Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram
A la fin du XXème
siècle, la cohabitation est fragile entre le monde des humains et celui des
démons. Afin de prévenir tout conflit, deux gardes du corps d’élite (un humain,
Taki, et une femme démon, Maeki) sont chargés de protéger un émissaire devant
signer un traité de paix. C’est du moins la mission officielle, le réel but
sera bien différent…
L’art singulier de Yoshiaki Kawajiri se révéla au monde avec ce
détonant La Cité Interdite. S’il
s’agit du premier film de Kawajiri, celui-ci n’était pas un nouveau venu dans
le monde de la japanimation. Après des débuts en tant qu’intervalliste au sein
du studio Mushi Production, il fait la rencontre de Osamu Dezaki (grand nom de
l’animation japonaise, réalisateur notamment des série Cobra ou encore Lady Oscar)
qui le débauche pour fonder le mythique studio Madhouse où il occupera le poste d’animateur-clé
puis directeur de l’animation pur diverses série télévisée. Lorsque la
politique du studio se réoriente vers le long-métrage d’animation au début des
80’s, le rôle de Kawajiri se développe et lui permet de passer à la réalisation
notamment dans le film à sketch SF (où officient également Katsuhiro Otomo et
Rintaro) Manie Manie : Les Histoires
du labyrinthe (1987) dont il signe un mémorable segment avec Le Coureur.
Ces expériences lui auront permis de définir son style qui se révèle donc avec La Cité Interdite
où il adapte un livre du romancier d’horreur japonais Hideyuki Kikuchi.
Le film est produit à une vraie période d’essor et de créativité pour
la japanimation, notamment par une veine adulte et excessive. Hideyuki Kikuchi
est considéré comme une sorte d’équivalent japonais à Stephen King et Lovecraft
et on retrouve effectivement de cela dans le postulat évoquant la porosité
entre le monde des humains et un autre parallèle peuplé de démons et autres
créatures infernales. Les deux univers vivent dans une coexistence fragile qui
s’apprête à être renouvelé par un traité de paix mais certains démons espèrent
faire échouer le projet pour envahir la terre. Un garde du corps des deux races
est donc dépêché pour protéger le garant du traité avec l’humain Taki et la
femme démon Maeki. La scène d’ouverture est emblématique du style Kawajiri et
montre la brutale collusion entre humains et démons. L’environnement nocturne
et urbain va dépeindre une situation anodine virant au cauchemar, la conquête d’un
soir de Taki devenant un monstre arachnide en plein acte. Le suggestif (les
ébats explicites étant néanmoins masqués par divers objets, cadrages et jeux d’ombres)
et le démonstratif cauchemardesque se confondent avec l’allure aberrante de la
créature dont l’entrejambe révèlent une dentition castratrice.
Plus le film avance plus le récit s’enfonce dans les ténèbres et
favorisent ce type d’apparition extravagantes. L’inspiration tient du film noir
à travers la voix-off désabusée de Taki, typique du professionnel sans attache
qui voit dans sa mission un job comme un autre. La méfiance envers le monde des
ténèbres est donc de mise malgré la complicité croissante avec Maeki. Avec ce
héros à la fois attiré et rebuté par ce qu’il pourchasse se dessine une
influence inattendue, le Blade Runner
(1982) de Ridley Scott. Maeki par son courage et son sens du sacrifice
manifeste une dévotion que Taki pensait absente du monde des démons et fait
évoluer ses préjugés. Le « job » endosse un enjeu plus personnel désormais, celui de ramener en
vie cette partenaire à laquelle il s’est attaché. Kawajiri oscille ainsi entre
une veine romantique sincère et baignée de moments charnels surannés et un
véritable cirque des monstruosités.
L’aspect perpétuellement mutant des démons lorgne vers l’horreur
occidentale façon The Thing
(1982) avec des corps devenant difformes d’où surgissent des tentacules,
naissent des orifices, griffes et crocs contribuant à leurs allures
innommables. Outre cette interprétation explicite d’un Lovecraft, Kawajiri convoque l’imaginaire
des contes traditionnels japonais avec des créatures revisitées mais que l’on
reconnaît tel le Rokurokubi (femme à tête volante et suçeuse de sang), le Noppera
(pour toutes les transformations abstraite et sans forme tangible) ou encore le
Nurre-Onna (là aussi pour les démons féminin anthropomorphes ici sous forme de
serpent). Le réalisateur accentue leur facette sexuelle et organique avec une
fascination pour émanations corporelles diverses forcément connotées et ose un
côté racoleur où les femmes seront toujours celles à subir les derniers
outrages de ses êtres maléfiques.
Le film tient ainsi en haleine par son récit
en forme de course-poursuite tout en fascinant et ébranlant son spectateur par
ses excès graphique. Le réel s’estompe pour nous plonger dans des abimes infernaux
où absolument tout est possible, baignant dans des éclairages baroques qui
contrastent avec les teintes douces et bleutées accompagnant la romance. La
mise en scène de Kawajiri joue à la fois d’un sens du mouvement virtuose, de
cadrages toujours dynamiques mais aussi de compositions de plans laissant se
déployer l’insoutenable dans toute son horreur avec ce bestiaire chargé. Le
film arrête le design que l’on retrouvera dans tous ses films, le héros musclé
et imposant, l’héroïne au visage fin et tragique et au corps longiligne laissant deviner
des formes généreuse et le petit être fourbe et rachitique en sachant plus que
tout le monde.
On retrouvera exactement les mêmes types de protagonistes et
cette veine romantico-horrifique dans Ninja
Scroll
(1993), le chef d’œuvre de Kawajiri où il endosse pleinement monstruosité et
mythologie en revisitant le chambarra par l’incursion du fantastique. La Cité
Interdite fera sensation à sa sortie au Japon et deviendra une œuvre culte en
Occident aussi, générant des avatars n’ayant retenus que son côté racoleur et
sexuel comme Urotsukidodji
et ses suites. Quant à Yoshiaki Kawajiri, il retrouvera l’univers de Hideyuki
Kikuchi pour une autre adaptation mémorable, le gothique Vampire Hunter D : Bloodlust
(2000).
Un réalisateur de
films renommé pour ses comédies explique à son patron que, pour son prochain
long métrage, il veut réaliser un film qui soit le reflet de la vie, un film
qui montre au plus près la vie d'un homme ordinaire et les problèmes qu'il peut
rencontrer. Un film ancré dans la réalité qui se nommerait O Brother Where Art
Thou. Mais son patron lui fait comprendre qu'il n'a aucune idée de ce qu'est la
misère, qu'il n'y a jamais été confronté. Sullivan décide alors de se glisser
dans la peau d'un clochard. Il va s'habiller avec des vêtements en mauvais état
et s'en aller avec seulement dix sous en poche. Sur son chemin, il rencontrera
une charmante jeune femme qui l'accompagnera dans son délicat périple...
Preston Sturges signe un de ses chefs d’œuvres et sans doute
son film le plus populaire (même si incompris en son temps) avec Sullivan’s Travel. Le film est le
quatrième du fulgurant enchaînement qui, de Gouverneur
malgré lui (1941) à The Great Moment
(1944) le plaça au sommet de la Paramount où il inaugura la transition de
scénariste à réalisateur à Hollywood. Durant toute cette période dorée, Preston
Sturges développa un art comique fonctionnant autant sur la comédie de
situation que du splapstick où il introduisait les codes d’autres codes visuels
comme le cartoon. A cela s’ajoutait des sujets sociaux audacieux marqués par la
Grande Dépression et le contexte de la Seconde Guerre Mondiale : la
corruption dans Gouverneur malgré lui,
la fascination pour l’uniforme dans Héros d’occasion (1944), la difficulté à joindre les deux bouts du couple de
Christmas in July (1940) ou encore la situation de fille-mère dans Miracle au village (1944). Dès lors on
aura tôt fait d’assimiler Sturges à un alter-ego de Frank Capra à la Paramount
mais la folie douce du réalisateur le rend définitivement unique et d’autant
plus dans le déroutant mélange de drame et de comédie que constitue Sullivan’s Travel. Le scénario fonctionne
d’ailleurs sur cette absence de choix d’une tonalité unique dans le traitement
d’un sujet social, Preston Sturges l’ayant écrit en réaction de ses collègues
réalisateurs de comédies transformés en prêcheurs plombant dès lors qu’il
fallait délivrer un « message ».
