Tous les films des frères Hughes, quel que soit le registre abordé (de la chronique sociale Menace II Society (1993) au drame post-Vietnam Génération sacrifiée (1995) en passant par le fantastique From Hell (2001)) s'appliquent à explorer la réalité, la violence et la crudité du ghetto. Avec American Pimp,
les réalisateurs s'essaient au documentaire et poursuivent cette vision
du ghetto à travers la figure controversée du proxénète. Toute une mythologie
et un folklore accompagne le mac - devenu une quasi icône de la pop culture - dans l'inconscient collectif, allant
du Huggy les bons tuyaux de la série Starsky et Hutch aux classiques de la Blaxploitation en passant par le livre culte Pimp
du proxénète repenti Iceberg Slim. Les Hughes jouent de tous ces
clichés durant le film par un montage percutant qui les illustrent par
des extraits de films de blaxploitation (notamment le bien nommé The Mack
(1973)), des photos d'archives et bien évidemment les témoignages haut
en couleurs de mac et de leurs "filles". Tenues extravagantes, grosse s
voitures, langage fleuri (une fille avouant avoir été traitée de "bitch"
plus de fois en une seule discussion téléphonique avec son mac que
durant toute sa vie) et attitudes flamboyante, tout y passe avant que
les Hughes ne déconstruisent et analyse les codes de cet univers.
L'un
des intérêts du film est la totale absence de jugement du mac, la
vérité, les ambiguïtés et la violence de ce statut se révélant au fil du
récit sans prise position ostentatoire. L'historique du mac aux
Etats-Unis semble essentiellement associé au peuple afro américain, au
départ afin d'exploiter le désir de l'homme blanc pour les femmes noires
dont il ne peut plus disposer aussi aisément après l'abolissement de
l'esclavage. Une aubaine pour les hommes noirs qui décident de monnayer
ce plaisir et s'enrichir, ce qui aura pour effet de rendre la
prostitution jusque-là légale hors la loi. Le mythe du mac était né,
attirant ceux trop fainéant pour une vie honnête et trop lâche être gangster.
Le mac représente donc dès le plus
jeune âge pour les gamins des ghettos une image de réussite fascinante
et séduisante dans son clinquant. Les rapports entre le mac et les
filles s'avèrent particulièrement troubles et pas forcément aussi
manichéen qu'attendu malgré l'évidente misogynie. La misère sociale de
ces filles (qui pourraient finalement exercer le plus vieux métier du
monde en "indépendante") les amène à un rapport de soumission avec un
mac qui les malmène et pousse à gagner durement leur vie sur le
trottoir. Les méthodes de repérage de la fille idéale, fragile et
corvéable sont narrées dans le détail tout en faisant du mac une sorte
de figure paternelle (tant dans le côté brutal que réellement
protecteur) pour des jeunes femmes perdues ou vénale.
C'est un monde aux
codes complexes (un mac révélant que sa "carrière" a démarrée presque
malgré lui lorsqu'une fille a insisté pour tapiner pour lui) où tout
repose sur une psychologie retorse : la violence n'est qu'un ultime
recours pour le mac le plus fin sachant manœuvrer son "écurie", la
dureté et l'indifférence semblant presque un vecteur d'attachement pour
les filles en quêtes d'une autorité particulièrement tordue. Les
témoignages de prostituées repenties ou encore actives, les situations
surprenantes et dérangeantes (un mac aux petits soins pour ses filles
avant de les envoyer dans la rue) dessinent donc une dysfonctionnelle mais bien
réelle famille ou chacun trouve presque son compte entre dollars facile
et affection étrange. Les macs parlant avec émotion de leur première
fille au turbin comme d'un dépucelage et ayant la gorge nouée quand ils
se souviennent de celles perdues à cause d'un "micheton" trop violent -
dont une sacrée anecdote d'un mac dont une fille fut victime du tueur du
Zodiaque dans les 70's - montre ainsi cet attachement surprenant.
Le
duel de strass et de frime entre macs offre les moments les plus
ludiques, tel ce salon annuel du pimp à Las Vegas chargé en mauvais gout
et qui n'aurait rien à envier au clip de rap le plus putassier - le
gangsta rap n'ayant d'ailleurs jamais cachés sa fascination pour la
culture pimp, Snoop Dogg en tête. La manière roublarde dont ils se
volent leurs recrues est assez savoureuse et témoigne d'une époque plus
noble quand cette situation était acceptée quand aujourd'hui cet art se
perd avec la violence des apprentis mac qui n'ont pas appris les arcanes
du métier - le livre d'Iceberg Slim montre d'ailleurs dans le détail la
"formation" de son héros par un vieux briscard. Les frères Hughes
alternent entre crudité ramenant au réel et imagerie tapageuse, chaque
forfanterie hilarante d'un mac face caméra étant contrebalancée par des
séquences assez sinistres dans des ruelles glauques aux quatre coins des
Etats-Unis - on apprendra d'ailleurs les spécificités de chaque ville
en matière de prostitution, du type de fille aux lieux de rencontre en
passant par le tarif moyen.
La dernière partie montrera le pendant
blanc, industrialisé et légal de la prostitution avec les véritables
maisons closes installées dans certains états du pays. Tout en posant un
environnement plus cadré et paisible du métier, ce côté professionnel
semble paradoxalement plus glaçant avec cet entrepreneur du sexe austère
ne dégageant pas la sympathie du mac gouailleur et du lien aux filles
plus chaleureux sans justifier bien sûr l'immoralité de la chose. C'est
passionnant de bout en bout, entre constat froid et immersion, les
Hughes laissant l'opinion du spectateur se construire en restant à
distance. En prime une bande-son soul grandiose (ils avaient déjà fait
fort avec celle de Génération sacrifiée)) où s'enchaînent Isaac Hayes, Curtis Mayfield et d'autres grands noms.
Sorti en dvd zone 1 chez MGM et doté de sous-titres français
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