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vendredi 27 novembre 2015

Blade - Stephen Norrington (1998)

Mi-homme mi- vampire, possédant toutes les qualités des goules et aucune de leur faiblesse, capable de vivre en plein jour, Blade traque sans pitié les suceurs de sang. Aidé de Whistler, son mentor et armurier, il est le cauchemar de la Nation Secrète des Vampires, dont les membres infiltrent toutes les couches de la société. L'un d'eux, Deacon Frost, avide de pouvoir, souhaite asservir le monde et la race humaine en invoquant le Dieu du sang. Un seul homme peut se mettre en travers de son chemin : Blade...

Aujourd’hui un peu oublié, Blade représente pourtant une date fondamentale dans l’adaptation de comics. Jusque-là les rares transpositions réussies étaient à aller chercher du côté de DC Comics avec le classique Superman (1978) de Richard Donner et la doublette ténébreuse de Tim Burton Batman (1989) et Batman, le défi (1992). Marvel était loin d’avoir été aussi bien loti, entre série tv kitsch (L’Incroyable Hulk, un piteux Spider-Man dans les 70’s), vrai bon nanar (deux versions de sinistres mémoires de Captain America dans les 70’s et à la fin des 80’s, Punisher) et productions invisibles (la première version des Quatre Fantastiques produite par Roger Corman). Pourtant avec leur mélange de soap, d’aventures spectaculaires et héros torturés, les comics Marvel avaient tout pour séduire le grand public mais chaque tentative donnait un résultat fauché et embarrassant. Blade vient donc changer la donne à tout point de vue. Star montante du cinéma d’action depuis sa confrontation avec Stallone dans Demolition Man (1993), Wesley Snipes rêve d’incarner un personnage à sa démesure, et quoi de mieux qu’un super-héros ? Il se penchera donc sur Blade, un des rares super-héros noir de l’univers Marvel. Blade est un personnage secondaire de Marvel créé par  Marv Wolfman et Gene Colan et apparu pour la première fois dans le comics Tomb of Dracula en 1970.

Cette faible notoriété autorise ainsi des refontes en profondeur pour le passage au cinéma qui n’offusqueront pas les fans et surtout feront école pour les adaptations Marvel à venir. Le look flashy et disco de la BD laisse ainsi place à une panoplie sombre et ténébreuse dont Bryan Singer saura se souvenir avec son X-Men (2000). L’environnement urbain nocturne et techno SM préfigure Matrix (1999), tout comme le mélange d’arts martiaux et d’armes à feu constituant l’arsenal de Blade et aussi ce fameux look long imper et lunettes noires. Le grand changement interviendra aussi quant aux origines et pouvoirs de Blade. Sa mère ayant été mordue par un vampire avant de le mettre au monde, le métabolisme de Blade s’en trouve affecté. Dans le comics, c’est un être humain normal si ce n’est qu’il est insensible aux morsures de vampires et qu’il a hérité de leur vieillissement ralenti. Le scénario de David S. Goyer (qui venait d’écrire Dark City (1998) et s’occuperait de la reprise de Batman par Christopher Nolan) lui fait au contraire endosser tous les pouvoirs des vampires mais sans les désavantages (il ne souffre pas de la lumière du soleil) si ce n’est la soif de sang qu’il calme à l’aide d’un sérum. 

Une formidable idée qui fait de Blade un héros déchiré entre sa soif de justice et sa vraie nature. Monstrueux aux yeux des humains par ses facultés, il l’est tout autant pour les vampires qu’il déteste mais dont il partage des bas-instincts réprimés. C’est une manière d’introduire une problématique raciale dans la crise d’identité de Blade. On peut tout autant l’associer à un métis dans un monde ségrégationniste qu’à un noir/vampire ayant prêté allégeance à l’homme blanc/humain et ayant ainsi renié ses origines. Le méchant Deacon Frost (Stephen Dorff) lui lancera d’ailleurs l’insulte particulièrement connotée « d’Oncle Tom » pour bien signifier l’analogie.

Cette notion d’échelle entre les races se joue d’ailleurs aussi chez les vampires où Deacon Frost est méprisé car devenu vampire par morsure et pas né ainsi comme l’élite. Dominer les humains est ainsi une manière de dépasser ses origines souillées, tout comme Blade affronte les vampires pour oublier la part honteuse de sa nature. L’interprétation à la fois hargneuse et vulnérable de Wesley Snipes (honteux et replié sur lui-même chaque fois qu’il doit prendre le sérum) s’oppose ainsi à la décontraction rock’n’roll de Stephen Dorff mais dissimulant une même fêlure pour ses personnages jumeaux.

Stephen Norrington enrobe toutes ces thématiques dans un spectacle nerveux et brutal. Il est dommage qu’un caractère orageux et perfectionniste (il se brouillera avec Wesley Snipes ce qui l’écartera de la suite, puis en viendra aux mains avec Sean Connery sur La Ligue des gentlemen extraordinaires (2003)) lui ait coûté sa carrière tant il fait montre d’un vrai brio visuel. L’ouverture offre une séquence d’anthologie où un malheureux quidam est embarqué dans une rave clandestine dans des abattoirs peuplés de vampires. Soudain s’enclenchent des douches de sang dont le flots s’anime au rythme des pulsations des beats techno, des danseurs euphoriques et ensanglantés et de la terreur du seul humain dans la pièce. Stoïque, taciturne et véloce, Blade surgit dans ce chaos pour décimer du vampire à tour de bras. 

Le reste du film n’égale pas cette mémorable entrée en matière mais offre son lot d’action survitaminée. Wesley Snipes s’en donne à cœur joie dans les poses frimeuses, lâche un sourire goguenard et satisfait au moment de donner le coup de grâce et surtout déploie ses impressionnantes aptitudes en art martiaux. On regrettera cependant des effets numériques assez indigents (ils l’étaient déjà à l’époque de la sortie) qui gâchent parfois la bonne impression, notamment le face à face final qui fut retourné après projection-test car le public regrettait l’absence de Stephen Dorff, Blade affrontant la divinité de la Magra. Le film remportera un grand succès, voyant ses choix artistiques, son esthétique et certaines péripéties largement reprise par la concurrence (toute la séquence du métro en partie copiée dans Matrix) sans pour autant en recueillir la légitime reconnaissance après la démocratisation du film de super-héros au cinéma. Guillermo Del Toro en signera une suite virtuose en 2002 avec Blade 2 (2002) avant que David S. Goyer passe à la réalisation et enterre la saga avec le raté Blade : Trinity (2004).

Sorti en dvd zone 2 français chez Metropolitan 

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