C’est donc ce type de protagoniste que met en scène Sturges
avec le réalisateur de comédie John L. Sullivan (Joel McCrea) soucieux de
désormais filmer la réalité, la vérité de la misère sociale que vit le peuple.
Cette volonté louable ne repose pourtant que sur des formules grandiloquentes
et creuses alors que, comme lui font remarquer ses producteurs, il n’a jamais
vécu dans le dénuement. Sullivan prend ainsi le défi au pied de la lettre,
partant à l’aventure sur les routes en guenilles, barbe de trois jours et dix cents
en poches pour ressentir cette pauvreté qu’il souhaite filmer. Preston Sturges
montrera cette connaissance et compréhension progressive des bas-fonds par
Sullivan en délestant peu à peu le film de ses effets. Toutes les premières
tentatives d’immersion du héros seront désamorcés par des éléments associés à
sa vraie existence et rende ainsi l’expérience artificielle. La fuite en avant
est donc sources de séquences comiques délirantes comme une poursuite survoltée
entre le car dépêché par le studio pour suivre Sullivan et ce dernier réfugié
dans le bolide d’un gamin.
Les effets appuyés, les gags grotesques et les
attitudes outrancières nous signifient que nous sommes toujours dans le monde
du cinéma et laissent toujours une porte de sortie, involontaire certes, mais
bien réel à Sullivan. Les échappées s’avèrent relativement confortable avec la
rencontre d’une veuve avenante, la fuite en camion le ramènera au hasard à
Hollywood et même le premier contact avec la pauvreté n’est pas totalement
éloigné de son quotidien. Ce sera avec Veronica Lake, actrice ratée sur le
point de quitter Hollywood. Celle-ci dans un de ses premiers rôles majeurs
incarne idéalement la dualité du film, son allure glamour dénotant avec les
tirades désabusées et l’air blasé de celle qui a échouée et renoncée.
L’état de
pauvreté est synonyme d’empathie et de monstruosité pour Sturges qui montre la
solidarité que suscite ce dénuement (Veronica Lake offrant un repas à Sullivan
malgré sa propre situation critique) mais aussi sa violence lorsque Sullivan
sera agressé par un mendiant à qui il a pourtant donné l’aumône. Avec Veronica
Lake comme partenaire dans sa quête, Sullivan va alors s’enfoncer plus
profondément dans la fange. Les éléments comiques se font plus rares tant dans
le dialogue que par la mise en scène, Sturges orchestrant de saisissants
tableaux de misères entre soupe populaire, lit de fortune et météo capricieuse.
Pourtant même là le parcours est vicié par une échappatoire toujours possible
vers le confort de sa villa hollywoodienne quand le tout devient trop insoutenable.
Il faudra attendre la dernière partie pour que le chemin de
croix de Sullivan en soit vraiment un. Il va alors goûter à l’anonymat
ordinaire du pauvre, exposé à la violence et à la justice arbitraire où son
identité se limite à ses moyens misérables. Devenu « l’égal » de ceux
qu’il n’a fait qu’observer de loin jusque-là, il va enfin pouvoir partager ce
qui leur réchauffe le cœur dans cette douloureuse existence : le rire.
