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vendredi 28 août 2015

Dheepan - Jacques Audiard (2015)

Fuyant la guerre civile au Sri Lanka, un ancien soldat, une jeune femme et une petite fille se font passer pour une famille. Réfugiés en France dans une cité sensible, se connaissant à peine, ils tentent de se construire un foyer.

Un peu comme dans De rouille et d'os (2012), la peur du vide de Jacques Audiard aura fini par gâcher ce prometteur Dheepan. Déjà dans De rouille et d'os le pathos lourdaud et l'ajout d'éléments annexes finissaient par diluer l'intérêt principal, le rapprochement entre la brute épaisse et handicapé sentimental et l'handicapée physique jouée par Marion Cotillard. Malgré la prestation magnifique de son couple, le film par ses maladresses évoquait une version sans nuance de Sur mes lèvres. Là tout l'intérêt de Dheepan repose sur la construction et le rapprochement de cette famille improvisée dans l'adversité, le vrai amour (filial comme conjugal) naissant de la cohabitation forcée. 

La difficulté d'apprendre à se connaître et s'aimer pour le trio mari, femme et enfant de fortune se conjugue à l'environnement inconnu, la perte de repère face à la langue et culture différente qui se ressent avec une justesse rare. L’approche intimiste d’Audiard fait merveille, l’apprivoisement de cette famille n’ayant rien de manichéen, Dheepan ancien exécutant des basses besognes durant la guerre civile au Sri Lanka ou cette « mère » peu aimante devant apprendre par le quotidien à se lier d’affection et être des parents pour la fillette de 10 ans. 

Toute la première partie avec ce cadre de cité HLM inquiétante fonctionne bien tant que cela reste en arrière-plan, l’incompréhension face à l’étranger causant autant d’anxiété que cet environnement urbain sordide dont il est un reflet. Dès que la menace se fera plus concrète, le film s'écroulera dans la dernière partie. Il est sous-entendu que le personnage de Dheepan a fait des choses pas très propres durant la guerre au Sri Lanka et l'intérêt du changement et de ses nouvelles responsabilité aurait été au contraire de ne plus le faire céder à cette violence. 

C’est l’inverse ici avec cette atmosphère de guérilla urbaine et zone de non droit qui est une incitation au réveil du guerrier. Le glissement du drame intimiste vers le film de genre était tellement plus subtil et justifié dans Sur mes lèvres (2001), Un prophète (2009) ou De battre mon cœur (2005) s'est arrêté. La recherche d’émotion se déleste de la rigueur scénaristique des grandes réussites du cinéaste et le final cède au film de vigilante malvenu (où sur ce registre croisant réalisme social et vendetta typique du film de genre un Harry Brown (2011) s’en sortait mieux) jurant avec la finesse qui a précédée. Les belles idées formelles (l’assaut de Dheepan dans poussière des balles évoquant un théâtre de guerre) ne saurait rattraper la lourdeur du propos, renforcé par un épilogue idyllique en Angleterre où c’est bien connu il n’y a pas de cité craignos et de racailles en survêtement.

En salle 


jeudi 27 août 2015

Une autre femme - Another Woman, Woody Allen (1988)

Marion (Gena Rowlands), la cinquantaine, est professeur de philosophie en congé sabbatique. Elle loue un pied-à-terre pour achever au calme l’écriture de son roman. Par le truchement d’une bouche d’aération, elle surprend la conversation entre une jeune femme (Mia Farrow) et son psychanalyste. Troublée par le désespoir de la jeune femme, Marion décide de la suivre, puis de la rencontrer. Cette rencontre l’amènera à s’interroger sur sa vie et sa relation aux autres.

Another Woman s’inscrit dans la veine Bergmanienne de Woody Allen qui, de Intérieurs (1978) à Crimes et délits (1990) en passant par Comédie érotique d’une nuit d’été (1982) accompagna toutes sa filmographie des 80’s. Another Woman constitue un hommage explicite à Les Fraises sauvages (1957) avec là également l’introspection d’un personnage à un moment clé de sa vie. Si le vieillard du classique de Bergman posait un regard attendri, nostalgique et lucide sur son passé, le bilan que fera la cinquantenaire Marion (Gena Rowlands) sera nettement plus douloureux.

En apparence Marion a tout pour être heureuse entre un second mariage réussi et une brillante carrière de professeur de philosophie. Alors qu’elle écrit son prochain roman dans un appartement loué en ville, un défaut d’isolation lui fait entendre les confessions des patients de son voisin psychanalyste. L’une d’entre elle va l’interpeller par son mimétisme avec sa propre existence avec le mal-être d’une jeune femme (Mia Farrow). Alors que l’inconnue est bien consciente de ses névroses, l’expérience sert de révélateur pour Marion se confrontant à sa froideur, son intellect lui faisant réfréner toute émotion. Entre vrais souvenirs et rêveries ainsi qu’une réalité cruelle, les conséquences passées, présentes et futures du caractère de Marion vont s’imposer à elle. 

Sa froide détermination lui aura toujours fait prendre la place d’un autre : son frère moins doué pour les études négligé par ses parents, l’ex-épouse de son mari qui la trompa avec elle durant de long mois d’adultère ou encore sa meilleure amie d’enfance jamais remise d’un amoureux qu’elle lui ravit sans même s’en rendre compte. Ce regard froid sur le monde s’avère détaché et superficiel (on s’étonnera de sa participation à tant d’association caritatives quand elle se montrera si peu compatissante envers son entourage) altère également son rapport à ses proches, peu enclin à se confier face à ses jugements de valeur impitoyable (sa belle-fille l’admirant tout en craignant ses opinions). Son mariage sera l’élément le plus emblématique de cet état, son époux Ken (Ian Holm) étant un vrai égoïste qui s’assume et auquel elle semble bien assortie.

Le film dessine ainsi progressivement l’éveil de Marion, prenant enfin conscience du vide de son existence et des occasions manquées (belle romance fugace avec Gene Hackman) conséquence de son attitude. Woody Allen évite le côté pesant d’Intérieurs, fragmentant ce voyage intime dans une narration flottante. Le fil rouge sera la voix-off de Marion, reflet discret de son caractère secret puisque l’émotion des images devancera plus d’une fois celle plus contenues de la voix-off n’osant admettre son dépit. Allen se montre d’une invention constante pour traduire par l’image et les situations le mal-être que n’ose s’avouer Marion. 

Des photos d’enfances prendront vie pour refaire vivre des instants douloureux, une séquence de rêve fait dire à ses amis les vrais sentiments qu’ils ont pour elle et parfois sans artifice narratif Marion s’avère carrément omnisciente sur les échanges amers de ses proches à son sujet. Cet aspect morcelé du récit dissémine ainsi les informations au fil de l’aveu qu’ose se faire Marion, les actes les plus cruels mais aussi les déceptions les plus profondes se révélant par la bouche d’une autre. 

L’apaisement des images se conjuguera à celle de cette voix intérieure uniquement dans la dernière scène, lorsqu’elle sera enfin en paix. L’atmosphère automnale et intimiste lorgne bien évidemment sur Bergman (la photo est signée Sven Nykvist, directeur photo emblématique d’Ingmar Bergman) mais Woody Allen parvient à en donner une interprétation réellement personnelle. Une œuvre méconnue et envoutante d’Allen, portée par une Gena Rowlands magnifique. Et au passage c'est le 1500e texte de ce blog !

Sorti en dvd zone 2 français chez MGM 

mercredi 26 août 2015

Yield to the Night - Jack Lee Thompson (1956)

Mary Price Hilton (Diana Dors) attend son exécution dans le couloir de la mort. Alors qu’elle espère toujours un report de dernière minute, elle n’arrive pas à regretter son geste, un crime de vengeance.

Trop souvent réduite à son sex-appeal ravageur qui en faisait le pendant anglais de Marilyn Monroe, Diana Dors prouva pourtant plus d'une fois son réel talent dramatique comme dans le film noir The Unholy Wife (1957) ou ce Yield to the Night. Elle y retrouve Jack Lee Thompson qui l'avait déjà dirigé à deux reprises dans The Weak and the Wicked (1954) et An Alligator Named Daisy (1955). Yield to the Night adapte le roman éponyme de Joan Henry (déjà adaptée justement par Jack Lee Thomson et Diana Dors avec The Weak and the Wicked) paru en 1954 mais le film eu un écho particulier tant sa trame se rapprochait d'un fait divers récent. En 1955, la star des nuits londonienne Ruth Ellis tua son amant par balles son amant David Blakely avant de se rendre à la police et après jugement elle fut la dernière femme condamnée à mort en Angleterre après une longue controverse médiatique.

