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lundi 25 janvier 2016

Jeanne d'Arc - Joan of Arc, Victor Fleming (1948)

Jeanne D’Arc est l’avant-dernier film hollywoodien (le dernier étant Les Amants du Capricorne d’Alfred Hitchcock) d’Ingrid Bergman avant ses aventures cinématographiques et sentimentales en Italie aux côtés de Roberto Rossellini. Même si c’est bien le scandale de cette liaison avec Rossellini qui provoquera son bannissement d’Hollywood, ce départ arrivait à point nommé tant Ingrid Bergman accomplissait là un rêve longtemps poursuivit en interprétant à l’écran la Pucelle d’Orléans. A son arrivée aux Etats-Unis, David O. Selznick lui fit miroiter en vain cette possibilité lorsqu’il l’engagea pour un contrat de sept ans mais soi en proie à des difficultés financières, soit par mauvaise volonté, le projet ne vit jamais le jour. La dimension d’icône religieuse et historique n’était pas le principal attrait d’Ingrid Bergman pour Jeanne D’Arc mais plutôt celle féministe voyant à force de volonté une jeune paysanne illettrée se faire une place emblématique dans un monde d’hommes. 

La star en imaginait un parallèle à son propre parcours où d’une enfance chaotique dans sa Suède natale elle se hisserait au rang des plus grande stars hollywoodiennes par son abnégation. Ingrid Bergman avait rongé son frein en interprétant Jeanne d’Arc sur scène d'après la pièce Joan of Lorraine de Maxwell Anderson et une fois libérée de son contrat avec David O. Selznick elle tentera d’en monter une adaptation cinématographique sur son nom. La société de production Sierra Pictures sera spécialement créée pour l’occasion et Ingrid Bergman sollicite Victor Fleming à la réalisation, lui qui fut le premier à la sortir de ses emplois habituels de personnages victime dans  Docteur Jekyll et M. Hyde (1941).

Le scénario (coécrit par Maxwell Anderson lui-même) joue essentiellement sur la facette de sainte immaculée de Jeanne d’Arc, son ouverture sur une nuée de cloche puis les vues de fresque religieuse sur fond de voix-off pieuse annonçant le ton du récit. L’ensemble du film aurait plutôt tendance à évoquer les atmosphères exaltée que l’on trouve dans le péplum biblique, pas encore complètement revenu en grâce à Hollywood (ce sera pour la décennie suivante et les besoin en spectaculaire du cinémascope) mais dont on retrouve une certaine grandiloquence ici à travers la musique de  Hugo Friedhofer gorgée de chœurs  célestes ainsi que par le jeu hébété d’une partie du casting. Il suffirait d’un rien pour que le film cède au kitsch mais le but de Victor Fleming est justement d’équilibrer le film entre emphase extatique et facteur humain. C’est paradoxalement par l’illustration de Jeanne d’Arc que naît cette facette plus fragile qui crée la proximité plutôt que la distance avec l’icône. Les voix appelant Jeanne vers sa glorieuse destinée n’existent que par l’émotion qu’elles éveillent chez la jeune fille et c’est sa détermination à suivre leurs échos qui les rendent réelles. 

Tout en affirmant la piété de son héroïne, Fleming dévoile son courage et son audace dans une veine intime. Ainsi le contexte géopolitique d’une France à l’agonie ne se découvre qu’à travers le regard de Jeanne, connaissant son avenir depuis longtemps sans oser y souscrire (par peur comme par respect de sa famille) et qui décidée à obéir à l’appel quand elle entendra la situation catastrophique d’Orléans, dernier bastion français face à l’envahisseur anglais. La parole et la croyance de celui qui en use fait foi, nul besoin de visions de désolations pour comprendre que le pays souffre, le tourment et la souffrance de Jeanne est celle de la France. C’est cette foi ardente permet à Jeanne de faire vaciller la décision d’un pouvoir corrompu (José Ferrer en Charles VII tour à tour cynique et convaincu), de susciter le respect d’une armée démobilisée et enfin d’éveiller l’amour de tout un peuple pour lequel elle ravive l’espoir de jours meilleurs.

Victor Fleming trouve constamment le ton juste entre l’ampleur croissante de l’aura de Jeanne et le caractère humble de celle-ci. Durant la scène où elle va à la rencontre de Charles VII, le travelling n’accompagne que son mouvement parmi les silhouettes anonymes des courtisans jusqu’à la découverte du souverain. Ce dernier, caché dans l’assemblée comme face à ses responsabilités envers la France est ainsi mis à nu et ne pourra qu’acquiescer aux désirs de Jeanne. Un même travelling arrière la figera dans un tableau en mouvement lorsqu’elle exhortera les soldats à une plus vertu qui fera d’eux une armée sainte. Cette nature d’emblème divin d’une cause juste s’affirmera avec plus de force encore durant les scènes de guerre. Jeanne se distingue sur le champ de bataille par son armure à l’éclat immaculé et portant haut l’étendard, n’ayant de guerrière que l’allure mais incarnant surtout un symbole galvanisant les troupes et effrayant l’ennemi. 

Le scénario s’écarte des interprétations faisant de Jeanne une combattante (d'où par exemple l'absence d'un évènement historique capital comme la Bataille de Patay) et privilégie une fois de plus son aura et sa parole, la simple présence dans ce carnage suffisant à exprimer le courage de cette frêle jeune femme. Victor Fleming privilégie une esthétique évocatrice plutôt qu’une vraie grande bataille spectaculaire. Les ciels rougeoyant, les compositions de plan et cadrages évoquent parfois son Autant en emporte le vent mais accentuent surtout la théâtralité des évènements en cours dans une approche qui annonce le Excalibur (1981) de John Boorman. Seule le dernier « tableau » du désintérêt pieux de Jeanne sera perverti lors du couronnement de Charles VII. Fleming compose une fresque somptueuse avec ce décor d’église extraordinaire mais cette fois la pureté de Jeanne la perd : tandis qu’elle se jette aux pieds de son roi, celui-ci envieux n’a d’yeux que pour la foule qui scande le nom de Jeanne. Les renoncements et trahisons à venir s’annoncent dans ce qui est pourtant l’apogée de l’épopée de Jeanne.

Après avoir réussi à imposer sa foi à un monde perverti durant la première partie, Jeanne devra la maintenir vivace lorsqu’elle se trouvera à la merci de l’ennemi anglais, vendue par les bourguignons. La dernière partie dépeint ainsi le long et arbitraire procès qui aboutira à la mise au bûcher de Jeanne. Ce passage est certes intéressant – et suit vraiment fidèlement la chronologie et le détail des évènements - quant à sa description de la perversion religieuse sur l’autel de la politique le sujet mais sera traité avec bien plus d’acuité plus tard avec Les Diables (1971) de Ken Russell. Ce qui intéresse ici c’est toujours Jeanne qui ne pouvant pas convaincre, doit résister, sûre des convictions et du Dieu qui l’ont conduite à toute ses épreuves. Fleming avait réussi sous les exploits à maintenir cette fragilité signe d’espoir et de réserve, et l’émotion n’en sera que plus forte face à l’oppression physique et psychologique des anglais. 

C’est cette fois en la figeant au centre du cadre, en la scrutant en légère plongée que Fleming lui donne une grandeur à la fois divine et humaine alors qu’elle est la plus vulnérable. Sa volonté vacille, la faisant redevenir une jeune fille ayant peur de mourir et perdue dans le silence où l’on abandonnée les voix. C’est une passionnante et subtile confrontation au doute (que Luc Besson tentera avec moins de finesse d’exprimer aussi dans sa version où il place Jeanne face à sa conscience), une mise à l’épreuve qui fera comprendre son rôle à Jeanne. C’est par son sacrifice qu’elle deviendra une adversaire indestructible, scrutant l’ennemi du haut des cieux qu’elle s’apprête à rejoindre. Fleming une fois de plus oscille entre grandiloquence (où les chœurs s’emballent, le peuple se lamente et les cieux s’entrouvrent) et le visage calme de Jeanne face aux flammes montantes du bûcher. Cette volonté de grandeur se devine d'ailleurs par la trame fidèle à la grande Histoire mais qui en omet les échecs (la série de défaite de Paris à Compiègne qui conduit à l'arrestation quasiment éludé).

Ni vraiment spectaculaire, ni réellement intimiste, le film divisera grandement à sa sortie. Ingrid Bergman habitée comme jamais se montrera déçue par ce film trop longtemps fantasmé mais cela viendra sans doute plus du souvenir de la romance tumultueuse - et expliquant l’intensité à fleur de peau de son interprétation -  entretenue durant le tournage avec un Victor Fleming dont ce sera le dernier film - il décède d’une crise cardiaque deux mois après la sortie. Après une première mitigée, un remontage amputera le film de 40 minutes (il ne sera restauré qu’en 1998) mais rien n’y fera même si le film ne sera pas un total échec financier. Ingrid Bergman s’affirmera comme femme libre de ses choix par son aventure avec Roberto Rossellini mais l’association du public avec son personnage n’en rendra que plus forte la vindicte morale. C’est pourtant bien par cette dualité entre sainte icône et adolescente chétive qu’elle offre une des plus fascinantes Jeanne d’Arc de l’histoire du cinéma. 

Sorti en dvd zone 2 français à l'Atelier du film

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