Sturges passe d’ailleurs par la chaleureuse empathie d’autres opprimés, les
noirs, pour montrer la prise de conscience de Sullivan. La caméra durant le
reste du film aura illustrée la foule des hobos comme une entité collective
réunie par une affliction commune mais, lors de la projection d’un dessin animé
qui égaiera leur vie pour quelques minutes, Sturges filme les visages s’illuminer
de rire de manière isolée.
Les pauvres bougres retrouvent une identité, une
nature tangible par une bonne humeur passagère leur rendant leur humanité, cet
éveil étant aussi de Sullivan dont nous partageons le regard. Ce qu’il sait
faire de mieux, c’est divertir et ce n’est qu’ainsi qu’il rendra hommage aux
démunis qui n’ont que faire de retrouver à l’écran une misère qu’ils ne
connaissent que trop bien. Les ruptures de tons entre mélodrame et comédie
décontenanceront le public et la critique d’alors mais la modernité et l’audace
du propos seront saluée avec le temps, en faisant le film le plus populaire de
Sturges. Les frères Coen contribueront à faire retrouver son lustre au
réalisateur (pour la critique française en tout cas) à travers Barton Fink (1991) où le personnage de
John Tuturro retrouve le discours condescendant de Sullivan sur « l’homme
du peuple » et aussi O Brother,
Where Art Thou? (2000) dont le titre reprend celui du film imaginaire de
Sullivan.
Pendant la Seconde
Guerre mondiale, un cargo irlandais en partance des Etats-Unis est chargé de
transporter des explosifs jusqu'à Londres. Le périple inclut un passage aux
Antilles. Mais, si le paysage change, la vie sur le bateau reste la même :
beuveries et bagarres sont le quotidien de ces marins. Des soupçons se portent
également sur l'un d'entre eux, qui pourrait être un espion allemand. Quant au
matelot Olsen, il n'a qu'une idée en tête : rejoindre sa Suède natale...
Précédé (La Chevauchée
fantastique (1939), Vers sa destinée
(1939), Les Raisins de la colère
(1940)) et suivi (Qu'elle était verte ma vallée (1941)) de certains des classiques les plus célébrés de John Ford,
Les Hommes de la mer est une œuvre un peu oubliée alors qu’il s’agit sans doute
d’un de ses films les plus personnels. Le film est une parenthèse entre les
mastodontes précités (tous sous la bannière Fox) que Ford produit en
indépendant à travers sa société Argosy Pictures, avec un budget et une équipe
réduite de proches collaborateurs. C’est également l’occasion de retrouver John
Wayne dont il avait mis la carrière sur orbite avec La Chevauchée Fantastique. Wayne encore sous contrat avec le studio
Republic n’a alors pas son destin en main et sera contraint de tourner des
dispensables westerns de série jusqu’au milieu des années 40. Ford mais aussi
Cecil B. DeMille avec Les Naufragés des
mers des mers du sud (1942) lui permettront ainsi de maintenir ce nouveau
statut de vedette avant qu’il ne retrouve le libre choix de ses rôles.
Le scénario de Dudley Nichols est une fusion de quatre
pièces de théâtre de Eugene O'Neill (The
Moon of the Caribbees, In the Zone,
Bound East for Cardiff, et The Long Voyage Home) dont Ford déplace
le contexte de la Première à la Seconde Guerre Mondiale. Le titre original The Long Voyage Home capture bien la dimension
à la fois intimiste et épique ainsi que la mélancolie rattachée au cinéma de
John Ford. Tout comme la diligence de La
Chevauchée fantastique, ici l’équipage du SS Glencairn dessine un monde multiple à travers les différentes
personnalités, origines et parcours des différents matelots. Le réalisateur les
capture d’abord d’un bloc dans une notion de groupe et de camaraderie
exprimée par une truculente scène de beuverie où nos marins passent de la
séduction grossière des avenantes autochtones de ces îles des Antilles à
une mémorable bagarre collective - un ton rieur et exotique qu'on retrouvera dans le plus tardif La Taverne de l'Irlandais (1963).