On peut penser au départ voir dans Yield to the Night un plaidoyer contre la peine de mort et équivalent au beau film de Robert Wise Je veux vivre (1958). Rien de tout cela en fait mais plutôt un superbe portrait de femme. Le film s'ouvre sur séquence brutale où l'on découvre Mary Price Hilton (Diana Dors) arpenter la ville d'un pas déterminé jusqu'à arriver devant une maison où elle guette la sortie d'une femme qu'elle va abattre froidement de plusieurs coup de feu rageur. Jusque-là réduite à une simple silhouette, la caméra daigne enfin nous révéler son visage arborant les traits magnifiques de Diane Dors cependant altéré par un regard de démente. Nous retrouverons notre meurtrière quelques mois plus tard, en prison et en attente de sa date d'exécution ou de possible grâce. Toute la tension du film repose sur cette échéance et le récit se partage entre cette attente angoissée et un récit en flashback où le découvre les circonstances qui ont conduit Mary au crime.

La première rencontre avec l'homme qui causera sa perte est déjà placée sous un jour un jour funeste, puisqu'il se rend à la boutique de luxe où elle travaille afin d'acheter un parfum pour une autre. Tombée folle amoureuse de ce Jim (Michael Craig) elle va quitter son mari pour vivre pleinement cette passion. Pourtant celle qui se sera placée entre dès le premier jour ne cesse de hanter Jim qui malmène Mary tout comme il l'est lui-même par Lucy, l'amante richissime qui l'éconduit. On assiste ainsi à un triangle amoureux tragique où l'obsession amoureuse est décalée. Un terrible rebondissement attisera une haine meurtrière chez Mary qui va donc froidement tuer sa rivale et en payer le prix.

Après avoir montré les tourments de cette passion amoureuse et son issue tragique, on s'attardera donc sur le quotidien de la prison. Jack Lee Thomson filme la répétition de ce quotidien où en isolement, Mary voit défiler les journées au fil de ses repas, promenades et visites de sa famille. Ces angoisses et sa peur de mourir constituent également une monotonie glaçante entre ces crises de colère et les pas de la directrice approchant sa cellule pour possiblement lui donner la décision fébrilement attendue. Jack Lee Thomson fait de la cellule un véritable espace mental dont chaque recoin est désormais connu par cœur par Mary, et notamment cette porte sans poignée menant à la pièce où elle sera peut être exécutée. Diane Dors offre une prestation puissante, les scènes en flashback offrant d'elle l'image sexy et glamour que l'on connaît mais dans une veine plus trouble tandis que les scènes en prison constituent une vraie mise à nu.

Presque sans maquillage (où alors forcé pour l'enlaidir), son visage alterne les attitudes mornes, absentes et résignée avec la pure démence où en nage elle hurle au monde sa peur de mourir. Cette rage ne semble pas pouvoir trouver d'apaisement, cet amour passionnel encore vivace ne lui faisant pas regretter son geste. Ni la douleur de ses proches, ni les visiteurs bienveillants, ni la gardienne avec laquelle elle se liera (excellente Yvonne Mitchell) et pas même la religion ne sauront donner un semblant de paix intérieur âme tourmentée.

Cette approche donne donc au film un aspect à la fois froid et clinique face à l'issue inéluctable mais aussi profondément mélodramatique grâce à la prestation habitée de Diane Dors pour laquelle on éprouve malgré tout de la compassion. La conclusion est à l'image de ce double langage, la répétitivité et l'aspect mécanique n'étouffant pas l'émotion qui nous gagne durant les dernières images implacables.

Sorti en dvd zone 2 anglais chez Studiocanal et doté de sous-tites anglais

lundi 24 août 2015

Goldfinger - Guy Hamilton (1964)

L'agent secret 007 est chargé d'enquêter sur les revenus d'Auric Goldfinger. La Banque d'Angleterre a découvert que ce dernier entreposait d'énormes quantités d'or, mais s'inquiète de ne pas savoir dans quel but. Quelques verres, parties de golf, poursuites et autres aventures galantes plus loin, James Bond découvre en réalité les préparatifs du "crime du siècle", dont les retombées pourraient amener le chaos économique sur les pays développés du bloc de l'Ouest...

