Fils du notaire d’une petite ville du sud de l’Italie, Antonio, 20 ans, passe ses journées à s’ennuyer avec ses amis Francesco et Sergio. Les semaines et les mois s’écoulent, interminablement semblables, meublés des mêmes discussions et de la même absence d’activité. Pour satisfaire à la tradition familiale, Antonio poursuit des études de notaire à Bari, mais le jeune homme rêve d’ailleurs…
Les Basilischi est la première réalisation d’une Lina Wertmüller encore loin du génial style agressif, baroque et grotesque qui fera le sel de ses chefs d’œuvre à venir durant les années 70 : Mimi métalloblessé dans son honneur (1972), Film d'amour et d'anarchie (1973), Chacunà son poste et rien ne va (1974), Vers un destin insolite sur les flots bleus de l'été (1974) ou encore Pasqualino (1979). Les Basilischi semble avant tout être sous influence de Federico Fellini dont elle fut l’assistante sur 8 ½ (1963). Plus précisément, le film de Lina Wertmüller, avec ce récit de l’ennui et du dépit d’une jeunesse masculine dans une petite ville du sud de l’Italie, semble offrir une variation de Les Vitelloni (1953), un des premiers coups d’éclat de Fellini.
Les Basilischi pourrait être ainsi qualifié d’œuvre néoréaliste tardive, voire de néoréalisme rose avec ses accents de comédie, sa description des mœurs archaïques, moralisatrices et étouffante de ce village. La réalisatrice s’émancipe cependant de ce passif par une vision se délestant à la fois du côté cru et « documentaire » du néoréalisme, mais aussi du pittoresque du néoréalisme rose façon Pain, amour et fantaisie (1953). Il plane ici une mélancolie, une distance, mais aussi un regard acéré qui évoque plutôt le Pietro Germi de Divorce à l’italienne (1961), Séduite et abandonnée (1964) et Ces messieurs-dames (1966). Malgré un effet de loupe plus appuyé sur certains personnages, il s’agit d’un film choral posant un regard résigné sur une région, un lieu, une communauté et ses individus. La scène d’ouverture traversant les logis et exposant les familles et protagonistes que nous allons suivre, par son ironie désabusée, expose la fatalité médiocre de leur destin par de lents travelling amorçant le motif circulaire du récit.Les plans d’ensembles et les vues en hauteur du village sont omniscients, mais dès qu’il s’agit d’adopter le point de vue d’un personnage, l’horizon est inexistant à l’image de leur avenir. Une grande partie du film réside dans l’errance où les jeunes garçons font le tour du village à pied, font une halte aux lieux de réunions habituels et rien d’autres. La mentalité timorée, la crainte du regard extérieur et inquisiteur d’un aîné vient tuer dans l’œuf le moindre risque d’heureux incident dans cette monotonie. C’est le cas lorsque Francesco (Stefano Satta Flores) décide après mille précautions et cérémonies d’aborder une jeune fille qui n’en demandait pas tant, mais qu’un simple rendez-vous galant se verra inlassablement reporté par prudence.Lina Wertmüller étend ce schéma à toutes les strates de la vie des jeunes gens du village. Un projet de coopérative agricole est tué dans l’œuf par l’immobilisme et l’égoïsme local, échec amorcé implicitement quand le démarchage des participants suit le trajet et la boucle circulaire des habituelles marches de l’ennui. Il y a comme un conditionnement et une résignation à cette stagnation, à cet échec programmé où nos protagonistes se rebellent mollement et suivent les préceptes signant l’archaïsme du village – d’un côté le mariage arrangé et intéressé d’un fils aîné, de l’autre un grand frère autoritaire envers sa jeune sœur. La réalisatrice évacue cependant subtilement tout aspect de prison au sein de ce village et ses habitants. Un électron libre « extérieur » est capable de s’en extirper avec cette citadine mal mariée à un comte local et qui ne supportera pas la sinistrose ambiante. Mais pour ceux nés en ces lieux, le village tient de la geôle rassurante leur évitant d’affronter le monde extérieur, sa modernité, ces incertitudes et ces dangers – dont on se prémunit en ne bougeant pas, ou alors en revenant sur ses pas pour éternellement rêver de l’ailleurs. Une discussion politique perce à jour les penchants demeurés fascistes de certains, l’ignorance crasse d’autres quant au passé révolté de la région, traduisant un cloisonnement psychique et social plutôt que le déterminisme. Aucun jugement cependant dans le regard de Wertmüller puisque c'est précisément la corruption et les maux rencontrés hors de ce cocon qui constitueront les bases de la trilogie formée par Mimi métallo blessé dans son honneur, Film d'amour et d'anarchie et Chacun à son poste et rien ne va. Le spleen de la dernière scène et le retour de la voix-off traduit par le commentaire cette boucle de la monotonie tandis que la caméra reprend de la hauteur. Le panorama comme ceux qu’il abrite n’ont pas vocation à évoluer.Sorti en bluray français chez Carlotta