Le jeune Henry Palfrey
tente de faire impression sur son patron, sur les jolies filles... Peine
perdue. Invariablement, le désagréable Raymond Delauney, son ennemi juré, lui
dame le pion. En désespoir de cause, Palfrey s'inscrit dans une école dont
l'enseignement peu orthodoxe vise à faire découvrir aux élèves les clefs du
succès, sans regarder de trop près aux moyens d'y parvenir...
Robert Hamer s’était montré un des réalisateurs les plus
provocateurs et socialement engagé du Studio Ealing, autant dans le registre du
drame avec Il pleut toujours le dimanche
(1947) que celui de la comédie avec le classique Noblesse Oblige (1949). C’est à ce dernier que Robert Hamer doit
d’être resté à la postérité avec un jeu de massacre virtuose où il fustigeait
les clivages de classes de la société anglaise. Le cadre Victorien du film
était une manière de ne pas évoquer directement une Angleterre d’après-guerre
où passée l’entraide et le relatif égalitarisme du Blitz ces clivages
refaisaient surface comme si rien n’avait changé. Le héros de Noblesse Oblige était un aristocrate
déchu de son statut qui allait le reconquérir par le meurtre mais qui avait
déjà toutes les attitudes hautaines et fières de la classe dominante. School for Scoundrels revisite la
question avec plus de légèreté mais le propos d’Hamer n’en restera as moins
cinglant.
Le film est l’adaptation du Gamesmanship, une série de livres de développement personnel
ironiques de Stephen Potter. Le succès des livres incite aussitôt à une
transposition cinématographique mais la difficulté sera de leur accoler une
vraie trame narrative. Hollywood s’y intéressera en premier, le producteur Carl
Foreman tentant d’en tirer une version avec Cary Grant mais l’humour
typiquement anglais et truffé de néologismes s’avérera inadaptable pour un
public américain. Le projet revient donc dans le giron anglais et Peter Ustinov
en rédigera une première version mais pris par d’autres projets il en délèguera
l’écriture à son ancienne secrétaire Patricia Moyes qui le remaniera avec le
producteur Hal E. Chester. Dans Noblesse
Oblige le héros ne cherchait qu’à regagner un titre dont il s’estimait
spolié mais s’en estimait légitime par son comportement arrogant. School for Scoundrels nous montre avec
le malheureux Henry Palfrey (Ian Carmichael) un personnage pour qui lequel
l’identité et la confiance en soi est entièrement à reconstruire.
Le scénario
nous fait entrer de plein pied dans les années 60 où la figure masculine
conquérante est à façonner dans une attitude détachée qui anticipe Alfie le dragueur (1966). Le titre
suffisait à définir une supériorité naturelle dans Noblesse Oblige, mais à l’ère moderne il suffit simplement de
mépriser l’autre, de chercher par tous les moyens à le dominer et l’écraser. Le
gaffeur et naïf Henry Palfrey est totalement dénué de cet instinct et va subir
toutes les humiliations possibles. Amoureux de la belle April Smith (Janette
Scott), il se voit surclassé par son rival Raymond Delaney (Terry-Thomas) dont
la désinvolture et la roublardise le place constamment en situation de
faiblesse. Le frêle et gauche Henry ne peut soutenir la comparaison avec le
mâle alpha que symbolise Raymond, s’immisçant dans son rendez-vous galant et
draguant impunément April sous ses yeux ou plus tard le dominant outrageusement
durant un match de tennis. Robert Hamer établit ce statut dominant/dominé par
l’image et par le verbe. Durant dîner au restaurant, la gestuelle assurée de
Raymond enlaçant April s’inscrit dans le cadrage mettant immédiatement Henry en
retrait dans la disposition des personnages à table.
Le montage construit un
quasi tête à tête de Raymond et April avec en contrechamps un Henry à l’écart
qu’on pourrait presque croire situé à une table différente, intrus à son propre
rendez-vous amoureux. L’art de l’éloquence joue aussi, Henry perdu face à la
carte des vins et menus devant laisser le choix à Raymond connaissant la
signification de tous les termes imagés désignant les mets. Cette assurance
autorise ainsi une audace méprisante pour Raymond qui après avoir parasité le
rendez-vous fait payer la note à Henry et repart avec April ! On aura la
même approche durant la scène du match de tennis où par les mots, la façon de
se mouvoir et l’assurance méprisante Raymond déstabilise notre héros. Robert
Hamer écrase Henry dans sa mise en scène, soleil dans les yeux, mettant toutes
ses balles out et forcé de courir comme un dératé tandis que le contrechamps
nous montre un Raymond stoïque, renvoyant chaque balle avec un minimum d’effort
et outrageusement avancé dans le carré de service. Cette faiblesse se traduira
aussi au quotidien durant des scènes aussi drôles que pathétique où Henry sera
tour à tour soumis à son propre comptable (Edward Chapman), victime de vendeurs
de voitures arnaqueurs et incapable de s’imposer pour obtenir une table au
restaurant.
Si le meurtre était nécessaire pour reconquérir son honneur
dans l’Angleterre Victorienne de Noblesse
Oblige, au XXe siècle il suffit de s’adjuger une sorte d’ancêtre du coach
avec Alastair Sim endossant carrément le rôle de Stephen Potter, directeur de
la «School of Lifemanship ». Les scènes d’apprentissages sont hilarantes
et assez glaçante puisqu’il n’a pas juste question d’être à l’aise en société
mais d’en être le centre d’attention en écrasant l’autre par tous les moyens. Les
stratagèmes s’appliquent ainsi autant à éliminer un rival trop éloquent, faire
perdre ses moyens à un adversaire en pleine partie de billard ou encore avoir
le mot juste pour alléger une femme de sa robe et l’emmener jusqu’à sa chambre.