Que ce soit ceux qui s’abandonnent
joyeusement dans cette fange le temps de l’escale ou ceux l’observant en
retrait, on devinera progressivement pour chacun des personnages le rapport qu’il
entretient à la mer. L’idée de retour symbolisée par le titre original semble
ainsi impossible pour les figures sans attaches comme le gueulard au grand cœur
Driscoll (Thomas Mitchell), qui masque ce manque par son attitude tapageuse. Ce
retour est sans cesse retardé pour le suédois Ole (John Wayne) par les excès de
la vie en mer, chaque paie lui permettant de retrouver la ferme familiale se
retrouvant noyé dans l’alcool et les femmes. Enfin Smitty (Ian Hunter) rongé
par la honte et les addictions se refuse ce retour alors que femmes et enfants
l’attendent dans son Angleterre natale. Chargé de transporter des explosifs des
Etats-Unis vers l’Angleterre, le navire devient dont durant le voyage un espace
de communion collective mais aussi d’introspection pour chacun des
protagonistes.
Ford l’atmosphère qu’il instaure imprègne ainsi le récit de
son identité irlandaise, autant dans sa dimension festive que profondément
mélancolique. Les chants traditionnels irlandais tonnent autant pour célébrer
une camaraderie festive que pour pleurer le sort et la disparition d’un
compagnon. Les éléments extérieurs, qu’ils soient naturels (une saisissante
scène de tempête) ou humains (un avion venant bombarder le navire en pleine
mer) n’interviennent que pour provoquer le drame et des morts tragiques. Sinon
ce n’est que le silence des hommes face à eux même et à la mer, Ford
contrairement à ses westerns laissant peu de place à la musique.
Le tournage
entièrement en studio permet de particulièrement plier l’environnement aux
émotions des personnages, notamment les ombres profondes de la photo de Gregg
Toland (on ne s’étonnera pas qu’Orson Welles ait fait appel à lui l’année
suivante pour son Citizen Kane)
évoquant presque le film noir mais ces ténèbres dévoilent plus les tourments de
l’âme qu’une veine criminelle. Certaines scènes sont parmi les plus
bouleversantes de la filmographie de Ford comme la longue agonie de Yank (Ward
Bond) ou encore la découverte du passé de Smitty, chacun de ces moments fondant
la douleur de l’intéressé dans la compassion du collectif avec la caméra
passant en revue les visages émus des matelots face à leur ami démuni. Le
refuge et la prison que constitue le navire s’exprimera même par la seule
image, le temps d’un plan somptueux où les marins observent depuis la rambarde
le cercueil d’un des leurs être emmené sur la terre ferme.
Dans la dernière partie cette terre ferme s’avérera
définitivement inhospitalière, un lieu de perdition peuplé de tentateurs bien
loin de la fraternité des hommes de la mer. Loin de l’errance perpétuelle de la
terre, c’est en retournant en mer que tout peut commencer où s’achever, où l’on
peut prendre le chemin du retour, mourir ou reprendre un voyage sans fin mais
en chaleureuse compagnie.
Sorti en dvd zone 2 français à L'Atelier d'image et de corporation
Charles Bonnet possède une
impressionnante collection d'art, dont il vend parfois quelques pièces à
d'autres amateurs. Seul problème, les œuvres sont en fait d'ingénieuses
imitations. Par défi et orgueil, il accepte de prêter une somptueuse
statuette à un musée : la Vénus de Cellini. Ce qu'il ignore, c'est que
la fameuse statuette va faire l'objet d'une expertise. Sa fille,
inquiète, décide de régler l'affaire à l'aide d'un séduisant inconnu,
qu'elle prend pour un voleur...
