une scène de comédie au timing et à l’ironie irrésistible nous aura montré l’étendue de l’immobilisme et de la notion de classe paralysant l’Angleterre d’alors. 

Cecil Parker recherchant activement l’auteur des dépenses cachées de son usine congédie dans le même temps celui qui en est l’auteur et cherche à le voir, par pur snobisme. Il finira par le soutenir enfin le temps de réjouissants gags où l’usine est transformée en blocos vivant au rythme des explosions causées par les expériences de Stratton. Pourtant dès que le résultat s’illustrera à travers un costume blanc immaculé et faisant de Stratton une figure pure et innocente, l’entité de l’industrie en constituera le parfait négatif avec le cortège funèbre des magnats menacés et plus particulièrement Sir John Kierlaw (Ernest Thesiger) arborant une allure de vautour. Un même et bien humain égoïsme va finalement lier nantis et classe populaire, la satisfaction personnelle prenant le pas sur le progrès et l’intérêt collectif quand les deux s’associeront pour détruire cette invention qui menace leurs revenus. 

La course poursuite finale bascule dans une forme de féérie cauchemardesque où Stratton fuit dans l’obscurité de la ville où son costume étincelle tandis que les ombres malveillantes de ses ennemis se font monstrueuses et spectrales. Stratton y gagne même en grandeur lors d’un court moment de lucidité où l’un des rares personnages s’étant montré bienveillant et désintéressé avec lui (sa logeuse jouée par Edie Martin) le fustigera car son tissu insalissable lui fera perdre ses revenus de lavandière. Guiness atteint une émotion aussi profonde que subtile à ce moment, permettant à Mackendrick de dessiner des contours bien moins manichéens qu’attendus à son récit. 

Même si l’on devine que le réalisateur penche vers les plus démunis – les patrons s’avérant définitivement monstrueux dans cette scène où ils envoient presque Joanne Greenwood moyennant finance se prostituer pour convaincre Stratton de lâcher prise – cela ne se fera jamais au détriment d’une finesse constante. La conclusion cinglante célèbre l’immobilisme du collectif plutôt que le progrès par l’individu, même si l’ultime scène amusée nous montre que les génies n’ont pas dit leur dernier mot pour dérégler l’ordre établi.

Sorti en dvd zone 2 français chez Studio Canal

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