Le succès de Dr No (1962) et Bons baisers de Russie (1963) aura installé les James Bond comme une solide franchise cinéma et fait de Sean Connery une star. Ce n’était qu’un prélude à la véritable bondmania qui allait s’installer avec ce Goldfinger, faisant de la saga un véritable phénomène de société. Le budget confortable de 3 millions de livres (loin des modestes 900 000 du premier épisode) autorise les rêves de grandeurs de Cubby Broccoli et Harry Saltzman et le choix de Guy Hamilton s’avère tout indiqué pour ce virage. Ayant initialement refusé de réaliser Dr No, Hamilton remplace Terence Young et par ses choix tire définitivement Bond hors du monde réel. Hormis l’ajout de l’organisation du SPECTRE, les deux premiers volets en restaient à des trames relativement crédibles et dans le cadre du récit d’espionnage tout en y ajoutant des éléments plus excitants du film d’aventure.

En adaptant le septième roman de Ian Fleming, on quitte ces sphères rien qu’avec la nature extravagantes de son mémorable méchant. Auric Goldfinger (Gert Fröbe) n’a aucune visée politique et est un mégalomane entièrement soumis à sa passion dévorante pour l’or, dont il n’est jamais assez pourvu. Un pur personnage de bd auquel le ton du film est entièrement soumis. Guy Hamilton assume l‘outrance et la dimension fantaisiste de l’univers bondien qu’il voit comme un cocktail de luxe, jolies filles et d’actions à ne pas prendre au sérieux. Contrairement aux trois autres Bond franchement ratés qu’il signera (Les Diamants sont éternels (1971) et surtout les mauvais Vivre et laisser mourir (1973) et L’Homme au pistolet d’or (1974)), Hamilton a ici le juste dosage qui empêche le film de tirer le film vers la parodie tout en assumant totalement le côté extravagant et irréaliste.

La mise en scène percutante de Terence Young laisse place à un style plus posé et élégant, mettant en valeur l’environnement chic et choc de Bond. Le 007 brutal et impitoyable des deux premiers films n’existe que le temps de la désormais traditionnelle scène pré générique indépendante de l’intrigue (Bond se protégeant d’un coup avec la tête de l’amante qu’il tient dans ses bras) et s’avère moins menaçant. Sean Connery l’incarne avec toujours autant de prestance mais à son intelligence et pouvoir de déduction s’ajoutent désormais les gadgets ludiques et prenant une place importante dans l’intrigue, la mythique Aston Martin DB5 en tête. 

Les mises à mort sont aussi inventives et cruelles que raffinée avec la malheureuse Shirley Eaton couverte d’or. Gert Fröbe (préféré à l’onéreux choix initial d’Orson Welles) incarne l’un des méchants les plus mémorables de la saga, truculent, outrancier et obsessionnel. Sa bonhomie de façade dissimule une véritable folie à la hauteur de son plan diabolique et improbable : assiéger et piller Fort Knox. Cet esprit dérangé lâchera d’ailleurs une des répliques cultes de la série 

« (James Bond) : Do you expect me to talk? ?
(Goldfinger) : No, Mr Bond, I expect you to die. »

Les bons mots et les desseins mégalomane seront servis par l’impressionnant et taiseux homme de main Oddjob (le catcheur hawaïen Harold Sakata), placide et rigolard sous les coups de Bond et achevant ses adversaires de son chapeau d’acier. Prisonnier de ses ennemis pratiquement la moitié du film, Bond ne gagne pas complètement ses galons de surhomme (ce sera le cas avec l’impressionnant épisode suivant Opération Tonnerre (1965)) et ne s’imposera que par sa toute puissante virilité. 

Explicite dans le livre mais subtilement exprimée dans le film, la nature lesbienne de l’acolyte de Goldfinger Pussy Galore (Honor Blackman première héroïne de The Avengers à jouer dans un Bond avant Diana Rigg et Joanna Lumley) est source d’échanges amusants lors des confrontations avec Bond. Son indifférence est un défi pour Bond et sa séduction s’impose dans un machisme typique du personnage. Après avoir fait passer un agent russe à l’Ouest par son seul charme dans Bons Baisers de Russie, Bond ne fait pas seulement changer de camp Pussy Galore, mais aussi d’orientation sexuelle. On devine la veine plus piquante de Guy Hamilton et son intérêt pour Bond puisqu’au niveau de l’action pure il est loin d’égaler Terence Young.