Alastair Sim par sa présence charismatique et malicieuse rend bien toute la
subtilité sournoise de l’art du Gamesmanship,
notamment une mémorable première entrevue avec Henry. Tout l’art de plier un
esprit faible par les mots (Potter passant de « Monsieur Palfrey », « Palfrey »
puis un familier « Henry » au fil de son ascendant dans la
conversation), le langage corporel et le regard avec en point d’orgue Henry
s’excusant d’oser redemander son propre stylo que Potter s’était approprié. Une
leçon de mépris magistrale filmé avec un brio sobre et précis par Robert Hamer.
La dernière partie est assez jubilatoire avec la mise en pratique
des préceptes par un Henry s’avérant un disciple surdoué. Robert Hamer retourne
tous les partis pris évoqués précédemment pour cette fois servir la revanche
d’Henry, notamment l’éloquence (pour se payer les vendeurs de voitures escrocs)
et l’attitude dédaigneuse et supérieure pour ramener le comptable à son statut
d’employé servile et craintif. C’est bien sûr le retour de bâton face à Raymond
qui sera la plus jubilatoire. Henry brise son adversaire en mettant à mal son
assurance tranquille (par l’attente forcée qu’il lui fait subir), en fissurant
ses signes extérieurs de virilité avec son bolide mis en pièce et en titillant
sa jalousie par un habile mensonge. Là aussi cette bascule passe par l’image
avec ce significatif moment où Henry domine du haut de son balcon un Raymond en
bas, levant la tête pour lui parler en contre-plongée.
Ainsi sorti de ses gonds
par cette série de viles astuces, le match de tennis s’avère une cruelle leçon
pour Raymond. Robert Hamer n’ose cependant pas aller jusqu’à l’extrême noirceur
de Noblesse Oblige où la fin
justifiait les moyens (malgré un semblant de pirouette morale finale), et si le
Gamesmanship s’avérera une tout aussi
redoutable arme de séduction, la sincérité et l’amour évite de sombrer dans le
cynisme le plus total. Réellement amoureux, Henry vacillera au moment de faire
de son aimée sa « chose ». L’interprétation évite de donner une
dimension moralisatrice à ce final. Ian Carmichael habitué à jouer les benêts
chez les frères Boulting (Private's Progress, 1956), Après moi le déluge
(1959), Heavens Above (1963))
amène ici une vulnérabilité attachante qui l’éloigne de ses emplois d’ahuris,
Terry-Thomas revisite sa figure de calculateur là aussi bien exploité par les
Boulting et le grand Alastair Sim est une fois de plus génial en mentor
espiègle. Il est bien dommage que ce fut le dernier film de Robert Hamer,
encore jeune mais fauché par son alcoolisme notoire (une partie du film sera
tourné par Cyril Frankel et Hal E. Chester) tant cette réussite trouve sa place
dans sa courte mais passionnante filmographie.
Sorti en dvd zone 2 français chez Tamasa
Extrait
Extrait
Ah Ah... Je vois que tu as le privilège (sur nous autres pôvres mortels ) de visionner les DVD Tamasa en prime time !! (annoncé pour le 5 Avril à la fnacos) Je n'ai vu qu'une fois ce film (chez Optimum), au titre anglais imprononçable et j'en ai gardé un bon souvenir, du coup tu m'as donné l'envie de le revoir !!
RépondreSupprimerTerry-Thomas et Ian Carmichael sont de grands acteurs que j'ai eu l'occasion d'apprécier dans d'autres films anglais, je connais moins ton idole Alastair Sim (très populaire en Angleterre). Merci pour ces infos passionnantes sur la genèse du film.
Oui reçu en avance pour la chronique sur Classik que je tease un peu ici ^^ Si tu aimes le duo Terry-Thomas/ Ian Carmichael je te recommande vivement les comédies des frères Boulting que je cite dans le texte (j'en ai chroniqué pas mal sur le blog) qui sont assez géniales et corrosive. Et sinon oui j'adore Alastair Sim, trop méconnu en France mais un vrai génie comique et au registre très varié comme dans le surprenant Un Inspecteur vous demande sorti récemment chez Studio Canal. On commence à avoir pas mal de film avec lui de disponible en France comme les comédies de Frank Launder c'est l'occasion de mieux le découvrir ;-)
Supprimerbonsoir, je viens de le voir (Alistair Slim) dans the happiest days of your life. Merci pour cette chronique.
SupprimerExcellent "The Happiest days of your life" j'en avais parlé ici sur le blog
Supprimerhttp://chroniqueducinephilestakhanoviste.blogspot.fr/2015/03/the-happiest-days-of-your-life-frank.html
D'ailleurs à tenter après la "suite" encore plus drôle "Les Belles de St Trinians" par la même équipe
Concernant Ian Carmichael et Terry-Thomas j'ai le dvd du film "I'm all right Jack" des Boulting Bros que j'aime aussi beaucoup. Ian Carmichael est aussi excellent et très drôle dans le sketch "The Elemental" du film d'horreur macabre de 1974 "From Beyond the Grave", le segment le plus humoristique du lot.
SupprimerDavid Warner, Donald Pleasence (et sa fille) et Ian Bannen sont dans les autres sketches, le fil rouge c'est Peter Cushing, que demander de plus ?? ...des bons scénarios ?? Ils sont aussi au rendez-vous.
Oui, merci du conseil. bonsoir.
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