How to Steal a Million est la troisième collaboration entre William Wyler et Audrey Hepburn et si elle n'atteint pas les hauteurs de la romance Vacances Romaines (1953) ou l'audace du drame La Rumeur
(1961), cela reste un excellent divertissement. Le film croise comédie
romantique et film de casse avec un charme de tous les instants et sans
que les deux genres se parasitent. Le motif du vol est en effet avant
tout sentimental, mené par des personnages honnêtes tout au étant au
fait des monde criminel.
Nous aurons d'abord Nicole Bonnet (Audrey
Hepburn), fille de faussaire bientôt victime de l'arnaque de trop alors
qu'une fausse statuette prêtée à un musée s'apprête à être expertisée et
le démasquer. Seul planche de salut, faire appel au cambrioleur Simon
Dermott (Peter O'Toole) que quelques indices semblent pourtant bien
placer du bon côté de la loi. Mais lorsque l'amour s'en mêle les deux
vont se laisser griser, Nicole tout en cherchant à sauver son père (Hugh
Griffith) n'est pas mécontente d'avoir recours à ce séduisant voleur et
Simon ira jusqu'au bout du jeu pour les beaux yeux de cette française.
Audrey
Hepburn qui approchait la quarantaine (et ne s'aventurera dans le rôle
de la maturité que l'année suivante avec l'excellent Voyage à deux
de Stanley Donen) déborde à nouveau de candeur et de charme pour
fissurer l'honnêteté de Peter O'Toole. L'acteur excelle dans un jeu
décalé et subtil dont l'outrance dissimule autant qu'il dévoile les
aptitudes criminelles du personnage. Forçant le trait dans le côté faux
dur à coup d'intonations parodiques et de postures bravache, son brio
s'exprime dans l'action sans se départir de cette fantaisie lors de la
longue et excellente scène de casse. La sécurité est forcée par une
psychologie de l'absurde brillamment amenée, rendant la séquence aussi
drôle que haletante.
Les meilleurs moments sont donc ceux où Audrey
Hepburn vulnérable et démunie fait céder Peter O'Toole qui nous font
fondre, on pense à l'ultime entrevue avant le casse où ses larmes lui
font changer d'avis, toutes les perches tendues pour la dissuader ou la
délicieuse promiscuité dans un placard balai. William Wyler emballe
l'ensemble avec élégance dans un Paris glamour et touristique à souhait,
secondé par les superbes décors façonnés par Alexandre Trauner (le
musée oula demeure des Bonnet) et une Audrey Hepburn plus chic que
jamais, arborant une nouvelle tenue Givenchy (avec un dialogue qui se
moque gentiment du lien de l'actrice au couturier) à chaque scène. Une
manière de célébrer le charme français tout en se moquant gentiment des
américains à travers le personnage d'Eli Wallach, collectionneur
"possesseur" plus qu'homme de goût. Un Wyler mineur mais débordant de
charme.
Victime d'un complot ourdi par ses
associés, le banquier Paul Lavond est envoyé au bagne. En prison, il
fait la connaissance d'un chimiste génial qui a découvert un procédé
permettant de rapetisser les animaux. Les deux hommes parviennent à
s'enfuir. Maintenant libre, Lavond entreprend de se venger en appliquant
l'invention du chimiste à ses anciens associés, qu'il souhaite réduire à
l'état de Lilliputiens.
Avant-dernier film de Tod Browning, Les Poupées du diable constitue un nouveau classique du cinéma fantastique pour le réalisateur. Le film adapte le roman Burn Witch Burn
de Abraham Merritt pour une histoire mêlant habilement fantastique et
récit de vengeance. C'est précisément le surnaturel qui rend la
vengeance réalisable avec le bagnard Paul Lavond (Lionel Barrymore)
usant de l'invention du codétenu avec lequel il s'évade pour punir ses
anciens associés responsable de sa déchéance. La faculté de Browning à
déstabiliser avec des images défiant la logique fonctionne à plein ici,
où après la simple étrangeté de la vision de chiens miniaturisés le vrai
malaise s'instaure en appliquant le principe à une malheureuse
servante. Sous son allure frêle la folie du savant (Henry B. Walthall)
et de son épouse et assistante Malita (Rafaela Ottiano) interpelle, le
peu de cas fait de leur cobaye rendant le prodige plus dérangeant que
poétique.