Le spectaculaire final ne fonctionne que par son postulat too much (la nature et l’exécution du plan fou de Goldfinger) mais pas par l’illustration qu’en fait Hamilton. Heureusement le pétaradant score de John Barry (et l’inoubliable chanson de Shirley Bassey) ainsi que la folie des décors de Ken Adam font passer par l’image cette grandiloquence. L’intérieur de Fort Knox est une création incroyable, tout en chrome doré et surplombé de ses innombrables lingots d’or. Hamilton compense (pour cette fois en tout cas) la relative mollesse par un sens du style qui fait mouche et ajoute les derniers éléments manquant à la formule bondienne. Enfin plus grand que nature et dans un univers fou à sa mesure, Bond est fin prêt pour sauver le monde pour la première fois dans le volet suivant. 

 Sorti en dvd zone 2 français et bluray chez Fox

 

samedi 22 août 2015

Détective du bon Dieu - Father Brown, Robert Hamer (1954)

Le père Brown, un prêtre catholique, se voit confier la mission de soustraire une croix de grande valeur à la convoitise d'un voleur réputé. Or, l'ecclésiastique entend contrecarrer le vol, tout en sauvant l'âme du malfaiteur.

Father Brown est la troisième adaptation du célèbre personnage de prêtre détective créé par G.K. Chesterton. Le film est en fait le remake de Father Brown, Detective (1934) première transposition de Edward Sedgwick avec Walter Connolly dans le rôle-titre. Le film de Robert Hamer reprend le principe du scénario de cette première version en adaptant la nouvelle La croix bleue (première des 51 nouvelles consacrée au personnage) mélangée à l'intrigue d'autres nouvelles. Le mélange d'humour anglais et de vraie intrigue policière alambiquée offre donc une illustration réussie du personnage, bien aidé par l'interprétation facétieuse d'Alec Guinness.

La scène d'ouverture donne une bonne idée de la singularité des enquêtes du père Brown. Alerté par un cambriolage, des policiers ne voient pas le vrai voleur s'échapper et trouve notre héros en train de remettre le butin en place. On découvrira que le voleur était un paroissien que le prêtre a couvert et remis sur le droit chemin avec humour en lui signifiant qu'il était un bien piètre criminel. En effet, le goût pour les énigmes criminelles du père Brown n'est pas un passe-temps mais au contraire une part entière de son sacerdoce religieux où il s'entend à remettre les malfrats qu'il coince sur la voie de l'honnêteté. On évite tout prêchi-prêcha religieux grâce à l'humour des situations et de la truculence du personnage, gaffeur, lunaire et inoffensif en apparence mais à l'intelligence redoutable. Il va avoir à faire à forte partie lorsqu'il devra mettre à l'abri de Flambeau, un voleur chevronné et caméléon la prestigieuse croix de sa paroisse.

Le duel entre le père Brown et Flambeau est amené avec brio, le voleur étant interprété par Peter Finch. Les deux rivalisent de subtilité pour duper l'autre et sans trop en dire le moment où les masques tombent est savoureux, l'acuité de Brown fonctionnant pas sur l'observation des lieux et des objets mais de celles des âmes humaines qu'il sait observer et souhaite apaiser. Dès lors, tout en ayant démasqué Flambeau, Brown décèle la fragilité secrète en lui et décide de lui éviter l'arrestation, le traquant pour mieux l'absoudre. On aura ainsi une intrigue très ludique où la police piste le père Brown afin de remonter jusqu'à Flambeau. Peter Finch en simili Arsène Lupin volant pour le plaisir de l'adrénaline offre une prestation à la vulnérabilité subtile et dégage une classe folle. Le duo formé avec Guinness fonctionne à merveille et finalement on regrettera que le film soit si court tant il y avait matière à pousser plus loin le jeu.

