Paul Sullivan et sa fiancée Ingrid Jessner se rendent à Belfast pour enquêter sur des allégations d'atteinte aux droits de l'homme commises par les forces de sécurité britanniques. Paul est assassiné dans des circonstances mystérieuses et est enregistré en tant que complice de l'IRA. Mais Ingrid et l'enquêteur britannique Paul Kerrigan, mettent en doute les conclusions de l'enquête et viennent à découvrir un complot mettant en cause des personnalités haut placées...
Ken Loach signe un de ses plus brillants et singuliers films avec Hidden Agenda, qui le voit s’essayer au thriller politique. Le film a une approche originale en s’attaquant plutôt versant anglais aux racines et dérives contemporaines du conflit nord-irlandais, baptisé localement The Troubles. Ce parti-pris sera d’ailleurs reproché à Loach avec le véritable scandale médiatique que déclenchera Hidden Agenda, puisque le récit occulte ou biaise le versant criminel et terroriste des exactions de l’IRA. Ken Loach s’inspire de faits réels, et plus précisément le rapport « John Stalker » sur l'Irlande du Nord. John Walker était un célèbre officier de police britannique, spécialiste entre autres des questions de terrorisme. Au début des années 80, il rédigea un sulfureux rapport d’enquête dénonçant une politique meurtrière orchestrée contre des suspects appartenant à l'IRA, et menée de façon "provisoire" par la police royale de l'Ulster. Dans le but d’étouffer l’affaire, Walker fut suspendu de son poste, décision qui fit controverse quand elle fut rendue publique débouchera sur un débat parlementaire houleux le 22 novembre 1986.
Ken Loach part donc de cette base pour développer les ramifications possibles de l’affaire. Le point de départ interpelle d’ailleurs avec le couple d’avocats joué par Brad Dourif et Frances McDormand, venant enquêter les transgressions des droits de l’homme en Irlande (et par extension en Grande-Bretagne) comme ils pourraient le faire dans une contrée supposée plus « arriérée » ou exotique vivant sous la dictature. Les confidences des victimes ouvrant le film nous ramènent cependant vite à la triste réalité des faits. De plus, l’atmosphère oppressante du film appuie de façon explicite cette vérité avec la tension latente qui transparaît par l’omniprésence des troupes militaires anglaises dans les rues. Le danger est également implicite avec une atmosphère de thriller paranoïaque palpable, un sentiment de se sentir constamment épié.Alors que Paul (Brad Dourif) s’apprêtait à découvrir une face plus trouble du conflit, il est dramatiquement assassiné. L’enquête menée conjointement par Paul (Brian Cox en pendant fictionnel de John Walker) d’Ingrid (Frances McDormand), fiancée endeuillée, s’avère captivante avec les secrets tournant autour d’une mystérieuse cassette. Tout en posant justement cette ce climat anxiogène, Ken Loach ne cède pas tant que cela aux artifices classiques du thriller. L’hostilité et le refus de collaborer du chef de police avec Paul, rend manifeste la complicité de la police que la violence sèche du meurtre laissait comprendre. Les remarquables scènes d’interrogatoires face à des agents et fonctionnaires ordinaires « rouages » plus que complices d’un système débouche sur des aveux rapides. La vérité immédiate d’un assassinat est assumée et les coupables des fusibles sacrifiables, car dissimulant une horreur plus vaste.L’intrigue rejoint tous les grands combats sociaux de Ken Loach, puisque la répression du gouvernement britannique qu’il soit envers une communauté sociale (les conflits des mineurs des années 70/80) ou un territoire (l’Irlande du nord) se nourrit d’une volonté de profit et de statuquo. Nul besoin de forcer les artifices de suspense quand le sentiment de puissance et d’impunité des coupables très hauts placés s’exprime par le biais des intéressés lors de remarquables scènes de dialogues. La détermination et la nature incorruptible de Paul se heurte à cette fatalité, tandis que l’on devine que les obstacles nombreux se poseront sur le chemin de Ingrid malgré les preuves accumulées. C’est tout l’édifice des politiques contemporaines, des circonstances ayant mis au pouvoir un parti et surtout une personnalité controversée (Margaret Thatcher citée ouvertement), qui révèlent un envers monstrueux du gouvernement anglais – représenté par des vieillards cyniques et narquois, ivres de leurs privilèges. C’est captivant et glaçant à la fois, dans une logique dont la conclusion frontale et désabusée n’est pas sans rappeler le Mille milliards de dollars d’Henri Verneuil (1982).Sorti en bluray français chez Rimini