Tout le film tourne autour de ces sentiments
contrastés, Paul Lavond s'avérant tour à tour touchant de détresse face
aux conséquences de son long emprisonnement (sa mère vivant dans la
misère, sa fille jouée par Maureen O'Sullivan qui lui tient une rancœur
tenace) puis impitoyable dans l'exécution de sa vengeance. Une dualité
qu'on retrouve aussi dans son travestissement en vieillarde avenante qui
lui permet d'amadouer ses interlocuteurs et passer entre les mailles de
la police. C'est surtout dans la contradiction entre l'allure innocente
et angélique des poupées et les crimes sordides qu'elles sont
téléguidées à faire que Tod Browning sert les visions les plus
stupéfiantes.
Browning fit concevoir des décors gigantesques au le
directeur artistique Cedric Gibbons pour un saisissant jeu sur les
échelles qui donne aussi à ces séquences une aura étrange,
cauchemardesque et finalement dépourvues de tout émerveillement. Cet
aspect se dévoile parcimonieusement (la scène où Malita fait danser les
deux poupées) par la grâce de stupéfiants effets spéciaux (hormis les
ombres les incrustations son vraiment parfaite pour l'époque), mais
c'est la dimension menaçante et inquiétante qui domine notamment par un
crime nocturne brutal.
La résolution jouera également sur
plusieurs gammes d'émotions, le chaos pour les vrais monstres guidés par
la seule expérience, l'apaisement pour les plus innocents et une belle
fin ouverte où l'on peut aisément imaginer un Paul Lavond apaisé se
retirer définitivement.
Les Compson ont été
l'une de ces riches familles du sud des États-Unis. De ces gens puissants, à la
fois orgueilleux et jouisseurs du temps de leur prospérité, et qui, avec la
misère, sombrent dans l'alcoolisme et l'abjection. C’est cet univers familial décadent
et austère que rêve de fuir la jeune Caddy Compson. Un soir de fugue, elle
rencontre un beau forain…
Le Bruit et la fureur
est la seconde adaptation de William Faulkner de Martin Ritt après Les Feux de l’été sorti l’année précédente. Le film est selon les
amateurs de Faulkner très éloigné de la trame du roman (dans la construction,
dans le traitement des personnages mis en avant ou en retrait par rapport au
livre et inversement) et finalement doit plus aux adaptations à succès de
Tennessee Williams (Baby Doll (1956) d’Elia
Kazan et La Chatte sur un toit brûlant
(1958) de Richard Brooks en particulier pour le cadre sudiste) mais aussi la
grande vague de mélodrames des années 50 allant de Douglas Sirk à Delmer Daves
et souvent produit par Ross Hunter.
Le
Bruit et la fureur s’en éloigne pourtant par son refus de l’emphase inhérente
au genre, que ce soit le côté soap opera friand de rebondissements improbables,
de la tension sexuelle sous-jacente ou palpable et plus globalement d’une exacerbation
du drame allant crescendo jusqu’à un baroque assumé. Ici tout s’exprimera en
creux pour illustrer les fêlures de la famille Compson, anciennement l’une des
plus riches de la région et déchue de sa grandeur passée. La plupart des
membres ne semblent pas s’être remis de cette chute, la scène d’ouverture étant
un véritable défilé de névroses avec alcoolisme, désordre mental ou délire
hypocondriaque. Oncle, frères, mères, tous vivent encore dans le souvenir d’une
arrogance et orgueil passés les empêchant de se raccrocher une nouvelle
existence.