Très agréable même s'il y avait matière à rendre la chose plus tortueuse (d'autant que certaines résolutions des nouvelles s'avère très inventives) mais on passe un bon moment. A noter une curiosité, une partie de l'intrigue se déroulant en France on trouve Gérard Oury encore acteur dans un rôle de flic franchouillard amusant.

Sorti en dvd zone 2 anglais chez Sony 

Extrait

vendredi 21 août 2015

Diabolo Menthe - Diane Kurys (1977)

Septembre 1963, la rentrée des classes. Anne, treize ans, et sa sœur Frédérique, quinze ans, vont être confrontées à une double évolution: la leur et celle d'un monde en pleine effervescence.

Frustrée par les emplois qu’on lui propose dans sa carrière d’actrice, Diane Kurys décide de se réorienter vers l’écriture. Cette orientation se fera dans un premier temps dans le sillage de cet emploi d’actrice quand elle adapte la pièce The Hot l Baltimore de Lanford Wilson qu'elle joue à l'Espace Cardin. Après une discussion avec un ami à qui elle avait narré ses souvenirs d’une enfance qui l’a profondément marquée, ce dernier lui suggère d’orienter son écriture vers cette facette plus personnelle. Au départ envisagé pour un livre autobiographique, Diabolo Menthe devient un scénario de film que Diane Kurys malgré sa totale inexpérience (et la rareté des femmes réalisatrices en France à l’époque) souhaite réaliser. Le mélange de nostalgie, de justesse sur la difficile période de l’adolescence et le fait de l’aborder d’un point de féminin (puisque pour les garçons Les 400 coups (1959) de François Truffaut est passé par là) frappera juste et fera du film un succès inattendu et un véritable phénomène de société à sa sortie.

L’émotion de cette histoire se conjugue à l’échelle de ces souvenirs si personnels pour Diane Kurys mais aussi au contexte en mutation de cette période du début des années 60. Anne (Éléonore Klarwein), treize ans, et sa sœur Frédérique (Odile Michel), quinze ans entament une nouvelle année scolaire au sein du lycée Jules Ferry. Anne la cadette (et double de la réalisatrice) est la plus vulnérable, celle qui entame cette période avec le plus de difficulté. Diane Kurys évoque les émois de son héroïne avec en filigrane (la fin et le début des vacances d’été où elle retrouve son père ouvrent et concluent le film, tout en en constituant une sorte d’entracte photographique lors des vacances aux sports d’hiver) le divorce de ses parents, véritable traumatisme qui à cette époque les distinguait avec sa sœur de ses autres camarades. Ce manque s’ajoutera aux premiers questionnements sur les mutations de son corps (les premières règles simulées puis vécues comme un évènement), son statut de cadette malmenée et souvent exclue par son aînée du cercle de ses amis ou des discussions avec leur mère. 

Le contexte rigide de cette époque n’aide pas à s’épanouir non plus, Kurys évoquant la sévérité si ce n’est les abus malveillants de certains professeurs (traumatisant moment où une jeune fille est violemment démaquillée par la prof de dessin adepte de l’humiliation). Les élans de rébellion n’en sont que plus jubilatoires, Diane Kurys ayant demandée à ses amis de la troupe du Splendid de lui narrer quelques-uns de leurs mauvais coup de jeunesse qu’elle transpose ici et dont sera d’ailleurs victime une hilarante Dominique Lavanant en prof de maths malmenée. Ce trouble intime mêlé d’insoumission se dévoilera aussi à travers le contexte politique agité d’alors qui se reflète sur ces adolescents. 

L’adhésion naïve aux thèse communistes et premiers élans de pacifisme anti-nucléaire de Frédérique est ainsi autant une manière de se démarquer que d’affirmer une position opposée aux adultes neutre (la mère refusant toute allusion à la politique) ou solidement ancré à droite (le dîner chez les parents d’une camarade témoignant de cette hostilité). Cela donnera aussi une des scènes les plus touchantes du film lorsque la jeune Pascale (Corinne Dacla) relate en classe avec ses mots simple l’émotion ressentie lorsqu’elle assista à la violente répression policière durant les manifestations contre l'OAS et la guerre d'Algérie métro Charonne en 1961.

