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mardi 16 février 2016

Boulevard du crépuscule - Sunset Boulevard, Billy Wilder (1950)

Norma Desmond, grande actrice du muet, vit recluse dans sa luxueuse villa de Beverly Hills en compagnie de Max von Meyerling, son majordome qui fut aussi son metteur en scène et mari. Joe Gillis, un scénariste sans le sou, pénètre par hasard dans la propriété et Norma lui propose de travailler au scénario du film qui marquera son retour à l'écran, Salomé. Joe accepte, s'installe chez elle, à la fois fasciné et effrayé par ses extravagances et son délire, et devient bientôt son amant.

De ses balbutiements à ce début des années 50, Hollywood aura connu bien des mutations pour maintenir intact son attrait, du faste du cinéma muet des années 20 à la révolution du parlant en passant par la rutilance du technicolor. Ces basculements se seront fait par la grâce d’artistes de talents et bien évidemment de stars alors élevées au rang de déité en ces heures où le septième art était le divertissement le plus populaire. Pour préserver son éclat et faire sa mue au fil des décennies, l’industrie hollywoodienne aura dû sacrifier ses icônes désuètes pour en élever d’autres, possédant désormais une histoire faire de gloires et de destin brisées. C’est sur ce le poids de ce passé que se penche Billy Wilder avec Sunset Boulevard et c’est ce qui fait l’originalité du sujet, Hollywood s’étant déjà penché par la fiction sur ses coulisses mais le plus souvent en s’inspirant d’une réalité contemporaine comme avec What price Hollywood (1932) de George Cukor ou Une étoile est née (1937) de William A. Wellman. 

L’acuité du regard de Billy Wilder viendra à la fois de son statut d’étranger observant avec une certaine distance le manège hollywoodien, celui de l’ex scénariste ayant connu les vaches maigres et gravit lentement les échelons et enfin celui du réalisateur à succès ayant désormais la hauteur d’observer ce qui l’a précédé. Le point de départ viendra de son coscénariste Charles Brackett imaginant une vedette oubliée du muet souhaitant faire son comeback. S’y ajouteront bientôt des éléments plus retors avec la relation avec un homme plus jeune, l’entremêlement entre fiction et réalité hollywoodienne avec le casting de Gloria Swanson et  Erich von Stroheim ainsi qu’un regard cruel et quasi documentaire avec un tournage dans les vrais studios Paramount et un guest de Cecil B. DeMille dans son propre rôle.

Tout ce croisement de drame, d’ironie et de cruauté est contenu dès l’ouverture où Joe Gillis (William Holden) commente de manière sarcastique sa propre scène de crime et observe son cadavre flottant dans une piscine. Il nous contera donc ce qui l’a conduit à ce moment fatal, Wilder retrouvant (l’emphase, le mystère et l’étrangeté en plus) la narration distanciée en voix-off de son classique du film noir Assurance sur la mort (1944). Scénariste fauché, sans inspiration et aux abois, Joe Gillis en fuyant ses créanciers échoue après avoir crevé un pneu dans une villa fantomatique situé sur Sunset Boulevard. Les lieux s’avèreront certes êtres habités mais n’en contiendront pas moins des spectres du passé avec la gloire oubliée du muet Norma Desmond (Gloria Swanson). 

Celle-ci ne vit que dans le souvenir de sa magnificence passée qu’elle maintient avec un intérieur tenant autant du musée que du mausolée entièrement à sa gloire. Les photos, objets et le luxe d’un autre âge lui maintient l’illusion de sa grandeur, son valet Max (Erich von Stroheim) entretenant la chimère en écrivant de fausses lettres d’admirateurs. Après avoir jadis dompté les hommes par sa beauté et son prestige, c’est en vampirisant un Joe Gillis démuni que Norma va déployer son emprise. 

Gloria Swanson déploie l’expressivité et l’outrance théâtrale d’un jeu hérité du muet mais teinté d’un malaise et d’une folie où son personnage semble constamment se regarder, en perpétuelle représentation sans jamais laisser poindre un éclair de lucidité. Wilder use d’ailleurs d’une lumière surexposée et de composition de plan issues du muet pour capturer le personnage dans son monde intérieur, le retour au réel se faisant par un plan d’ensemble désamorçant l’effet, la photo ténébreuse de John F. Seitz ou par un champ contre champ sur le regard consterné d’un interlocuteur. Le réalisateur rend même concret ce dispositif lors de la scène où Norma Desmond retourne sur un plateau de la Paramount. 

