Après ses années d'études, Patricia
Johnson revient chez sa grand-mère, qui l'a élevée et s'est sacrifiée
pour elle. Patricia est une jeune femme noire à la peau très claire, ce
qui lui permet de passer pour une blanche et lui vaut le surnom de
Pinky. Elle a du mal à assumer ses origines, mais confrontée au racisme
et à la ségrégation, elle finira par revendiquer haut et fort ce
qu'elle est.
Après le succès du Mur Invisible
(1947) qu'il a initié, Darryl Zanuck souhaite poursuivre le cycle de
sujet progressiste au sein de la Fox et après l'antisémitisme c'est
cette fois la ségrégation raciale qui sera évoquée dans L'Héritage de la chair.
Le film est débuté par John Ford mais ce dernier est peu à l'aise avec
le sujet (les noirs de ses films étant jusque-là dans la caricature même
si il saura aborder avec talent le sujet plus tard avec Le Sergent Noir (1960)). Zanuck refait donc appel à Elia Kazan qui avait justement signé Le Mur Invisible même s'il ne s'en était guère montré satisfait. Kazan signe là sans doute le film le plus réussit sur le drame du passing.
Ce terme désigne ce phénomène qui voyait des noirs né avec une peau
très claire tenter de dépasser leur condition en se faisant passer pour
des blancs.
C'est un thème au cœur de la littérature américaine des
années 30 (mais aussi en Europe avec J'irai cracher sur vos tombes)
et qui se penche surtout du côté des personnages féminins baptisées
mulâtresses tragiques. Au cinéma lorsque la question est abordée et ce
malgré les bonnes intentions, il y a parfois une certaine ambiguïté. Que
ce soit dans la comédie musicale Show Boat (1951) ou le chef d'œuvre de Douglas Sirk Mirage de la vie (1959), les héroïnes finissent mal (Show Boat) où finissent par s'intégrer après la disparition du dernier personnage les reliant à leurs origines (Mirage de la vie). Pinky
(d'après un roman de Cid Ricketts Sumner) est bien plus subtil,
abordant tout à la fois le racisme ordinaire et la tentation
compréhensible de renier sa race pour une vie meilleure dans cette
époque agitée.
Après trois ans d'études au cours desquelles elle a
décroché son diplôme d'infirmière, Pinky (Jeanne Crain) est de retour
dans son sud natal. L'éducation qu'elle a acquise a encore plus marquée
sa différence avec son entourage en plus de sa peau claire, sa prestance
trompant même sa grand-mère (Ethel Waters) qui la prend pour une
blanche lors de leurs retrouvailles. Lors de sa vie loin de ce milieu,
Pinky s'est fait passer pour blanche et est tombée amoureuse d'un
médecin. Le fossé est donc immense d'abord avec sa grand-mère qui lui
reproche ce reniement, mais aussi avec son environnements où tous les
désagréments ordinaires reprennent leur droit une fois sa vraie nature
révélée. Kazan exprime cela d'abord par nombres de situations
révoltantes (des policiers passant de la politesse avenante à la plus
désagréable familiarité en un instant, des hommes blanc libidineux) mais
aussi visuellement avec ce bayou sudiste de studio très stylisé et
oppressant, où la densité de la forêt semble prête à se refermer sur
Pinky comme un piège infernal.
Vivre parmi les blancs mais avec la
culpabilité de se mentir ou rester parmi les noirs en subissant la
méfiance de ceux-ci et le racisme ordinaire, Pinky ne sait que choisir,
cette hésitation en faisant une femme chargée de rancœur et de rage.
Cette amertume se concentrera sur sa vieille voisine blanche mourante
Miss Em (Ethel Barrymore) symbole pour elle de ce mépris ordinaire des
blancs à travers la dévotion qu'a pour elle sa grand-mère. Contrainte de
la soigner, Pinky va d'abord s'opposer à la malade (voyant forcément du racisme dans le ton bourru et autoritaire de la vieillarde) avant de progressivement s'adoucir à son contact.
Le scénario avec une
grande finesse après nous avoir montré le racisme le plus grossier nous
montrera ainsi des rapports plus complexe où sous l'apparente relation
dominant/dominé peut exister un lien plus attachant avec la vraie amitié
entre Miss Em et la grand-mère. Le respect et l'affection progressive
de Miss Em pour Pinky ne naîtra donc pas de sa peau blanche mais de
l'honnêteté et de la dévotion qu'elle devine en elle. C'est pour
préserver cette nature et l'aider à s'assumer qu'elle lui fera un cadeau
cause de nombreux problème.
Jeanne Crain est magnifique dans le
rôle-titre, toute de nerf et de colère contenue dissimulant une
sensibilité à fleur de peau. Le casting de Jeanne Crain constitue la
seule facilité du film, puisque c'est une blanche jouant une noire afin
de ne pas choquer le public par une vraie romance mixte. L'actrice et
chanteuse noire Lena Horne initialement envisagée fut écartée et
connaitrait la même mésaventure pour des raisons similaires deux ans
plus tard en laissant à son amie Ava Gardner le rôle de mulâtresse
tragique dans Show Boat - en retour néanmoins Ethel Waters sera la seconde actrice noir nominée à l'Oscar après Hattie McDaniel récompensée pour Autant en emporte le vent
(1940) et l'aurait sans doute plus mérité. Jeanne Crain est néanmoins
formidable et l'histoire d'amour mixte également passionnante.
Le fiancé
blanc (William Lundigan) est ainsi prêt à l'aimer malgré sa couleur,
mais à condition de s'exiler et de taire ses origines lorsqu'ils vivront
et travailleront ensemble. L'amour est donc prêt à dépasser le préjugé
mais pas le regard des autres. Le progressisme comme les entraves encore
solidement ancrées sont donc montrés avec intelligence par Kazan. Pinky
qui a décidée d'accepter ce qu'elle est ne se prêtera plus à ses
manigances, une volonté affiché lors du final en forme de film de procès
(narré efficacement et qui ne s'éternise pas) et de la conclusion
bienveillante. Explorant son sujet dans toutes ces facettes et ne cédant
à aucune complaisance douteuse (même si en chicanant on peut déceler
peut-être une impossibilité des noirs à sortir de leur milieu mais c'est
aussi une réalité à ce moment-là) Kazan signe un des films les plus
réussis sur le sujet.
Sorti en dvd zone 2 français chez Fox dans la collection Hollywood Legends
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