L’avenir de la famille ne tient que sur le fil d’un socle et
d’une incertitude. Le socle c’est Jason Compson (Yul Brynner chevelu pour des
rares fois), fils adoptif du patriarche Compson qui fait vivre la famille à la
dure. C’est cette nature conjointe d’héritier et d’élément extérieur qui semble
le rendre plus solide et apte à affronter la vie, acceptant de s’abaisser à un
emploi dans une boutique de vêtement où son patron ne cesse de le narguer sur
ce patronyme prestigieux qui ne l’empêche pas d’être son employé. Cette force
facel’existence, Jason aimerait l’inculquer
à sa nièce Quentin (Joanne Woodward) livrée à elle-même depuis que sa mère l’a abandonnée
nourrisson. Tout le film fonctionnera donc sur cet enjeu, la faculté de Quentin
devenir aussi solide et équilibrée que son oncle ou sa faiblesse la destinant à
la décadence du reste de la famille. Comme dit précédemment, Martin Ritt
orchestre ces thèmes avec une vraie sobriété dramatique et visuelle, la tension
ne naissant que dans la caractérisation et les rapports entre les personnages.
L’autorité brutale de Jason destinée à endurcir sa nièce suscite en fait un
vrai rejet chez l’adolescente en quête d’affection, menacée par toutes les
tares qui ont perdues le reste de sa famille. La frivolité (Margaret Leighton) d’une
mère qui va ressurgir va la faire céder aux premiers bras musclés venus avec le
forain Charlie Busch (Stuart Whitman) qui va l’initier à d’autres tentations. Ritt
par son sens de la retenue désamorce chaque moment où l’intrigue est susceptible
de basculer dans un malaise trop prononcé, que ce soit par une mise en scène dépourvue
d’effets pouvant exacerber les moments troubles mais aussi par le montage (la
coupe nette alors que la tension sexuelle semble monter quand Quentin et le
forain sont seuls dans la caravane) mais finalement aussi par le scénario d’Irving
Ravetch et Harriet Frank Jr (déjà à l’œuvre sur Les Feux de l’été) faisant surgir Jason à chaque fois que Quentin s’apprête
à céder à ses démons.
Yul Brynner incarne ainsi brillamment un garant moral dont
le caractère droit, glacial et sarcastique offre un pendant rassurant mais
opaque à la dégénérescence du reste de la famille. Cela ne rendra que plus
touchant les moments où il daigne se dérider comme la glace partagée avec
Quentin ou ce thé chez une vieille commère cherchant à le marier. Face à lui
Joanne Woodward (29 ans mais qui fait parfaitement illusion en adolescente de
17 ans) symbolise toute l’inconséquence de la jeunesse cherchant à s’émanciper
et attirer l’attention. Martin Ritt l’oppose au miroir déformant de qu’elle
pourrait devenir avec cette mère indigne et toujours aussi narcissique, mais la
confronte aussi au monstres tapis dans les errements de la famille (le simplet
Ben pouvant céder à une violence inattendue).
Dès lors le personnage se
construit dans ses erreurs et distingue les piètres exemples d’humanité qui l’entoure
avec la dureté inflexible mais bienveillante de Jason, le film amorçant même un
semblant de romance incestueuse dans l’idée (les personnages n’ayant aucun lien
du sang en réalité). Cette approche patiemment construite pourra s’avérer
frustrante pour les amateurs de mélo hollywoodien too much mais est d’une grande justesse en s’affranchissant de
péripéties trop outrancière. Le dilemme final de Quentin et son choix relèvera
ainsi plus d’une logique et de sentiments subtilement amenés. Cette retenue n’empêche
pas une certaine audace où l'identité d’une famille
traditionnelle du sud repose sur une gouvernante noire en vraie mère de famille
(magnifique Ethel Waters, le présent sur « l’étranger » (Yul Brynner)
et le futur sur la fille illégitime (Joanne Woodward).