Éléonore Klarwein est une magnifique révélation. Elle incarne merveilleusement ce mélange de candeur et de profonde mélancolie propre aux soubresauts émotionnel de cet âge ingrat. Cette naïveté ancre le film dans son époque par rapport à des adolescents d’aujourd’hui (mais ce décalage devait sans doute déjà exister entre ceux du film et les jeunes spectateurs de 1977) notamment les discussions sur le sexe mais Diane Kurys parvient à toucher à l’universel par ce malaise latent, ce bouillonnement intérieur incontrôlable qui nous fait rire puis pleurer dans la minute, commettre des actes impulsifs et incompréhensible (le vol en pleine rue).

La réalisatrice atteint le juste équilibre dans ce point de vu au féminin en confrontant innocemment ses personnages aux premiers élans amoureux, tout en ne sexualisant pas gratuitement son propos (elles restent des jeunes filles en développement avant tout même la grande sœur) si ce n’est avec humour pour évoquer la question sensible des vieux satyres lorgnant sur ces lycéennes court vêtues faisant du sport. Le score sobre, entêtant et à la subtile sensibilité capture bien le ressenti du film et la chanson-titre rencontrera un beau succès.

En se dévoilant si impudiquement (sa grande sœur s’excusera auprès d’elle après avoir vu le film), Diane Kurys touche à l’universel et nous frappe en plein cœur. C’est d’ailleurs en poursuivant cette exploration intime qu’elle signera certains de ses meilleurs films suivants, Coup de foudre (1983, sur la rencontre et la séparation de ses parents) et La Baule-les-Pins (1988, sur le spectacle de cette séparation par les enfants en pleine vacances d’été) poursuivant le cycle entamé avec ce magnifique Diabolo Menthe

 Sorti en dvd zone 2 français chez TF1 vidéo


mercredi 19 août 2015

Noblesse Oblige - Kind Hearts and Coronets, Robert Hamer (1949)

Héritier éloigné de la maison ducale d'Ascoyne-Chalfont, Louis Mazzini élimine successivement, par des méthodes aussi variées qu'inventives, tous les prétendants qui le séparent du titre, avant finalement de tuer le duc lui-même lors d'une partie de chasse, en maquillant l'assassinat en accident. Le soir où il est enfin proclamé duc, un officier de police vient l'arrêter pour un meurtre qu'il n'a pas commis, celui du mari de sa maîtresse. Condamné à mort, il écrit dans sa cellule de prison des mémoires où il relate ses crimes réels.

Très loin de se résumer à la performance multiple d’Alec Guinness qui y joue huit rôles, Kind Hearts and Coronets est un des chefs d’œuvres du studio Ealing et un grand classique du cinéma anglais. Sorti la même année que Passeport pour Pimlico, le film incarne avec celui-ci le grand virage du studio vers la comédie caustique fustigeant la société anglaise. Pourtant Noblesse Oblige par son amoralité, la virulence du propos et sa manière de bousculer absolument toutes les valeurs anglaises détone même par rapport à d’autres productions Ealing qui suivront. Le film sort durant les difficiles années d’après-guerre où le pays se reconstruit et souffre encore des privations, ces valeurs et cette identité anglaise ayant justement constitués un socle afin d’unifier le peuple face à l’adversité. Noblesse Oblige vient bousculer cet état d’esprit avec son héros au froid individualisme, symbole de ce que la guerre a bousculé à savoir l’impitoyable système de classe de la société anglaise. 

Un retour à cette injustice est impossible et Robert Hamer, certainement le réalisateur Ealing aux préoccupations sociales les plus marquées (se souvenir de son remarquable Il pleut toujours le dimanche (1947)) s’avère le plus indiqué pour donner un coup de pied dans la fourmilière. Le film s’inspire du roman Israel Rank: the autobiography of a criminal de Roy Horniman paru en 1907. Le scénario reprend le postulat ainsi que le cadre de l’Angleterre édouardienne (symbole d’une injustice remontant loin dans l’histoire du pays) mais effectue plusieurs changements majeurs. Le héros meurtrier du roman était à moitié juif et cette caractéristique pouvait autant signifier l’antisémitisme d’alors ou dénoncer au contraire l’image intéressée que l’on se faisait des juifs à l’époque. Une ambiguïté impossible à entretenir alors que se sont dévoilées récemment les horreur d’Auschwitz mais Hamer souhaitant associer cette lutte des classe d’une certaine forme de racisme fera du héros un italien. La cruauté du roman (où le héros n’hésitait pas à tuer des enfants pour parvenir à ses fins) est retranscrite par une ironie et un humour noir savoureux s’exprimant notamment par la voix-off détachée de Dennis Price.

Sa mère ayant choisie l’amour plutôt que le rang en épousant un ténor italien, Louis Mazzini (Dennis Price) se voit détourné de la prestigieuse lignée des Ascoyne-Chalfont, prestigieuse famille noble anglaise. Il aura malgré son milieu modeste été élevé dans le souvenir de cette parenté, étudiant les arbres généalogique et interdit de se mêler aux autres enfants indignes de son rang. Les D’Ascoyne n’ont pourtant que faire de cette famille embarrassante, refusant d’aider financièrement Louis et sa mère ou de contribuer à sa carrière. Forcé de travailler comme simple commis de magasin, Louis voit pourtant sans rancœur prendre une toute autre dimension lorsqu’il sera refusé à sa mère tragiquement décédée de reposer dans le caveau familial. Il va alors radicalement reconquérir son rang, assassinant les huit héritiers Ascoyne qui le sépare du duché.

Les D’Ascoyne représentent différentes facettes de l’éloignement des réalités de cette aristocratie (arrogance, snobisme, bêtise, sens de l’honneur par l’absurde l’amiral) et toutes endossent le visage d’un Alec Guinness qui s’en donne à cœur joie dans un transformisme loufoque. « L’ennemi » nanti par cette incarnation uniforme représente donc une métaphore de l’aristocratie imbue d’elle-même tandis que Hamer proposera une illustration plus hétérogène de la populace qui ne vaut guère mieux. Louis Mazzini représente le pont entre les deux classes sociales, partageant la condescendance des riches pour les classes inférieures et l’avidité des pauvres pour s’élever à tout prix dans la société. 

Dennis Price est parfait pour exprimer cette dualité. Si l’on peut être tout d’abord touché par ses déconvenues (notamment la mort de sa mère, seule scène où il semble exprimer une émotion sincère), sa froide détermination dans le crime, les manières de plus en plus arrogantes de sa prestance de gentleman et les répliques distanciées finissent par le rendre aussi antipathique que ceux qu’il combat. Ce renvoi dos à dos s’exprime également à travers les deux personnages féminins. La dépravation, l’ambition et le calcul de l’amie d’enfance Sibella (Joan Greenwood) n’a d’égal que la pudibonderie, la naïveté et la conscience de son rang de la belle Edith d'Ascoyne (Valerie Hobson). La séduction provocante de la première répond à la prestance et à la beauté élégante de la seconde, manifestation des deux mondes dont est issus notre héros.

 La mise en scène de Robert Hamer participe de cette approche par son inventivité. Le visions majestueuses du luxe dans lequel vivent les D’Ascoyne sont non seulement atténuée par leurs attitudes arrogantes mais aussi par leurs morts ridicules que le réalisateur filme avec un sens du gag (l’amiral noyé, la chute dans la cascade) et des situations grotesques (le prêtre empoisonné) qui transforme l’ensemble en un réjouissant jeu de massacre où le rire atténue la violence des situations – mais pas toujours comme ce coup de fusil dénué du moindre trait d’humour. Bêtes, imbus d’eux-mêmes et éloigné des réalités dans les hautes sphères et  prêts à tout pour réussir, froidement intéressés et immoraux au sein du peuple.

Les aristocrates accrochés à leurs privilèges s’avèrent aussi méprisables que les roturiers qui ne rêvent que de prendre leurs places. Telle est l’Angleterre bousculée que nous dépeint Robert Hamer. Le final salue ainsi ce triomphe de la vilenie (et le prolongement de façade de ces valeurs avec le bourreau et le personnel de la prison si déférents envers le duc) et du cynisme calculateur, la luxure comme le confort s’offrant à notre héros avec ces deux prétendantes dont une devra radicalement s’effacer. Le montage américain tentera bien d’édulcorer l’ensemble avec l’ajout d’un épilogue où le journal de confession est découvert mais c’est bien le regard malicieux de Dennis Price qui marquera l’impression d’ensemble. Un classique absolu.

Sorti en dvd zone 2 français et bluray chez Studiocanal