samedi 6 juillet 2024
Baby Tsina - Marilou Diaz-Abaya (1984)
Baby Tsina voit Marilou Diaz-Abaya creuser le même sillon que sa fameuse trilogie féministe (Brutal (1980), Moral (1983), Karnal (1985)), en particulier le premier volet Brutal dont
on retrouve plusieurs motifs. L'histoire adapte en effet de nouveau un
fait divers réel, à savoir la destinée de Evelyn Duave Ortega (surnommée
Baby Tsina pour ses traits "chinois"), complice avec trois acolytes
masculins du meurtre d'un homme. Arrêtée, jugée et condamnée à une peine
de sept ans de prison, elle argua que l'acte avait été motivé par la
vengeance car la victime l'avait enlevé et violée. Sur le papier on voit
les connections avec Brutal sur ce projet
pensé avant tout comme un véhicule pour l'actrice Vilma Santos (qui
jouera le rôle de Baby) et sur lequel va travailler Marilou Diaz-Abaya
avec son scénariste Ricky Lee, déjà à l'œuvre sur la trilogie.
Malheureusement on ne retrouve pas la force de cette dernière dans Baby Tsina, l'émotion, le message social et la puissance évocatrice semblant nettement plus artificiel ici.La raison tient sans doute aux nombreux arrangements avec la réalité
effectués dans le film par rapport au vrai fait divers. Toute la
dimension romanesque du film est inventée, que ce soit dans les
péripéties, la création pur et simple de certains personnages ou la
portée politique et féministe que l'on associe à Baby Tsina. Les
thématiques et le message semblent cette fois passer avant l'émotion et
des protagonistes consistants. Le début du film fonctionne cependant
lorsque l'on suit le quotidien de Baby en tant que prostituée dans les
clubs de Manille. Marilou-Diaz Abaya excelle à nous dépeindre des
bas-fonds violents et sordides en pleine loi martiale, que Baby semble
traverser comme une rose poussant sur du fumier, à l'image de la scène
d'ouverture où pimpante elle enjambe un véritable bourbier de rixes,
mendiants et saleté de façon indifférente. Elle apparaît comme un être
superficiel n'espérant s'en sortir que grâce à ses charmes, dans
l'attente d'un nanti ou politique quelconque qu'elle pourra faire tomber
dans ses filets. La rencontre avec Roy (Philip Salvador) va la
détourner de ces objectifs vénaux, ce dernier étant un petit
entrepreneur aux marges de la légalité cherchant à s'exiler aux
Etats-Unis. Tombé amoureux de Baby, il l'entraîne dans ce projet et
Marylou Diaz-Abaya déploie avec la stylisation romantique et érotique
qu'on lui connaît leur rapprochement de manière intense. On accepte par
ce prisme sentimental l'évolution de Baby, mais la totale fabrication
des évènements à suivre dessert le film. Non pas qu'il eut fallu
respecter à la lettre la réalité, mais les libertés prises semblent
davantage servir à plaquer au forceps les thèmes de la trilogie plutôt
que développer les personnages. Les ruptures de ton nous entraînent
arbitrairement dans le film de gangs, la joute intellectuelle et
philosophique en huis-clos puis le film de prison.On retrouve l'esthétique baroque et l'appétence pour le cinéma de genre
de la réalisatrice dans le récit de gang, notamment un éprouvante scène
de viol paraissant littéralement filmée dans l'antichambre des enfers.
Voulant scruter l'éveil de la conscience sociale de Baby, le récit
invente une cavale et une planque introspective où Baby discute sur la
notion de justice opposée à la loi juridique avec l'ami avocat chez
lequel elle s'est réfugiée. C'est intéressant sur le papier mais paraît
très artificiel, servant avant tout à préparer la scène de procès durant
laquelle justement la droiture "morale" de Baby la dessert face aux
réalités judiciaires ce qui entraîne sa condamnation. La longue dernière
partie en prison métaphorise presque la dictature philippine dans le
rapport de force entre les détenues et la tyrannie de l'une d'entre
elle. Là encore c'est un quasi prétexte pour ériger Baby en icône de la
démocratie et assez longuet. Les coutures pour relier chaque partie
trahissent donc les libertés prises, les personnages étant des
instruments au service de l'idée quand la trilogie était un tout
organique. Petite déception donc, le talent formel de la réalisatrice
tournant pour la première fois à vide ici.
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire