Setsuko mène une vie
solitaire et sans saveur à Tokyo entre son travail et son appartement, jusqu’à
ce que sa nièce Mika la persuade de prendre sa place à des cours d’anglais très
singuliers. Cette expérience agit comme un électrochoc sur Setsuko. Affublée
d’une perruque blonde, elle s’appelle désormais Lucy et s’éprend de John son
professeur ! Alors, quand Mika et John disparaissent, Setsuko envoie tout
balader et embarque sa sœur, dans une quête qui les mène de Tokyo au sud
californien. La folle virée des deux sœurs, qui tourne aux règlements de
compte, permettra-t-elle à Setsuko de trouver l’amour ?
Oh Lucy est une
première œuvre singulière qui fait le pont entre les cultures japonaise et
américaine. Ce clivage sert une thématique plus intime pour la réalisatrice Atsuko
Hirayanagi qui s’intéresse ici aux personnalités silencieuses mais
intérieurement ardentes. Partie poursuivre ses études aux Etats-Unis à l’âge de
17 ans, la jeune femme freinée par la barrière de la langue qu’elle maîtrisait
encore mal s’était murée dans une attitude réservée qui la figea dans le
clichée de la fille asiatique discrète pour ses camarades. Cette dichotomie
entre ce que l’on est et ce qu’on reflète aux yeux des autres sera donc
illustrée dans Oh Lucy au départ un
court-métrage d’étude lauréat du 2e prix de la Cinéfondation au Festival de
Cannes 2014. Cette récompense attirera l’attention sur la réalisatrice qui
permet un prolongement/transposition du court coproduit par la NHK (grande
chaîne publique japonaise) et Gloria Sanchez Productions (compagnie de production
de Will Ferrell et Adam McKay).
Le film inverse le contexte suscitant la nature introvertie
par rapport à l’expérience personnelle d’Atsuko Hirayanagi. Quand la timidité
face à la culture et le cadre étranger avait tétanisée la réalisatrice, c’est
la société japonaise pauvre en perspective pour les femmes qui éteint
l’enthousiasme de Setsuko (Shinobu Terajima) modeste employée de bureau
quarantenaire. On ressent la dimension patriarcale oppressante et subtile à
travers le rôle subalterne de notre héroïne préposée au café, la retraite d’une
collègue n’ayant guère dépassé ces responsabilités n’offrant guère l’exemple
d’un futur probant. Les couleurs ternes du bureau, l’urbanité tokyoïte
suscitant les idées noires et l’espace exigu de son appartement et le
train-train des mêmes visages représente un quotidien terne qui mure Shinobu
dans un silence résigné et une présence éteinte. L’élément désinhibant reposera
donc sur l’ailleurs représenté par John (Josh Hartnett) séduisant professeur
d’anglais dont la nature et l’enseignement enjoué ravive Setsuko. Shinobu
Terajima joue parfaitement la surprise et l’éveil de celle à qui l’on fait
soudainement attention, l’espace du cours étant un lieu d’excentricité des rencontres,
d’arrière-plan bariolé et de l’identité même de notre héroïne réincarnée en
Lucy et affublée d’une perruque blonde.
Lorsque cette amour lui échappe - au profit de sa nièce Mika
(Shioli Kutsuna) qui l’a inscrite à sa place au cours -, elle est fin prête à
dépasser sa timidité et poursuivre John aux Etats-Unis. Atsuko Hirayanagi
prolonge ce traitement dans ce pays étranger. Ce sera notamment par
l’interaction entre les personnages japonais, loin de la réserve nippone pour
exprimer des sentiments similaire ou très différents. On devine que la brouille
entre Setsuko et sa sœur Ayako (Kaho Minami) s’était résolu dans une ignorance
polie, mais le voyage et la promiscuité sera source de truculent moment de
conflits comiques reposant toujours sur une confrontation amusée avec les
locaux. De même la relation amicale entre Setsuko et sa nièce vole en éclat le
temps d’une scène de colère expansive.
Le territoire comme le séduisant
étranger sert donc de déclencheur à la folie douce mais l’amertume et la désillusion
ne seront jamais loin, à l’image d’une scène de sexe aussi inattendue que
pathétique. Le revenant Josh Hartnett est parfait pour incarner la figure
idolâtrée puis pathétiquement quelconque dans son cadre naturel, tout tendant
(caractérisation, situation personnelle) à le faire descendre de son piédestal
aux yeux de Setsuko. La Californie elle-même se montre sous une imagerie assez
clichée parfois volontaire, d’autres fois maladroite dans les clichés du film
indé US. Même si l’intrigue s’égare parfois dans quelques longueurs, le beau
retour final au spleen initial ravive toute l’émotion à fleur de peau
recherchée par la réalisatrice. Le renouveau passera certes par l’ailleurs mais
intime plus que géographique et l’âme sœur n’était peut-être pas à aller
poursuivre aux antipodes. Une première œuvre très attachante.
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