Un homme, sujet à des pulsions sadiques, séquestre et tourmente sa partenaire d'un soir, tout en se souvenant des scènes d'humiliation qui ont traversé sa vie.
Quand l'embryon part braconner est un pur diamant noir du Pinku Eiga première manière des années 60, quand ce genre érotique était synonyme d’expérimentations formelles et de questionnements sociaux. Après des débuts à la télévision, Koji Wakamatsu entre au studio Nikkatsu où après quelques années il va lancer sa carrière au cinéma en tant que réalisateur. Son registre sera justement le Pinku Eiga par lequel il se fera remarquer par la critique internationale et provoquera le scandale avec une œuvre comme Les Secrets derrière le mur (1966). Le gouvernement japonais, mécontent de voir le cinéma local s’exporter à travers un film érotique, va implicitement faire pression sur la Nikkatsu qui va limiter la sortie du film lors de son exploitation au Japon. Furieux de cette décision, Koji Wakamatsu va quitter le studio pour se lancer en indépendant en créant sa compagnie de production Wakamatsu Corporation. Cette seconde « carrière » se fera encore plus audacieuse, radicale et politique et ce dès Quand l'embryon part braconner, premier film dans cette nouvelle configuration.
Le film (scénarisé par Masao Adachi figure majeure du Pinku Eiga et du cinéma engagé japonais de la période) est d’un oppressant minimalisme dans sa narration, sa notion de temps et de lieu, éléments en partie inhérents à son tournage limité à cinq jours. Un homme (Hatsuo Yamatani) et une jeune femme (Miharu Shima), après un flirt appuyé, décident d’aller poursuivre la nuit dans l’appartement chez l’homme. Bien que la relation sexuelle soit totalement consentie par la femme, Wakamatsu déploie un dispositif inquiétant qui annonce la suite. Yuka, la jeune femme est enfermée dans un jeu de cadre dans le cadre qui dénote avec sa désinvolture, la silhouette de l’homme se fond dans la pénombre de l’appartement et son visage se fait impassible derrière les lunettes noires qui ne le quittent pas. Il perd de sa superbe en paraissant impuissant durant la coucherie avec Yuka dont l’ardeur semble le tétaniser. Sa « virilité » ne se manifeste que par le verbe en insultant sa partenaire pour sa légèreté et le plaisir manifeste qu’elle prend. Il va dès lors reprendre la main, radicalement, en la droguant, séquestrant puis faisant subir les sévices les plus avilissants. L’escalade se fait néanmoins par étapes. Après avoir châtié une Yuka embrumée par les drogues par des coups de fouets, on devine que l’homme a sans doute l’habitude de ce type d’agression qu’il résout par une forte somme d’argent au petit matin. Yuka n’est pas de ce bois là et, constatant le traitement infligé dans son sommeil refuse en bloc la compensation tout en insultant copieusement l’agresseur. Cela suffit à raviver les démons de ce dernier et à transformer le récit en un huis-clos bien plus provocant. Il y a trois régimes d’images et de récit qui serviront peu à peu de révélateurs pour les personnages, et plus particulièrement l’homme. On trouve tout d’abord le présent du récit, porté par le noir et blanc stylisé de la photo de Hideo Itoh, alternant entre composition de plan soulignant la domination de l’homme, les gros plans des chairs meurtries sous les coups de Yuka, son visage stupéfait et terrifié. Le second niveau est un flashback à la texture blanche désaturée, montrant l’homme aux prises avec sa femme défunte (dont Yuka lui rappelle les traits) qui lui réclamait un enfant avec véhémence, ce qu’il lui refuse. Cela introduit la troisième strates, totalement psychanalytique et onirique se fondant avec les autres par un jeu de transparences, de fondus enchaînés, d’images abstraites. Cela associé à la parole brutale et erratique de l’homme nous le dépeint comme un homme meurtri par la vie, dont la haine des femmes remontent à sa mère adultère ayant provoqué la mort de son père. N’ayant pu supporter l’humiliation de son enfance, ses sentiments filiaux confus se confondent à ceux qu’il entretient avec les femmes. L’espérance et le rejet du sentiment amoureux, le désir et le dégoût du corps féminin, la tendresse espérée et la brutalité infligée, tout cela s’entremêle dans un esprit malade et se traduit par la mise en scène de Wakamatsu. L’homme ne cesse d’appeler Yuka sa chienne et de la traiter comme telle, tout en attendant d’elle une douceur et un amour aux contours incertains, ceux d’une femme ou d’une mère. Les dialogues brillants forment un miroir parfait aux expérimentations de Wakamatsu. L’homme rejette ainsi parfois jusqu’à son existence et le fait d’être né, et regrette de ne pas être demeuré dans les entrailles du ventre maternel qu’il appelle caverne de stalactites. L’image prend donc à certains moments cette texture comme grattée, caverneuse, ramenant par l’esprit l’homme à cet état d’embryon, annoncé par les premières images du film. On y voit des fœtus dont on ne saurait dire s’ils sont protégés ou prisonniers dans leur cocon, illustrant l’ambivalence des sentiments de l’homme vis-à-vis de sa mère et par extension les femmes. Tour à tour monstrueux et pathétique Hatsuo Yamatani livre une prestation fascinante, entre monolithisme et fébrilité. Miharu Shima compose au contraire une figure féminine farouche dont la hargne ne s’estompe pas, même lorsqu’elle subit les dernier outrage. Elle dégage une tension qui désarçonne son géôlier incapable de la soumettre, saisissant toutes les opportunités d’échapper à son emprise. Le film entretient le même paradoxe que Le Pornographe de Shohei Imamura (1966), celui d’entretenir voire de créer certains motifs récurrents à venir du cinéma érotique/pornographique japonais en observant et dénonçant des comportements pathologiques. Ce motif de la séquestration et de la soumission féminine aux relents machistes et/ou SM se retrouvera par la suite autant dans des productions putassières que dans des chefs d’œuvres comme La Bête aveugle de Yasuzo Masumura (1969). Pas d’ambiguïté cependant chez Wakamatsu qui ramène les écarts de son personnage masculin à des troubles psychiques, mais aussi quelque chose d’inhérent aux rapports de domination sociale et de genre au sein de la société japonaise – le spectre du passif belliqueux et militarisé encore pas si éloigné du pays planant en filigrane. On apprendra ainsi que l’homme est le supérieur de Yuka, chef du rayon où elle est vendeuse. Ce statut permettra d’explorer en définitive par ce même écart onirique et psychanalytique l’esprit de Yuka, comprenant que sa terrible captivité n’est qu’un prolongement extrême de son statut en tant que femme dans ce Japon patriarcal. La vindicte finale n’en sera que plus cathartique et sanglante. Koji Wakamatsu signe un grand film dont la radicalité est toujours aussi dérangeante, puisque lors de sa sortie française tardive en 2007, le film provoqua la controverse et fut interdit en salle au moins de 18 ans.Sorti en dvd zone 2 français chez Blaqout