Un vieil éclairagiste la reconnaît et braque son projecteur sur elle, attirant une nuée d’admirateurs comme au temps de sa gloire. Seulement en parallèle on découvrira que Norma ne doit se retour qu’à un besoin accessoire et non pas pour un nouveau rôle. Le moment est pathétique, le projecteur s’éteignant et les fans s’éloignant alors que se révèle la supercherie, maintenant Norma dans un fantasme qui ne doit surtout pas être estompé – superbe face à face avec Ceci B. DeMille usant du décor de Samson et Dalila (1950) qu'il vient de terminer.

Tous les protagonistes s’accrochent à une obsession qui n’a que finalement peu à voir avec l’art. Norma est désormais un pantin narcissique rendue folle par l’adulation d’antan, Max un esclave sans volonté si ce n’est d’entretenir l’éclat bien éteint de celle dont il fut l’époux et le metteur en scène et ne pouvant survivre à sa muse. Wilder pousse d’ailleurs loin le mimétisme avec le réel puisque Gloria Swanson fut en partie responsable de la déchéance d’Erich von Stroheim qu’elle fit renvoyer de Queen Kelly (1929), dont on voit un extrait dans Sunset Boulevard lorsque Norma Desmond se projette ses anciens succès. Partagé entre démence et lucidité quant à sa décrépitude, Norma tient donc Joe par le bienfait matériel et le chantage affectif. Le cynisme résigné et la pitié de celui-ci s’estomperont pourtant au contact de Betty Schaefer (Nancy Olson) le ramenant à des sentiments purs et à l’inspiration artistique. C’est un être encore en construction et hésitant, regardant encore vers l’avenir quand d’autres s’accroche anxieusement au passé. 

Toute l’imagerie du film oscille ainsi dans cet entre-deux. L’atmosphère se fait presque gothique et oppressante dans la villa de Norma Desmond, sinistre vestige et personnage à part entière tandis l’illusion hollywoodienne se conjugue au présent dans la romance naissante entre Joe et Betty qui arpentent de nuit les ruelles factices du studio Paramount. Ce sont finalement les fantômes du passé, les monstres qu’Hollywood à façonné par sa capacité d’oubli qui vaincront lors d’un final désormais légendaire où Norma Desmond retrouve les feux des projecteurs pour de mauvaises raisons. All right, Mr. DeMille, I'm ready for my close-up… Deux décennies plus tard et à son tour du côté des fossiles, Wilder donnera une superbe variation de ce classique avec Fedora (1978).

Sorti en dvd zone 2 et bluray chez Paramount

 

5 commentaires:

  1. J'avais lu une critique américaine émise lors de la sortie du film disant qu'Erich von Stroheim devait être tombé bien bas pour avoir accepté le rôle d'un domestique !! N'importe quoi.

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    1. Tout à fait surtout qu'au final il est bien plus que ça. Sacrée prise de risque quand même tant le rôle fait écho à sa propre déchéance par ce passif avec Gloria Swanson. Ca rend le propos du film d'autant plus vertigineux et cinglant.

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  2. C'est avec ce film et Kwaï que je me suis dit que William Holden était un grand acteur, je l'avais auparavant trouvé plutôt fade dans Sabrina du même Wilder et dans qq autres films...Il est aussi très bien dans Breezy, Network, Picnic...
    Oui Erich von Stroheim a carrément fait une psychanalyse libératrice j'imagine en acceptant ce rôle, quelle belle complicité dans l'ironie avec Wilder aussi...
    En tout cas merci pour cette judicieuse analyse Justin, tu comptes publier un livre réunissant toutes tes critiques ?? (smiling smiley sans ironie) ... perso je suis pour, même si par définition tes chroniques sont un perpétuel "work in progress", ce serait un livre infini ha, ha ...

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  3. A moins qu'un éditeur traîne par ici pas de livre à l'ordre du jour pour l'instant ^^ ça demanderai un petit gros coup de relecture avant quand même ! Sinon c'est un peu le rôle qui a fait décoller la carrière de William Holden que j'aime beaucoup aussi (notamment dans Breezy et Picnic que tu cites) c'est d'ailleurs très touchant de le retrouver dans Fedora (variation de Sunset Boulevard) encore jeune mais déjà bien marqué par son alcoolisme qui l'emportera peu après.

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  4. A propos de l'éditeur: quien sabé ??
    L'alcoolisme de Bill l'a certainement tué, vu qu'il s'est éclaté la tête contre une table, bourré. Il est aussi très bien dans Stalag 17, Wilder encore...

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