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dimanche 20 mars 2016

À la poursuite de demain - Tomorrowland, Brad Bird (2015)


Casey, une adolescente brillante et optimiste, douée d’une grande curiosité scientifique et Frank, un homme qui fut autrefois un jeune inventeur de génie avant de perdre ses illusions, s’embarquent pour une périlleuse mission. Leur but : découvrir les secrets d’un lieu mystérieux du nom de Tomorrowland, un endroit situé quelque part dans le temps et l’espace, qui ne semble exister que dans leur mémoire commune...

Tomorrowland est une des œuvres les plus personnelles et originale de Brad Bird, et qui vient apporter une touchante clarification sur une thématique qui plane sur toute sa filmographie. Chaque film de Brad Bird semble être une variation autour de la philosophie de l’objectivisme chère à Ayn Rand. Cet auteur en réaction au régime communiste et au collectivisme oppressant dans lequel elle avait grandie et souffert développa ce concept de l’objectivisme. Celui-ci célèbre l’idée d’un individualisme, d’une liberté de s’accomplir dans l’expression de son ambition et talent ne devant jamais céder à une préoccupation collective synonyme de médiocrité et de régression. Cette Virtue of Selfishness comme l’appelait Ayn Rand exprime une idéologie passionnante ou dangereuse selon les points de vue et le domaine auquel on l’associe, que ce soit l’art ou l’économie laissant entrevoir le capitalisme le plus décomplexé. Ayn Rand développa ces idées notamment dans la fiction avec The Fountainhead brillamment adapté par King Vidor avec le chef d’œuvre Le Rebelle (1949). Dans tous les films de Brad Bird, on retrouve cela à travers des personnages confronté à l’uniformité de la masse. 

Le jeune garçon du Géant de Fer (1999) voit dans un imposant robot un camarade de jeu quand les adultes en font une menace communiste. La famille de super héros des Indestructibles (2004) est contrainte de dissimuler sa singularité pour passer pour « normale » et n’use pas de ses pouvoirs. Enfin le rat de Ratatouille (2007) est empêché de déployer ses talents culinaires et doit en rester à son statut de parasite. Même si le réalisateur enrobait l’ensemble d’atours trépidants et d’une émotion sincère, l’ambiguïté associée à l’objectivisme demeurait notamment à travers les antagonistes représentant « la masse », médiocre et envieuse avec le Syndrome des Indestructibles ou le critique culinaire de Ratatouille (et pour le coup directement inspiré du méchant The Fountainhead). Cela venait sans doute aussi du propre parcours de Brad Bird dont le talent fut longtemps bridé car s’il se révéla à la critique avec Le Géant de fer et au grand public avec Les Indestructibles, ce fut un génie précoce (remarqué par Disney en signant son premier court-métrage d’animation à treize ans) qui vit tous ses camarades de promotions (Tim Burton et John Lasseter partagèrent avec lui les bancs du California Institute of the Arts) lui passer devant alors qu’il officiait à la télévision sur Les Simpsons

Tomorrowland illustre donc l’interprétation de l’objectivisme par Brad Bird. Le scénario s’inspire  d’une utopie SF optimiste rétro avec comme base l’attraction Tomorrowland des parcs Disney, ce monde futuriste dévoilant à la fois le côté visionnaire et lumineux de Walt Disney et finalement une société à la Ayn Rand réunissant les plus grandes intelligences du monde. L’ouverture du film joue donc de cet émerveillement avec le jeune Frank Walker (George Clooney) admis dans ce cadre de tous les possibles en venant présenter son invention à l’Exposition Universelle de 1964. L'éblouissement, la candeur et l’espoir étincellent dans cette entrée en matière notamment à travers la complicité entre Frank et sa « recruteuse », Athena (Raffey Cassidy). Quelques décennies plus tard, le rêve de Tomorrowland ne semble guère s’être réalisé dans une société rongée par les guerres, la pollution et les catastrophes naturelles. Casey (Britt Robertson) adolescente douée et volontaire se confronte ainsi à ce marasme contemporain malgré son souhait de changer les choses. Elle va à son tour entrevoir les merveilles de Tomorrowland et tenter de de s’y rendre au côté d’un Frank Walker adulte et d’Athena qui voient en elle le dernière espoir de sauver l’humanité. 

Brad Bird englobe un scénario riche de concept et de questionnements dans un tout ludique et virevoltant. Les inventions les plus folles et les fantasmes steam punk (la Tour Eiffel dissimulant une fusée, le conglomérat d grands créateurs constitué de Gustave Eiffel, Tesla, Jules Verne et Edison à l’origine de Tomorrowland) donnent une fenêtre sur Tomorrowland dans une course-poursuite échevelée où l’extraordinaire semble resté tapi mais ne demande qu’à s’exprimer. Tout cela est idéalement résumé par la relation complexe entre Frank et Athena. L’association de génies de Tomorrowland aura aboutie à la création d’une communauté de démiurge cherchant à s’isoler de la Terre plutôt que de l’aider à avancer. La fin du rêve aura signifié l’exclusion de Frank qui se morfond dans l’apathie de son époque tandis qu’Athena poursuit l’objectif désormais vain de recruter des talents à travers le monde. Brad Bird rend palpable ces idées en y entremêlant une touchante et osée histoire d’amour, le renoncement de Frank se confondant avec la déception amoureuse Athena étant un cyborg. La transition entre flashbacks charmants les réunissant dans un Tomorrowland à son apogée et le malaise de leurs retrouvailles au présent symbolise tout ce qui a été perdu. 

Brad Bird laisse s’exprimer cela dans le mouvement perpétuel de la première partie où les enjeux se devinent par la seule image (le décompte de l’apocalypse reculant par la seule présence de Casey) avant que viennent l’heure des explications à Tomorrowland. Le réalisateur endosse dans sa narration l’allant positif de son héroïne incarnée avec charisme et énergie par une excellente Britt Robertson. Le passif visuel et thématique de Bird se déploie dans toute sa richesse au sein du récit. Sur la forme l’expérience de l’animation se ressent dans les attitudes très expressives de Casey la gestion du mouvement et de l’action (la chute en arrière très cartoon de Casey face à la protection invisible de la demeure de Frank) ainsi que la caractérisation avec les robots traqueurs et leurs mimiques outrancières les déshumanisant. Sur le fond on retrouve la révolte de Bird face à la peur, l’apathie et la perte d’espoir de ses congénères. 

On aura une saillie cinglante envers les « fans » (une boutique geek abritera une dangereuse menace, dans Les Indestructibles le méchant est à l’origine un admirateur déçu et revanchard) aussi coupable et endormis que les chantres de l’égoïsme ordinaire. Là où le regard change, c’est dans la critique des « élus » qui bouscule l’idée d’objectivisme célébrant la satisfaction (matérielle, artistique ou spirituelle) à la seule échelle de l’individu et qui dans le film amène l’isolement volontaire de Tomorrowland à l’origine destiné à changer le monde. Le personnage de Nix (Hugh Laurie) maître de Tomorrowland, incarne totalement ce renoncement égoïste, ce pessimisme où le savoir n’élève pas plus que le commun et incite juste à survivre dans le confort sans se soucier d’autrui.

Tout en gardant l’emballage d’un vrai grand divertissement, Brad Bird interroge donc une société se complaisant à se morfondre dans le fatalisme sans rien changer. Les esprits supérieurs et de bonnes volonté sont donc là pour bouleverser cet état et non s’en protéger, le trio de héros incarnant cet optimisme chacun à leur manière et plus particulièrement Casey. La première partie virevoltante cède à une seconde plus sombre donnant dans l’introspection avec la perte d’illusion de Casey découvrant la faillite de Tomorrowland. Mais cette flamme optimiste, cet espoir et esprit frondeur reprendront leur droit dans une haletante conclusion qui sous le spectaculaire ne perd jamais de vue sa dimension intimiste notamment la magnifique dernière scène entre Frank et Athena. Raffey Cassidy est vraiment exceptionnelle dans toutes les nuances apportées à ce personnage reflet des travers et réussites de cette utopie  tout au long du récit. 

Elle passe de figure charmante mais programmée/publicitaire à des émotions plus troubles et nuancée au contact de Frank qui la regarde autrement, Bird rappelant la dualité du robot dans Le Géant de fer. Cela est amené avec une telle subtilité qu’aucune gêne n’apparait dans les interactions avec George Clooney et surtout pas la dernières où l’on ne voit que les personnages et pas un adulte et une fillette. Brad Bird ramène donc le talent au service des autres plutôt qu’à la seule autosatisfaction, versant dans un idéalisme confondant et qui fait du bien par les temps qui courent dans son épilogue. 

A l’image de ses dernières productions atypiques (Lone Ranger (2013) et John Carter (2012)) Disney désormais figé dans sa logique de franchises ne saura vendre le film (voir le sabordera pour faire payer à Brad Bird son refus de ne pas réaliser le prochain Star Wars, on y aurait gagné par rapport à la photocopie paresseuse de Abrams) qui sera un échec au box-office. Bien triste pour cette ode à l’optimisme et un des plus beaux films de Brad Bird.

Sorti en dvd zone 2 français et bluray chez Disney

 

6 commentaires:

  1. Je me souviens d’une critique de Yannick Dahan sur ce film, qui va à peu près dans le même sens que vous (un film courageux et intelligent injustement sous-estimé). Par ailleurs, la vie, la philosophie et la réception d’Ayn Rand ont été récemment traitées sur ce blog.

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    1. Très bel avis de Yannick Dahan qui appuie plus que moi sur le côté subversif de l'intérieur et charge contre le bonheur factice à la Disney que peut représenter au départ Tomorrowland (la scène de spot publicitaire joue pas mal là dessus). Et merci pour le lien sur Ayn Rand, très complet sur son parcours et nuancé sur ses idées, passionnant ! C'est quand même vraiment dommage que le film n'ait pas marché, une vraie vision du mond loin du vide du blockbuster standard.

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  2. Soucieux d'éviter les spoilers, j'ai survolé ta chronique qui m'a quand même fait plaisir dans le sens où j'ai cru percevoir un rejet — voire pire : du désintérêt — assez partagé à propos de ce film. Il est vrai qu'avec M:I 4, le nom de Bird semble avoir un peu perdu en prestige. Je n'ai donc toujours pas compris le sujet de ce Tomorrowland, mais ton avis a ravivé ma curiosité (voire ma confiance envers le cinéaste).

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    1. C'est vrai que MI:4 était forcément un peu impersonel (mais on y retrouvait toute sa patte visuelle) même si efficace mais là c'est vraiment un de ses meilleurs films. Le désintérêt est venu de la promotion ratée de Disney et peu être un peu aussi du manque de curiosité du public si tu aimes Brad Bird c'est vraiment à voir :-)

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  3. Bonjour Justin,

    Moi aussi, j'ai bien aimé Tomorrowland, qui est un film optimiste (que je rapprocherais d'abord du positivisme avant Ayn Rand, même si ton rapprochement est intéressant - je suis toujours preneur de ce genre de comparaison entre film et livre). Son échec commercial est effectivement bien dommage (c'est inquiétant de penser que récemment les blockbusters ambitieux croyant à la force des idées et d'un récit au premier degré ont été des échecs commerciaux alors que les blockbusters cyniques et creux ont été des succès).

    Strum

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    1. Salut Strum

      Oui c'est plus par les films précédents de Brad Bird (Les Indestructibles et Ratatouille plus ouvertement connotés) que je fais la comparaison avec Ayn Rand mais il en reste quand même quelque chose dans Tomorrowland qui a le même postulat (des scientifiques s'isolent d'un monde qui les désolent) que le roman "La Grève" d'Ayn Rand. Après Bird clarifie sa position par rapport au côté radical de Ayn Rand avec cette dimension optimiste, ce positivisme tourné vers les autres à l'opposé de l'individualisme forcené de Ayn Rand.

      Et effectivement ça en dit long sur la période actuelle de voir les blockbusters originaux (pas une suite et ne reposant pas sur une licence ou franchise) et intelligent se planter alors que des trucs comme Transformers cartonnent.

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