Pendant la Seconde
Guerre mondiale, un cargo irlandais en partance des Etats-Unis est chargé de
transporter des explosifs jusqu'à Londres. Le périple inclut un passage aux
Antilles. Mais, si le paysage change, la vie sur le bateau reste la même :
beuveries et bagarres sont le quotidien de ces marins. Des soupçons se portent
également sur l'un d'entre eux, qui pourrait être un espion allemand. Quant au
matelot Olsen, il n'a qu'une idée en tête : rejoindre sa Suède natale...
Précédé (La Chevauchée
fantastique (1939), Vers sa destinée
(1939), Les Raisins de la colère
(1940)) et suivi (Qu'elle était verte ma vallée (1941)) de certains des classiques les plus célébrés de John Ford,
Les Hommes de la mer est une œuvre un peu oubliée alors qu’il s’agit sans doute
d’un de ses films les plus personnels. Le film est une parenthèse entre les
mastodontes précités (tous sous la bannière Fox) que Ford produit en
indépendant à travers sa société Argosy Pictures, avec un budget et une équipe
réduite de proches collaborateurs. C’est également l’occasion de retrouver John
Wayne dont il avait mis la carrière sur orbite avec La Chevauchée Fantastique. Wayne encore sous contrat avec le studio
Republic n’a alors pas son destin en main et sera contraint de tourner des
dispensables westerns de série jusqu’au milieu des années 40. Ford mais aussi
Cecil B. DeMille avec Les Naufragés des
mers des mers du sud (1942) lui permettront ainsi de maintenir ce nouveau
statut de vedette avant qu’il ne retrouve le libre choix de ses rôles.
Le scénario de Dudley Nichols est une fusion de quatre
pièces de théâtre de Eugene O'Neill (The
Moon of the Caribbees, In the Zone,
Bound East for Cardiff, et The Long Voyage Home) dont Ford déplace
le contexte de la Première à la Seconde Guerre Mondiale. Le titre original The Long Voyage Home capture bien la dimension
à la fois intimiste et épique ainsi que la mélancolie rattachée au cinéma de
John Ford. Tout comme la diligence de La
Chevauchée fantastique, ici l’équipage du SS Glencairn dessine un monde multiple à travers les différentes
personnalités, origines et parcours des différents matelots. Le réalisateur les
capture d’abord d’un bloc dans une notion de groupe et de camaraderie
exprimée par une truculente scène de beuverie où nos marins passent de la
séduction grossière des avenantes autochtones de ces îles des Antilles à
une mémorable bagarre collective - un ton rieur et exotique qu'on retrouvera dans le plus tardif La Taverne de l'Irlandais (1963).
Que ce soit ceux qui s’abandonnent
joyeusement dans cette fange le temps de l’escale ou ceux l’observant en
retrait, on devinera progressivement pour chacun des personnages le rapport qu’il
entretient à la mer. L’idée de retour symbolisée par le titre original semble
ainsi impossible pour les figures sans attaches comme le gueulard au grand cœur
Driscoll (Thomas Mitchell), qui masque ce manque par son attitude tapageuse. Ce
retour est sans cesse retardé pour le suédois Ole (John Wayne) par les excès de
la vie en mer, chaque paie lui permettant de retrouver la ferme familiale se
retrouvant noyé dans l’alcool et les femmes. Enfin Smitty (Ian Hunter) rongé
par la honte et les addictions se refuse ce retour alors que femmes et enfants
l’attendent dans son Angleterre natale. Chargé de transporter des explosifs des
Etats-Unis vers l’Angleterre, le navire devient dont durant le voyage un espace
de communion collective mais aussi d’introspection pour chacun des
protagonistes.
Ford l’atmosphère qu’il instaure imprègne ainsi le récit de
son identité irlandaise, autant dans sa dimension festive que profondément
mélancolique. Les chants traditionnels irlandais tonnent autant pour célébrer
une camaraderie festive que pour pleurer le sort et la disparition d’un
compagnon. Les éléments extérieurs, qu’ils soient naturels (une saisissante
scène de tempête) ou humains (un avion venant bombarder le navire en pleine
mer) n’interviennent que pour provoquer le drame et des morts tragiques. Sinon
ce n’est que le silence des hommes face à eux même et à la mer, Ford
contrairement à ses westerns laissant peu de place à la musique.
Le tournage
entièrement en studio permet de particulièrement plier l’environnement aux
émotions des personnages, notamment les ombres profondes de la photo de Gregg
Toland (on ne s’étonnera pas qu’Orson Welles ait fait appel à lui l’année
suivante pour son Citizen Kane)
évoquant presque le film noir mais ces ténèbres dévoilent plus les tourments de
l’âme qu’une veine criminelle. Certaines scènes sont parmi les plus
bouleversantes de la filmographie de Ford comme la longue agonie de Yank (Ward
Bond) ou encore la découverte du passé de Smitty, chacun de ces moments fondant
la douleur de l’intéressé dans la compassion du collectif avec la caméra
passant en revue les visages émus des matelots face à leur ami démuni. Le
refuge et la prison que constitue le navire s’exprimera même par la seule
image, le temps d’un plan somptueux où les marins observent depuis la rambarde
le cercueil d’un des leurs être emmené sur la terre ferme.
Dans la dernière partie cette terre ferme s’avérera
définitivement inhospitalière, un lieu de perdition peuplé de tentateurs bien
loin de la fraternité des hommes de la mer. Loin de l’errance perpétuelle de la
terre, c’est en retournant en mer que tout peut commencer où s’achever, où l’on
peut prendre le chemin du retour, mourir ou reprendre un voyage sans fin mais
en chaleureuse compagnie.
Sorti en dvd zone 2 français à L'Atelier d'image et de corporation
Extrait
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire