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lundi 9 février 2015

Fascination - Possessed, Clarence Brown (1931)

Marian Martin (Joan Crawford) est une ouvrière bien décidée à se sortir de la pauvreté en misant sur ses charmes. À New-York elle rencontre Mark Whitney (Clark Gable), un riche et bel avocat qui l’installe à ses frais dans un luxueux appartement. Marian a tout ce dont elle a toujours rêvé, mais elle désire l’unique chose que Whitney ne semble pas prêt à lui proposer : un mariage.

Un Pré-Code qui en apparence semble mettre en scène la fameuse figure féminine de la "gold digger", cette jeune femme de basse extraction prête à tout pour réussir. Barbara Stanwyck ou Jean Harlow auront popularisé ce type de personnage en ce début des années 30 marquée par la Grande Dépression dans des œuvres comme Baby Face (1933) ou Red-Headed Woman (1932). Joan Crawford semble en tout point dans cette lignée ici en incarnant Marian, jeune ouvrière rêvant d'échapper à sa condition et refusant le destin tout tracé et terre à terre qui s'offre à elle notamment avec l'insistance de son fiancé Al, modeste chef de chantier. Cette avenir doré, elle ne peut y parvenir que par ses charmes et il se présentera comme une sorte de fascinante publicité en mouvement avec ce train dont les wagons défilent et affichent leurs luxes intérieurs à son regard envieux. Désormais elle sa quête sera d'être à l'intérieur du wagon mais étrangement une fois ce but atteint, quelque chose va lui manquer. Le film nous a astucieusement induits en erreur quant à son message.

Possessed est le troisième film mettant en scène le couple Joan Crawford/Clark Gable après Dance, fools, dance et Laughing Sinners (1931). Entretemps les deux stars alors chacune mariées auront entamé une liaison et le spectre de cette romance illégitime place sur le film et est sciemment utilisé par Clarence Brown. Marian se sera trouvé un richissime bienfaiteur en la personne de Mak Whitney, séduisant avocat qui va en faire une femme du monde et l'installer à grand frais dans un luxueux appartement. La scène de leur première rencontre aura affiché avec franchise la nature de leur future relation, Marian ne cachant pas sa quête d'un amant nanti et Mark d'une relation sans attache. Il suffira d'une ellipse de trois ans pour les retrouver dans un lien qui dans la pratique suit les termes de ce "contrat" mais qui dans les faits, les attitudes et les regards entre eux trahit le fait que dans leur cœur ils sont un vrai couple légitime et aimant.

Clarence Brown illustre cette idée à la fois dans un érotisme latent superbement amené (Mark et Marian arrivant en retard à leur propre réception pour avoir batifolé juste avant de partir) mais surtout par un romantisme poignant. On pense à la magnifique scène où Marian chante avec désinvolture au piano How Long Will It Last en allemand et en français à ses convives étrangers puis la reprend soudain en anglais les yeux rivés sur l'objet de son affection, Mark qui reste hors-champ. Plus rien ne semble alors exister, l'espace ambiant s'estompe et laisse l'amour de cette femme déborder de l'écran, Joan Crawford se confondant avec son personnage (sentiment que l'on a plus d'une fois durant le film si l'on connaît le passif).

Ce que l'on avait pris pour une ode féministe s'estompe donc, la gold digger laissant place à l'amoureuse éperdue prête à tout pour son homme. Cela dessine à la fois un portrait cru d'une époque où la réussite d'une femme ne peut se faire qu'à travers la tutelle d'un homme mais aussi une belle idée de romance sacrificielle. Cette romance interdite portera toujours le sceau de l'infamie pour une femme dont la réputation ne s'en remettra jamais (la séquence révoltante où Al rabaisse Marian quand il apprend son passé) quand pour un homme il suffit de balayer cet épisode d'un revers de la main.

Ainsi Mark sera un candidat idéal au poste de gouverneur une fois allégé de son embarrassante maîtresse (dont l'amour ne peut qu'exister dans l'ombre loin des regards inquisiteurs) mais le film tout en faisant lucidement ce constat cèdera à un poignant final romantique défiant ce déterminisme social et moral. Joan Crawford est absolument magnifique, subtile et poignante dans l'expression de son tourment intérieur (la frustration de ne pas être légitime), que ce soit le moment où elle retrouve son masque frivole après une terrible humiliation ou la douloureuse scène de rupture avec Mark. L'interprétation et la réussite formelle rattrapent ainsi largement le côté peut-être un peu schématique du script dans ce beau mélo.

 Sorti en dvd zone 2 français chez Warner dans leur superbe collection consacrée au Pré-Code

Extrait

2 commentaires:

  1. Oui, c'est un film magnifique bien que la fin (très mélo) soit assez convenue... et la "scène du train" vaut le détour ! N'est-elle pas d'ailleurs une métaphore du public de cinéma d'alors, qui rêvait devant des images animées d'une vie de luxe inaccessible pour la plupart des spectateurs ?

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  2. Oui d'autant que la scène du train fonctionne encore sur le mode fête foraine des premiers temps du cinéma, c'est d'autant plus efficace dans ce contexte de Grande Dépression...

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