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samedi 9 juillet 2016

American Pimp - Albert et Allen Hughes (1999)

Tous les films des frères Hughes, quel que soit le registre abordé (de la chronique sociale Menace II Society (1993) au drame post-Vietnam Génération sacrifiée (1995) en passant par le fantastique From Hell (2001)) s'appliquent à explorer la réalité, la violence et la crudité du ghetto. Avec American Pimp, les réalisateurs s'essaient au documentaire et poursuivent cette vision du ghetto à travers la figure controversée du proxénète. Toute une mythologie et un folklore accompagne le mac - devenu une quasi icône de la pop culture - dans l'inconscient collectif, allant du Huggy les bons tuyaux de la série Starsky et Hutch aux classiques de la Blaxploitation en passant par le livre culte Pimp du proxénète repenti Iceberg Slim. Les Hughes jouent de tous ces clichés durant le film par un montage percutant qui les illustrent par des extraits de films de blaxploitation (notamment le bien nommé The Mack (1973)), des photos d'archives et bien évidemment les témoignages haut en couleurs de mac et de leurs "filles". Tenues extravagantes, grosse s voitures, langage fleuri (une fille avouant avoir été traitée de "bitch" plus de fois en une seule discussion téléphonique avec son mac que durant toute sa vie) et attitudes flamboyante, tout y passe avant que les Hughes ne déconstruisent et analyse les codes de cet univers.

L'un des intérêts du film est la totale absence de jugement du mac, la vérité, les ambiguïtés et la violence de ce statut se révélant au fil du récit sans prise position ostentatoire. L'historique du mac aux Etats-Unis semble essentiellement associé au peuple afro américain, au départ afin d'exploiter le désir de l'homme blanc pour les femmes noires dont il ne peut plus disposer aussi aisément après l'abolissement de l'esclavage. Une aubaine pour les hommes noirs qui décident de monnayer ce plaisir et s'enrichir, ce qui aura pour effet de rendre la prostitution jusque-là légale hors la loi. Le mythe du mac était né, attirant ceux trop fainéant pour une vie honnête et trop lâche être gangster.

Le mac représente donc dès le plus jeune âge pour les gamins des ghettos une image de réussite fascinante et séduisante dans son clinquant. Les rapports entre le mac et les filles s'avèrent particulièrement troubles et pas forcément aussi manichéen qu'attendu malgré l'évidente misogynie. La misère sociale de ces filles (qui pourraient finalement exercer le plus vieux métier du monde en "indépendante") les amène à un rapport de soumission avec un mac qui les malmène et pousse à gagner durement leur vie sur le trottoir. Les méthodes de repérage de la fille idéale, fragile et corvéable sont narrées dans le détail tout en faisant du mac une sorte de figure paternelle (tant dans le côté brutal que réellement protecteur) pour des jeunes femmes perdues ou vénale.

C'est un monde aux codes complexes (un mac révélant que sa "carrière" a démarrée presque malgré lui lorsqu'une fille a insisté pour tapiner pour lui) où tout repose sur une psychologie retorse : la violence n'est qu'un ultime recours pour le mac le plus fin sachant manœuvrer son "écurie", la dureté et l'indifférence semblant presque un vecteur d'attachement pour les filles en quêtes d'une autorité particulièrement tordue. Les témoignages de prostituées repenties ou encore actives, les situations surprenantes et dérangeantes (un mac aux petits soins pour ses filles avant de les envoyer dans la rue) dessinent donc une dysfonctionnelle mais bien réelle famille ou chacun trouve presque son compte entre dollars facile et affection étrange. Les macs parlant avec émotion de leur première fille au turbin comme d'un dépucelage et ayant la gorge nouée quand ils se souviennent de celles perdues à cause d'un "micheton" trop violent - dont une sacrée anecdote d'un mac dont une fille fut victime du tueur du Zodiaque dans les 70's - montre ainsi cet attachement surprenant.

Le duel de strass et de frime entre macs offre les moments les plus ludiques, tel ce salon annuel du pimp à Las Vegas chargé en mauvais gout et qui n'aurait rien à envier au clip de rap le plus putassier - le gangsta rap n'ayant d'ailleurs jamais cachés sa fascination pour la culture pimp, Snoop Dogg en tête. La manière roublarde dont ils se volent leurs recrues est assez savoureuse et témoigne d'une époque plus noble quand cette situation était acceptée quand aujourd'hui cet art se perd avec la violence des apprentis mac qui n'ont pas appris les arcanes du métier - le livre d'Iceberg Slim montre d'ailleurs dans le détail la "formation" de son héros par un vieux briscard. Les frères Hughes alternent entre crudité ramenant au réel et imagerie tapageuse, chaque forfanterie hilarante d'un mac face caméra étant contrebalancée par des séquences assez sinistres dans des ruelles glauques aux quatre coins des Etats-Unis - on apprendra d'ailleurs les spécificités de chaque ville en matière de prostitution, du type de fille aux lieux de rencontre en passant par le tarif moyen.

La dernière partie montrera le pendant blanc, industrialisé et légal de la prostitution avec les véritables maisons closes installées dans certains états du pays. Tout en posant un environnement plus cadré et paisible du métier, ce côté professionnel semble paradoxalement plus glaçant avec cet entrepreneur du sexe austère ne dégageant pas la sympathie du mac gouailleur et du lien aux filles plus chaleureux sans justifier bien sûr l'immoralité de la chose. C'est passionnant de bout en bout, entre constat froid et immersion, les Hughes laissant l'opinion du spectateur se construire en restant à distance. En prime une bande-son soul grandiose (ils avaient déjà fait fort avec celle de Génération sacrifiée)) où s'enchaînent Isaac Hayes, Curtis Mayfield et d'autres grands noms.

Sorti en dvd zone 1 chez MGM et doté de sous-titres français 

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