Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram
Corrado, seize ans,
vit avec sa mère, Teresa, une femme veuve depuis l'âge de vingt ans, qui le
couve encore comme un enfant. Le jeune homme en vacances s'ennuie et fait la
rencontre de Manfredi, un ingénieur qui s'occupe d'un chantier de fouilles
archéologiques. Peu après, Corrado lui fait rencontrer sa mère.
On situe la période la plus intéressante et personnelle de
Mauro Bolognini comme débutant avec sa collaboration avec un Pier Paolo
Pasolini encore scénariste dans notamment Les Garçons (1959), Le Bel Antonio
(1960) et Ça s'est passé à Rome (1960).
Par la suite et sorti de l’ombre de ce prestigieux collaborateur, Bolognini
déploiera une filmographie flamboyante et mélodramatique souvent inscrite dans
le drame en costume et l’adaptation littéraire prestigieuse. La Viaccia (1961) constituera la
première tentative et réussite majeure dans cette optique et sera suivit de
nombreuses œuvres majeures tel que Metello
(1970), Bubu de Montparnasse ou
encore L’Héritage (1976). Bolognini
s’était néanmoins déjà frotté au genre durant la première partie de sa carrière
où il n’était encore qu’un exécutant au service de ses producteurs. Une fille formidable (1953), plaisante
comédie sur le monde du spectacle où il révèle Sophia Loren aura constitué un
galop d’essai rassurant pour la Athena Cinematografica et Mauro Bolognini se
voit donc confier ce projet plus ambitieux, La
Veine d’or.
Le réalisateur adapte ici une pièce de Guglielmo Zorzi
écrite en 1919 et ayant connu une première transposition muette en 1928. Ce
drame intimiste est cependant dénué de la veine sociale dans laquelle
s’inscriront les films d’époque suivant et c’est surtout dans le ton et le brio
formel que s’annoncent les réussites futures de Bolognini. La trame y dessine
le triangle « amoureux » se nouant entre la jeune veuve Maria (Märta
Torén) son fils Corrado (Mario Girotti pas encore devenu Terence Hill) auquel
elle a tout sacrifié et Manfredi (Richard Baseheart), l’homme avec lequel elle
pourrait refaire sa vie. Les traits juvéniles de Märta Torén jurent avec son
port strict de veuve, accentuant le trouble ressenti dans cette fusionnelle relation
mère/fils avec Mario Girotti (les deux acteurs n’ayant que quatorze ans
d’écart) aux relents incestueux.
Le malaise se distille dans le non-dit et par
la gestuelle, les attentions et la tendresse trop appuyée pour un adolescent de
seize ans signifiant l’anormalité de la situation. On devine ainsi autant le
sacrifice de cette mère que l’exclusivité exigée par ce fils guère émancipé, un
état qui va être perturbé par l’arrivée Manfredi. Bolognini tisse avec une
vraie délicatesse la romance naissante entre Manfredi et Maria, là aussi par le
non-dit en s’appuyant sur la photogénie et l’alchimie de ses acteurs. La gêne
candide du coup de foudre donne un charme accru à leur première rencontre,
Maria ne sachant contenir un émoi qu’elle pensait éteint et Manfredi étant
dépassé par une émotion subite.
Le seul gros problème est le jeu catastrophique de Mario
Girotti, rapidement agaçant en adolescent capricieux et caractériel. Il n’amène
aucune finesse à l’expression de la douleur de son personnage, raide et sans
émotion authentique si ce n’est une mine butée sans la moindre variante. Bolognini
rattrape cet écueil par une esthétique léchée, le film étant la première
occasion pour lui de mettre en valeur son parcours (il eut une formation
d’architecte), ses connaissances historiques et l’usage de la forme comme vrai
moteur dramatique. L’éveil à l’amour de Maria se ressent ainsi par le passage
de la tenue stricte et la couleur noire de sa robe de veuve à celle tout en
volant et de couleur blanche arborée lors de la scène de bal. L’étiquette et
les mœurs codées de ce début de XXe siècle inscrivent ainsi la reconstitution
dans le cheminement émotionnel des personnages.
Orietta Nasalli-Rocca, ancienne
assistante de Piero Gherardi (fameux costumier du cinéma italien pour Fellini
entre autre) effectue un remarquable travail qui culmine lors de la superbe
séquence de bal. Le cadre de cette villa campagnarde, sans avoir les moyens ni
la flamboyance des reconstitutions à venir de Bolognini sert pourtant
l’intrigue par les sa mise en place, la manière de le faire arpenter par les
protagonistes oppressés ou épanoui et la photo de Carlo Carlini. C’est
réellement ce visuel qui transcende le classicisme attendu du drame et la
faiblesse relative de l’interprétation. Perfectible mais prometteur donc pour
un Mauro Bolognini qui exploitera par la suite bien mieux ces thèmes (la
relation mère/fils trouble que l’on retrouvera dans Agostino (1962)) et atmosphères.
Depuis sa victoire sur
Deacon Frost, Blade continue sa chasse aux suceurs tout en cherchant Abraham
Whistler, son père adoptif et mentor, laissé pour mort dans le premier film. Celui-ci
a survécu et succombé au virus du vampirisme. Blade l’a cherché à travers la
Russie, et en Europe de l’Est, enrôlant au passage un jeune homme surnommé Scud
afin de lui concevoir une nouvelle ligne d’équipements et d’armes. Pendant ce
temps, une crise est en cours dans la communauté vampire. Le virus du
vampirisme semble avoir muté en une nouvelle souche (le virus reaper) qui
balaie leurs rangs, donnant de nouvelles caractéristiques redoutables à ses
transporteurs. Le transporteur original du virus semble être Jared Nomak, un
mystérieux vampire aux intentions étranges.
Le succès de Blade
ainsi que ses choix artistiques forts ayant fait école contribuèrent à lancer
une première vague de film de super-héros Marvel, notamment un X-men (2000) lui étant fort redevable. C’est
tout naturellement qu’une suite fut envisagée et après des relations orageuses
avec Stephen Norrington, le choix de la production se porta sur Guillermo Del
Toro à la réalisation. Celui-ci avait connu une première expérience hollywoodienne
cauchemardesque avec le film d’horreur Mimic
(1997) où il fut malmené par les frères Weinstein. La société de Peter
Frankfurt, l’un des producteurs de Blade
2 avait signé le générique de Mimic
et ce dernier avait ainsi décelé dans le visuel de Del Toro sa capacité à
apporter une plus-value à cette suite. Del Toro posera donc ses conditions en
obligeant le studio à attendre qu’il réalise le plus personnel L’échine du
diable (2001) avant Blade 2.
Blade 2 diffère de
son prédécesseur en bien des points. La dichotomie ente le monde réel et celui sous-terrain
et parallèle des vampires au centre du premier film disparait. L’atmosphère
urbaine réaliste et paranoïaque s’estompe
donc pour celle gothico-industrielle des pays de l’est où nous ne quitterons
pas les ténèbres de l’univers des vampires. Blade doit en effet faire équipe
avec ses pires ennemis pour répondre à une nouvelle menace : une mutation
du virus vampirique a créé les reapers, nouvelle race de prédateurs se nourrissant
de vampire avant de passer aux humains. Le film est typique des qualités et des
défauts de Del Toro avec un visuel flamboyant mais un récit un peu basique et
trop référencé.
L’intéressante exploration des fêlures de Blade du premier opus
disparaît donc complètement au profit d’un pur ride d’action survitaminé. Blade
même si sous influence avait su inventer un ton et une forme largement reprise
par la suite (ambiance urbaine gothique, incursion des arts martiaux, look SM
cuir) par Matrix (1999) entre autre
mais sans emprunt explicite. Avec Del Toro c’est nettement plus explicite avec
le commando de vampires accompagnant Blade lorgnant à la sauce gothique sur les
marines d’Aliens (James Cameron, 1986), la démesure des combats s’inspirant
de la japanimation et plus particulièrement Yoshiaki Kawajiri et son furieux Ninja Scroll (1994). Des séquences
entières nous rappellent ces glorieux prédécesseurs comme l’exploration d’égouts
sous haute tension (l’arrivée des marines sur la planète décimée d’Aliens encore) mais une chose que l’on
ne peut retirer à Del Toro, c’est son style plein de panache.
Blade 2 offre donc
un faramineux crescendo d’action alors que le premier film ne parvenait pas à égaler
une entrée en matière mémorable. Del Toro y poursuit les tentatives de Matrix de marier la nervosité du cinéma
d’action de Hong Kong (Donnie Yen est chorégraphe des combats et tient un petit
rôle), jeux vidéo et animation japonaise. Il créera ainsi pour les besoin du
film la « L-cam », caméra pouvant effectuer des mouvements impossible
et accompagner ainsi Blade dans les chorégraphies aérienne les plus surhumaine
(l’ouverture où elle tournoie autour de lui et le suit de son saut d’un
immeuble de quatre étage à son atterrissage au sol). Les acteurs sont également
secondés par des doublures numériques durant les combats, leur permettant d’adopter
les postures les plus improbables et iconiques. Du jamais vu à l’époque même si
le rendu fait désormais très jeu vidéo mais en tout cas l’usage est d’une
efficacité maximale dans l’action.
La dimension gothique est également très
soignée, notamment tout ce qui tourne autour de la caractérisation de
Damaskinos (Thomas Kretschmann), chef des vampires dont le riche passé
transparaît dans la majesté et la vétusté très étudiée des décors qui l’entoure.
Del Toro vise donc à l’adrénaline alignant les répliques viriles (les échanges
fleuris entre Blade et le méchant aux penchants nazis qu’incarne génialement
Ron Perlman), ce côté flambeur s’expliquant par la volonté du réalisateur de
démontrer son savoir-faire en vue de convaincre les studios de financer son
adaptation du comics Hellboy de Mike
Mignola. Cela déteint sur l’interprétation de Wesley Snipes toujours aussi
charismatique et poseur en Blade (superbe composition de plan à la Frazetta
lorsqu’il est assaillit par les reapers dans les égouts) mais qui perd un peu
de la vulnérabilité et de la crise identitaire qui faisait l’intérêt du
personnage dans le premier film. Ici c’est la course en avant qui importe
(parfois au détriment du scénario voir le retour tiré par les cheveux du mentor
Whistler) malgré les esquisses de moments intimistes entre Blade et Nyssa
(Leonore Varela).
Del Toro parvient à équilibrer tout cela dans la dernière
partie où se dessine un inattendu drame shakespearien quant aux liens unissant
les méchants mêlé à des morceaux de bravoures toujours plus outrancier. Nomak
incarne un splendide méchant tragique et s’offre nombre de séquences furieuses
(la scène d’introduction qui détourne celle du piège vampire du premier volet),
les reapers et leurs vélocités bestiales faisant basculer ce Blade 2 dans le pur film d’horreur (le reapers
transpercer préférant s’éventrer pour s’enfuir). Le duel final entre Blade et
Nomak est sans doute une des séquences les plus brillantes vue dans un film de
super-héros, la virtuosité de Del Toro se mettant au service d’une empoignade
tout en démesure comics.
Tous les outils précédemment évoqués forment un tout
virevoltant (arts martiaux, doublure numérique, caméra voltigeuse) pour un pur
moment de jubilation bourrine. La dernière scène fait même preuve d’un romantisme
et d’une poésie inattendue avec ce poignant coucher de soleil. Guillermo Del
Toro parfois si ennuyeux dans son fantastique « d’auteur » le plus
chichiteux (Le labyrinthe de Pan (2006)
son défilé de créatures et son propos creux faussement poétique, L’échine du diable resucée mal digérée de
la bd Paracuellos, Crimson Peak (2015) et son gothique
victorien pour les nuls) signe son meilleur film en visant à la seule
efficacité, ce qu’il réussira dans une moindre mesure avec Hellboy (2004).
Sorti en dvd zone 2 français et bluray chez Metropolitan
Mi-homme mi- vampire,
possédant toutes les qualités des goules et aucune de leur faiblesse, capable
de vivre en plein jour, Blade traque sans pitié les suceurs de sang. Aidé de
Whistler, son mentor et armurier, il est le cauchemar de la Nation Secrète des
Vampires, dont les membres infiltrent toutes les couches de la société. L'un
d'eux, Deacon Frost, avide de pouvoir, souhaite asservir le monde et la race
humaine en invoquant le Dieu du sang. Un seul homme peut se mettre en travers
de son chemin : Blade...
Aujourd’hui un peu oublié, Blade représente pourtant une date fondamentale dans l’adaptation
de comics. Jusque-là les rares transpositions réussies étaient à aller chercher
du côté de DC Comics avec le classique Superman (1978) de Richard Donner et la
doublette ténébreuse de Tim Burton Batman
(1989) et Batman, le défi (1992). Marvel
était loin d’avoir été aussi bien loti, entre série tv kitsch (L’Incroyable Hulk, un piteux Spider-Man dans les 70’s), vrai bon
nanar (deux versions de sinistres mémoires de Captain America dans les 70’s et à la fin des 80’s, Punisher) et productions invisibles (la
première version des Quatre Fantastiques
produite par Roger Corman). Pourtant avec leur mélange de soap, d’aventures
spectaculaires et héros torturés, les comics Marvel avaient tout pour séduire
le grand public mais chaque tentative donnait un résultat fauché et embarrassant.
Blade vient donc changer la donne à
tout point de vue. Star montante du cinéma d’action depuis sa confrontation
avec Stallone dans Demolition Man
(1993), Wesley Snipes rêve d’incarner un personnage à sa démesure, et quoi de
mieux qu’un super-héros ? Il se penchera donc sur Blade, un des rares
super-héros noir de l’univers Marvel. Blade est un personnage secondaire de
Marvel créé par Marv Wolfman et Gene
Colan et apparu pour la première fois dans le comics Tomb of Dracula en 1970.
Cette faible notoriété autorise ainsi des refontes en
profondeur pour le passage au cinéma qui n’offusqueront pas les fans et surtout
feront école pour les adaptations Marvel à venir. Le look flashy et disco de la
BD laisse ainsi place à une panoplie sombre et ténébreuse dont Bryan Singer
saura se souvenir avec son X-Men
(2000). L’environnement urbain nocturne et techno SM préfigure Matrix (1999), tout comme le mélange d’arts
martiaux et d’armes à feu constituant l’arsenal de Blade et aussi ce fameux
look long imper et lunettes noires. Le grand changement interviendra aussi
quant aux origines et pouvoirs de Blade. Sa mère ayant été mordue par un
vampire avant de le mettre au monde, le métabolisme de Blade s’en trouve
affecté. Dans le comics, c’est un être humain normal si ce n’est qu’il est
insensible aux morsures de vampires et qu’il a hérité de leur vieillissement
ralenti. Le scénario de David S. Goyer (qui venait d’écrire Dark City (1998) et s’occuperait de la
reprise de Batman par Christopher
Nolan) lui fait au contraire endosser tous les pouvoirs des vampires mais sans
les désavantages (il ne souffre pas de la lumière du soleil) si ce n’est la
soif de sang qu’il calme à l’aide d’un sérum.
Une formidable idée qui fait de
Blade un héros déchiré entre sa soif de justice et sa vraie nature. Monstrueux
aux yeux des humains par ses facultés, il l’est tout autant pour les vampires
qu’il déteste mais dont il partage des bas-instincts réprimés. C’est une
manière d’introduire une problématique raciale dans la crise d’identité de
Blade. On peut tout autant l’associer à un métis dans un monde ségrégationniste
qu’à un noir/vampire ayant prêté allégeance à l’homme blanc/humain et ayant
ainsi renié ses origines. Le méchant Deacon Frost (Stephen Dorff) lui lancera d’ailleurs
l’insulte particulièrement connotée « d’Oncle Tom » pour bien
signifier l’analogie.
Cette notion d’échelle entre les races se joue d’ailleurs
aussi chez les vampires où Deacon Frost est méprisé car devenu vampire par
morsure et pas né ainsi comme l’élite. Dominer les humains est ainsi une manière
de dépasser ses origines souillées, tout comme Blade affronte les vampires pour
oublier la part honteuse de sa nature. L’interprétation à la fois hargneuse et
vulnérable de Wesley Snipes (honteux et replié sur lui-même chaque fois qu’il
doit prendre le sérum) s’oppose ainsi à la décontraction rock’n’roll de Stephen
Dorff mais dissimulant une même fêlure pour ses personnages jumeaux.
Stephen Norrington enrobe toutes ces thématiques dans un
spectacle nerveux et brutal. Il est dommage qu’un caractère orageux et
perfectionniste (il se brouillera avec Wesley Snipes ce qui l’écartera de
la suite, puis en viendra aux mains avec Sean Connery sur La Ligue des
gentlemen extraordinaires (2003)) lui ait coûté sa carrière tant il fait montre
d’un vrai brio visuel. L’ouverture offre une séquence d’anthologie où un
malheureux quidam est embarqué dans une rave clandestine dans des abattoirs
peuplés de vampires. Soudain s’enclenchent des douches de sang dont le flots s’anime
au rythme des pulsations des beats techno, des danseurs euphoriques et
ensanglantés et de la terreur du seul humain dans la pièce. Stoïque, taciturne
et véloce, Blade surgit dans ce chaos pour décimer du vampire à tour de bras.
Le reste du film n’égale pas cette mémorable entrée en matière mais offre son
lot d’action survitaminée. Wesley Snipes s’en donne à cœur joie dans les poses
frimeuses, lâche un sourire goguenard et satisfait au moment de donner le coup
de grâce et surtout déploie ses impressionnantes aptitudes en art martiaux. On
regrettera cependant des effets numériques assez indigents (ils l’étaient déjà
à l’époque de la sortie) qui gâchent parfois la bonne impression, notamment le
face à face final qui fut retourné après projection-test car le public
regrettait l’absence de Stephen Dorff, Blade affrontant la divinité de la
Magra. Le film remportera un grand succès, voyant ses choix artistiques, son
esthétique et certaines péripéties largement reprise par la concurrence (toute
la séquence du métro en partie copiée dans Matrix)
sans pour autant en recueillir la légitime reconnaissance après la
démocratisation du film de super-héros au cinéma. Guillermo Del Toro en signera
une suite virtuose en 2002 avec Blade 2
(2002) avant que David S. Goyer passe à la réalisation et enterre la saga avec le raté
Blade : Trinity (2004).
Un homme marié tombe amoureux d'une
étudiante, qui se révèle être la fille de l'une de ses anciennes
compagnes. Il pense être le père...
Alberto Lattuada avait déjà observé l'éveil à la sexualité des jeunes filles dans Les Adolescentes
(1960) où il révélait Catherine Spaak. Il allait renouer avec cette
thématique en fin de carrière mais sous l'angle plus trouble et
provocateur de l'érotisme 70's dans des œuvres comme Le faro da padre (1974) ou La Fille.
Cette exploration servira des titres assez douteuses et frisant la
pédophilie dans le sous-genre dit de "teensploitation" mais Lattuada a
d'autres ambition même lorsqu'il s'attaque à ce type de sujet sulfureux,
Le faro da padre usant de son
angle sordide (le désir sexuel d'une jeune handicapée mentale exploité
par le désir masculin) pour dénoncer l'hypocrisie d'un microcosme (qu'on
retrouve entre autres avec la Sicile de son Mafioso (1960) et là une société bourgeoise opaque et concupiscente. La Fille
tout en gardant cette aura de scandale (par son sujet mais aussi ses
conditions de tournage où une Nastassja Kinski âgée de 17 ans dû tourner
de nombreuses scènes de nus qu'elle regrettera amèrement par la suite)
aborde la question dans une veine bien plus mélancolique.
Giulio
(Marcello Mastroianni), architecte quarantenaire marié et père de
famille croise la route de la jeune et belle Francesca avec laquelle il a
une brève aventure d'une nuit. Tombé réellement amoureux il apprend
qu'elle est la fille d'un ancien grand amour et son âge correspond à
l'époque de leur histoire vingt ans plus tôt. L'ensemble du film
naviguera ainsi entre sincérité et provocation pour saisir les
sentiments profonds des personnages. Giulio ne s'est jamais vraiment
remis de cette romance avortée, Lattuada dessinant le souvenir du passé
dans de délicats flashbacks s'opposant à la médiocrité de son ménage
présent. Les sentiments envers Francesca se disputent ainsi entre
nostalgie, regrets, amour et culpabilité pour ce désir coupable autant
par leur différence d'âge que leurs possibles liens filiaux.
Nastassja
Kinski crève l'écran pour son premier rôle au cinéma avec cette femme
enfant à l'amour tout aussi ambigu, recherchant la figure du père
qu'elle n'a pas connu à travers ses amants et finissant par la trouver
(peut être littéralement) à travers Giulio. Toutes leurs scènes commune
sont ainsi hésitante quant à leur portée, Francesca ayant autant
l'empressement de l'amante que le besoin de protection de la fillette.
Tout le récit sera nourrit de la tension de ce possible lien et Lattuada
reste d'une remarquable sobriété pour l'aborder, Giulio n'osant
"consommer" à nouveau au grand désarroi de Francesca.
A
l'inverse de la retenue de cette romance, le climat de libération
sexuelle de l'époque éclate à travers les autres protagonistes (la
meilleure amie jouée par la belle Ania Pieroni que l'on recroisera chez
Argento dans Inferno (1980) et Ténèbres
(1982)) mais ajoute à la nature oppressante des sentiments de nos
héros. L'ensemble baigne dans une atmosphère automnale et dépressive
prolongeant la profonde mélancolie du récit, accentuée par le thème
somptueux composé par Ennio Morricone. Les scènes où ils cèdent à leur
passion par leur esthétisme un peu trop publicitaire sont la seule faute
de goût du film, même si c'est justement cet excès qui réveillera sans
doute le retour à la moral final.
Lattuada démontre un bouleversant sens
du drame lors de la conclusion où un simple regard suffit à faire
comprendre aux amants que tout est fini, tout comme la séparation finale
où se rejouent passé et présent. Un vrai grand mélodrame sous son
argument sulfureux et la naissance d'une star avec une Nastassja Kinski
qui subjuguera bientôt le monde dansTess (1979).
Sorti en bluray chez Cult Epics en version italienne sous-titrée anglais
Amant de Madeleine de
Seaulieu, patronne d’une maison de haute couture, Antoine rencontre Claire, la
meilleure amie de celle-ci. Antoine, entretenu par Madeleine, se fait passer
pour riche, alors que Claire, mariée à un archiviste, fait croire qu'elle est
la femme d'un diplomate que ses occupations absorbent à longueur de journée,
mais à qui elle doit son samedi et son dimanche. Les jours passent dans la
facilité, elle vivant dans son rêve, et lui, échappant à l'accaparement
tyrannique de Madeleine.
Philippe de Broca avait développé un univers personnel et
ludique à travers ses deux premiers films Les Jeux de l’amour (1960) et Le Farceur
(1960), porté par son double cinématographique d’alors Jean-Pierre Cassel. L’acteur
par son personnage séducteur, sautillant et immature y incarnait
merveilleusement les thématiques chères à de Broca sur la fuite du réel vers un
monde de rêve. L’Amant de cinq jours
est sans doute la plus belle réussite de la collaboration entre Jean-Pierre
Cassel et de Broca mais c’est pourtant un film que le réalisateur n’aimait pas.
Ce refuge dans le rêve constituera toujours une issue positive dans toute la
filmographie de de Broca, quitte à saborder son intrigue par une pirouette
narrative comme dans Un Monsieur de compagnie (1964) ou de transformer un dénouement supposé tragique en
triomphe avec le chef d’œuvre Le Roi de cœur
(1966). L’Amant de cinq jours semble
être une des rares fois où de Broca confronte ce tempérament rêveur à une vraie
noirceur, ce qui peut expliquer son désamour pour le film.
Quand souventla
légèreté et l’insouciance du fantasme est synonyme de refuge pour de Broca, c’est
ici la résultante d’une peur profonde pour chacun des personnages. Madeleine
(Micheline Presle), directrice d'une maison de haute couture voit dans son amant
juvénile et entretenu Antoine (Jean-Pierre Cassel) l’illusion de sa beauté et
jeunesse pourtant déclinante. Claire (Jean Seberg) jeune mariée mère de deux
enfants projette également sur Antoine qu’elle croit riche la flamboyance
absente de son quotidien ordinaire. On pourrait même y ajouter son époux
Georges (François Périer), si perdu dans ses ouvrages et son gout pour l’Histoire
qu’il n’en remarque pas l’infidélité d’une épouse trop souvent absente du
foyer.
Paradoxalement, Jean-Pierre Cassel, tout en réitérant une performance
bondissante et enjouée incarne finalement le personnage le plus lucide et en
quête de réel. Les après-midi avec Claire sont des esquisses de passion trop
brèves qui s’arrêtent quand il est l’heure de rejoindre mari et enfant ou
lorsqu’arrive la fin de semaine. Les weekends avec Madeleine offre un vague
semblant de vie de couple alors qu’en semaine elle est bien trop occupée pour
être en sa compagnie. Antoine comble les vides affectifs de ses deux amantes
tout en étant lui-même dans une frustration affective perpétuelle. Et c’est
précisément en essayant d’y remédier qu’il risquera de tout perdre.
Avant d’en montrer les limites, de Broca amène ainsi toute
la flamboyance romantique dont il est capable lors des scènes de couple. Dans l’alcôve
de l’appartement, la fantaisie côtoie le rapprochement charnel le plus tendre
lorsqu’après avoir improvisés une danse écossaise, Antoine effeuille avec une
infinie délicatesse une Claire conquise et le dévorant des yeux. On touche le
sublime lors de leurs première nuit ensemble, là encore amusement et passion
amoureuse s’entremêlant. Un passage tumultueux sur les champs de cours précède
ainsi une sublime traversée nocturne de Paris en péniche, la danse du couple
alternant avec des vues les immeubles endormis brièvement éclairés.
La
magnifique musique de George Delerue parvient à traduire la candeur de ces
instants tout en exprimant une profonde mélancolie traduisant leur nature
éphémère. Cela annonce les lendemains qui déchantent où chaque personnage verra
son fantasme cruellement se retourner contre lui. Madeleine voit ainsi Antoine
l’abandonner pour une Claire plus jeune. Celle-ci voit la réalité la rattraper
avec un amant lui promettant une redite de sa vie terne en souhaitant vivre
réellement avec elle et par ses propres moyens.
Jean Seberg compose un personnage indigne sur le papier mais
touchant dans sa quête d’absolu, fut-il factice. Claire délaisse mari et enfant
sans remord tant qu’est maintenue l’illusion, poursuivant sa liaison avec
Antoine même quand elle connaîtra la vérité sur la source de ses revenus. Les
sentiments de la jeune femme sont indéfectibles tant que subsiste le contour du
rêve quant à l’inverse ceux d’Antoine seront tout aussi solides face au mensonge
(Claire se vantant d’une pseudo-vie de grande bourgeoise) mais pour emmener
leur romance vers le réel. En restant fidèle à ses préceptes, de Broca dessine
donc un drame cruel ou cette fuite dans le rêve perd tous ses atours facétieux
pour constituer une prison qui s’ignore.
François Périer (touchant de tendresse
aveugle et/ou résignée) en époux aimant et capable de pardonner maintient l’illusion
d’un foyer uni et Madeleine (magnifique Micheline Presle qui campera une beauté
fanée avec plus de grâce encore dans Le
Roi de cœur) se trouvera sans doute un autre amant juvénile pour se
rassurer. C’est pourtant bien le sort du couple phare qui bouleverse. Antoine
dans la solitude de sa garçonnière et surtout Claire qu’on devine prête à céder
à une autre promesse d’ailleurs clinquant et l’éloignant de tout choix
douloureux. Plutôt que de nous faire échapper à une réalité douloureuse, les
rêves laissent échapper un bonheur à portée de main. Un paradoxe qui explique le
reniement de de Broca mais qui constitue toute la beauté du film.
Lorsque l'avocat Anton Adam est victime
d'un terrible chantage suite à une série de fautes professionnelles, il
sait qu'il peut compter sur l'aide d'Olga, sa fidèle secrétaire. Mais
quand on est davantage préoccupé par sa carrière que par la justice, le
prix à payer est redoutable...
William Dieterle signe une
fable morale typique de cette ère de la Grande Dépression. William
Powell y incarne Anton Adam, un avocat basé dans le quartier populaire
et cosmopolite du Lower East Side à New York. A l'image de la scène
d'ouverture le voyant évoluer dans son élément au sein des ruelles
grouillante du quartier, Adam exerce son talent d'avocat à l'échelle de
ses lieux en sortant de mauvais pas les petites frappes et en rassurant
leur mère inquiète.
Son attrait pour l'ailleurs se devinera par un
penchant certain pour les jolies femmes, au grand désespoir de sa
dévouée secrétaire Olga (Joan Blondell à croquer comme d'habitude).
L'occasion se présente après une victoire sur un avocat de la haute
société qui lui propose d'être son associé. Dès lors les tentations,
l'appât du gain et l'ambition vont lui susciter de nombreux ennemis et
causer sa perte. Mais il n'a pas dit son dernier mot.
William
Powell excelle en naïf ambitieux qui va apprendre la loi de la jungle,
les tours où siègent ses nouveaux bureaux s'avérant bien plus dangereux que les
bas-fonds qu'il a l'habitude de fréquenter. La rédemption d’Adam est
assez remarquable, les moments où après avoir été piégé il devient à son
tour impitoyable ayant leurs lots de dialogues mordant et d'attitude
cynique. Sans montrer le déroulement d'aucune scène de procès (dont nous
ne verrons que les verdicts), le scénario démontre l'éloquence de notre
héros par son bagout dans les situations qu'il rencontre comme quand il
découragera deux hommes de mains venus le tuer.
En n'ayant plus rien à
perdre et en renonçant à ses rêves de grandeurs, Adam en devient
insaisissable et imprévisible pour finalement atteindre les hautes
sphères et se venger. Les milieux politiques et de la justice son
fustigés de manière cinglante, la seule revanche guidant désormais un Adam
privilégiant ses racines modestes. Un récit humaniste mordant narré avec
une efficacité remarquable.
Fantasia est une
anthologie composée de sept séquences animée reprenant huit morceaux de musique
classique.
Walt Disney eut toujours dans ses productions la grande
ambition de marier culture classique et art populaire. Ce fut même le moteur de
nombre des films de l’âge d’or du studio adaptés de contes occidentaux puisque
découlant du voyage en Europe de Disney au début des années 30 et où il acquit
les droits de Bambi, La Belle au bois dormant, Peter Pan ou encore Alice au pays des merveilles. Le film illustrant pourtant le mieux
cette volonté est Fantasia,
troisième long-métrage produit par le studio. Walt Disney envisage de
réconcilier la jeune génération avec la musique classique et pense à produire
un court-métrage adaptant le poème Der
Zauberlehrling écrit en 1797 par Goethe et la musique de L'Apprenti sorcier (1897) de Paul Dukas
dans ce qui doit être une nouvelle aventure de Mickey afin de relancer le
personnage alors en perte de vitesse. Les droits acquis la production démarre
dès 1937 (et dans un premier temps sur une partition d’Arturo Toscanini) et
dépasse rapidement les budgets.
Walt Disney fera une rencontre cruciale durant
cette période avec le célèbre chef d’orchestre Leopold Stokowski. Engagé pour
réorchestrer la pièce de Paul Dukas, il dirige donc l’enregistrement utilisé
sur une première mouture de L’Apprenti
sorcier qui sera projetée au sein du studio en juin 1938. Parmi les
artistes les plus curieux et ouvert de sa sphère - il sera un des premiers à
expérimenter les embryons de ce qui deviendra la musique électronique notamment
- Stokowski voit immédiatement les immenses possibilités d’un mariage entre
animation et musique classique (n’y voyant pas le côté dégradant de certains
puristes pour cet art majeur) et propose d’étendre l’expérience en un vrai programme
musical filmé. Disney emporté par cet enthousiasme adhère à l’idée et tout en
poursuivant la conception de L’Apprenti
Sorcier lance la pré-production de ce qui deviendra Fantasia à partir de septembre 1938.
La liste définitive des pièces musicales est rapidement
arrêtée après avoir envisagé puis écarté entre autres des monuments comme L'Oiseau
de feu (1909) et Petrouchka
(1911) de Stravinski, le Prélude op. 3 no
2 de Sergueï Rachmaninov, Clair de
lune de Claude Debussy… Ce dernier constituera longtemps la huitième
séquence, tourné mais finalement écarté au vu de la longueur du film
et recyclé pour devenir la séquence Blue
Bayou de La Boîte à musique
(1946). L’échec commercial de Fantasia
fera d’ailleurs tourner court l’idée d’un œuvre évolutive à laquelle pourrait
être ajouté ou soustrait d’autres segments au fil des exploitations. Au départ l’engouement de Stokowski et Walt
Disney est tel qu’il leur fera envisager quelques idées folles heureusement
vite abandonnées comme la diffusion en salle d’odeurs en rapport avec les
séquences.
Le musicologue Deems Taylor contribue également à la
conception, aidant à ordonner cette frénésie créative et héritera du rôle de
maître de cérémonie introduisant chaque séquence. La production des sept séquences
oscillera donc entre la vision et l’exigence de Walt Disney/Stokowski et les
nombreuses expérimentations de collaborateurs ayant plus de latitude sur ce pur
projet « artistique » leur permettant de repousser les limites de
l’animation d’alors. L’image et la musique doivent en effet se marier tour à
tour dans une volonté sensorielle, illustrative et/ou narrative tout au long du
film.
Toccata et fugue en
Ré Mineur de Jean-Sébastien Bach
Cette première séquence annonce l’exigence qu’imposera Fantasia, puisqu’elle ose la pure
abstraction visuelle. L’idée est de se plonger dans la psyché d’un spectateur
de concert et d’illustrer dans une gamme abstraite les émotions que lui évoque
la musique. Walt Disney dans une volonté didactique de rendre accessibles ces
notions complexes aux spectateurs fera ainsi décrire l’ensemble des intentions
par le narrateur Deems Taylor. Ce sera parfois à bon escient comme sur cette
séquence d’ouverture, parfois redondant lors des segments purement narratifs et
aisément compréhensibles (L’Apprenti
Sorcier) et d’autres fois judicieux pour certains compléments culturels (Le
Mont Chauve). L’expérimentation s’amorce avec la bande-son où Stokowski
(dirigeant l’orchestre à l’image) donne un arrangement symphonique d’un morceau
à l’origine composé pour un orgue, initiative encore peu commune à l’époque.
C’est
ensuite par des vues stylisées de l’orchestre (l'orchestre philarmonique de Philadelphie enregistra la bande-son mais ce sont des musiciens du studio présent à l'image d'ailleurs source de quelques gags pour rendre l'atmosphère moins guindée) que l’on perd progressivement
pied, le technicolor saturé des éclairages en arrière-plan répond aux
silhouettes sombres des musiciens se démultipliant en surimpression. Les repères
ainsi altérés, nous passons à l’imagerie abstraite où les lumières, couleurs et
atmosphères oscillent au gré des variations sonores. L’innovation intervient justement
sur l’imagerie plutôt que le concept, l’animateur Cy Young (en charge de
certaines des transitions les plus déroutantes) ayant rôdé nombre de techniques
de cette séquence dans les Silly
Symphonies. Walt Disney fit appel à Oskar Fischinger, spécialiste de l’animation
abstraite dont il fit simplifier les idées par ses animateurs. Nous avons ainsi
quelques points de repères comme les formes de certains instruments (l’archer
des violons notamment) se laissant deviner, Disney limitant à une trouvaille
par plan un ensemble voulu bien plus expérimental par un Oskar Fischinger
frustré. Quoiqu’il en soit, cette entrée en matière nous emmène d’emblée dans
un ailleurs inconnus…
Casse-noisettes de
Tchaïkovski
Ce second segment signifie clairement la volonté de Disney
de s’approprier les compositions choisies et d’en donner « sa »
version. L’illustration ici n’aura donc aucun rapport avec le célèbre opéré de
Tchaïkovski. On trouve là une féérie célébrant la magie de la nature sur fond
de quatre saisons, la dimension musicale s’exprimant visuellement par un
melting-pot de danses traditionnelles effectuées par ces esprits de la nature :
une danse arabe par un harem de poisson (sur le modèle de Cléo le poisson de Pinocchio produit parallèlement à Fantasia), une danse chinoise par des
champignons dont l’allure évoque des ouvriers de rizières, des chardons
reprenant des danses cosaques et des orchidées au mouvement évoquant le ballet
russes.
Cet émerveillement est constamment ponctué d’une touche cartoonesque, l’animateur
Art Babitt (spécialiste du gag humoristique) diluant la possible prétention de
l’ensemble par des personnages décalés typique de Disney comme ce petit
champignon toujours en retard d’un temps sur la chorégraphie. L’esthétique
élégiaque de ce basculement de saison emprunte elle à une culture plus
typiquement européenne. L’éveil de la nature par les fées annonce l’émerveillement
futur de Bambi (1942) et s’inspire
clairement du Songe d’une nuit d’été
de Shakespeare, certaines idées rappelant d’ailleurs l’adaptation de William
Dieterle sortie en 1935.
La photo somptueuse de James Wong Howe donne une unité
visuelle remarquable à l’ensemble dont la magie doit grandement à la nature inédite
de certaines images stupéfiantes. Le final enneigé tourbillonnant entre les fées
de givre et les flocons mobilisa ainsi l’ingéniosité des animateurs avec des
flocons de neiges découpé en papier et filmé sur une plaque tournante avant de
les plaquer en surimpression sur l’image animée. Un enchantement de tous
les instants.
L’Apprenti Sorcier de
Paul Dukas
Il s’agit de la séquence la plus célèbre du film, venant d’ailleurs
après deux précédentes adaptations du poème de Goethe, The Wizard's Apprentice (1930) de
Sidney Levee et une tentative animée par Oskar Fischinger, Studie
Nr. 8 (1931) qui utilisait déjà la mise en musique de Paul Dukas. Une
première mouture avait d’abord le nain simplet pour héros mais Walt Disney y
vit l’occasion de relancer le personnage de Mickey, trop lisse et dépassé en
popularité par Donald Duck et Dingo.
Le film inaugurera d’ailleurs le look
mondialement connu aujourd’hui de Mickey conçu par Les Clark, plus arrondi et
expressif. Les Clark qui animait le personnage depuis l’inaugural Steamboat Willie (1928) cède d’ailleurs
la place à Fred Moore pour accompagner cette modernisation. Le mariage
musique/animation est un des plus impressionnants de tout le film du fait des
origines musicales de la partition. Une folie douce se dégage de la séquence de
rêve avant une frénésie martiale, presque totalitaire dans la marche
démultipliée des balais ensorcelés dont chaque mouvement un appuyé par les notes
agressives.
Une logique du chaos qui donne une tonalité sombre et oppressante à
l’ensemble (le physique longiligne et intimidant du sorcier) à travers les
éclairages expressionnistes et qui contamine même la personnalité de l’inoffensif
Mickey. Plus facétieux et imprévisible, il cède même à un élan de violence
inattendue en détruisant hors-champs un balai à la hache. La punition potache
finale ne saura atténuer la noirceur de cet opus faussement léger.
Le Sacre du Printemps
d’Igor Stravinski
L’audace de cette quatrième partie se conjugue à la
musique et aux images qui l’accompagnent. Le
Sacre du Printemps est la partition la plus récente du film, créé en 1913
et la seule dont le compositeur était encore vivant au moment de la production.
Le choix du Sacre du printemps constitue
donc une vraie modernité d’autant que Disney en donnera une interprétation très
originale. La composition de Stravinski (réticent mais convaincu par un chèque
de cinq mille dollars, d’autant que son œuvre éditée en Russie n’était pas
protégée par le droit d’auteur) accompagnait un ballet évoquant les danses
tribales, les rites païens, et le primitivisme. Disney en fait une leçon de géologie
évoquant la naissance de la vie sur Terre sur plusieurs milliards d’années. On
retrouve l’abstraction expérimentale à travers les visions du cosmos et d’une de
ses explosions voyant naître un embryon de vie sur ce qui deviendra la Terre.
De la vie la plus microscopique aux dinosaures, Walt Disney suit rigoureusement
la théorie de l’évolution mais écartera la partie sur les premiers hommes.
Souhaitant que le film soit visible par tous, il évite ainsi de s’attirer les
foudres des créationnistes et inscrit cet épisode dans une veine mythologique,
les dinosaures étant encore vues comme des créatures imaginaires car la théorie
de l’évolution était encore fraîche dans la culture du public américain.
Néanmoins les animateurs suivent scrupuleusement les connaissances scientifiques
d’alors - à quelques erreurs près comme la mort des dinosaures causées par la
chaleur ou la morphologie de certains comme le T-Rex - et en fusionnant et accélérant bien
sûr les ères géologiques. La rigueur scientifique et la volonté réaliste ne se
délestera pas d’une vraie poésie cependant. Le réalisme saisissant et le chaos
des volcans en ébullition cèdent ainsi à la mutation sous-marine de
micro-organisme conduisant aux dinosaures. Plus la vie se fait concrète, plus
cette évolution se fait différente dans la mise en scène.
Les fondus enchaînés
usant d’effets de fumées encrées font alors la transition des images étranges
conduisant les micro-organismes vers l’état de poisson et cet être plus
familier mutera alors en travelling où chaque ellipse apporte un élément nouveau
à son avancée : le mouvement confus devient nage, les nageoires évoluent
vers un semblant de pattes et l’être se rapproche de la surface jusqu’à sortir
la tête de l’eau. Nous sommes prêt à être éblouit par ce panorama déployant les
dinosaures au faîte de leur domination sur Terre. L’ensemble développe une
fascinante touche contemplative semblant vouloir reproduire le sentiment de
grand livre d’images accompagnant les tranches de vie de ces êtres.
Parallèlement Disney assume l’influence des œuvres pionnières de l’animation comme
Gertie le dinosaure (1914) de Winsor
McCay, du film d’aventures Le Monde perdu
(1925) porté par les effets spéciaux de Willis O’Brien dont le travail sur King Kong (1933) se ressent également
durant le combat entre un T-Rex et un stégosaure.
Cet instant impossible
géologiquement (les deux êtres auraient vécus à des millions d’années de différence)
offre un fabuleux moment de brutalité primitive dont on doit l’animation à Wolfgang
Reitherman qui en exprime magnifiquement la bestialité (dénué de tout
anthropomorphisme malvenu) et le gigantisme par son jeu sur les perspectives
puisqu'il dessina des gratte-ciel en arrière-plan pour s’aider et
qu’il effaça par la suite. Cette séquence fit naître nombre de vocations et
contribua à la popularité jamais démentie depuis des dinosaures au cinéma.
La Pastorale de
Beethoven
Cette séquence est une des plus controversée de Fantasia. Sa pré-production fut entamée
avec comme base musicale Cydalise et le
Chèvre-pied de Gabriel Pierné et plus précisément la partie l'Entrée des petits faunes. Une musique
parfaitement adaptée à l’illustration amusée de la mythologie grecque. Peu
satisfait du rendu, Walt Disney changera donc de morceau pour choisir La Pastorale soit la sixième symphonie
de Beethoven. Cette œuvre est une ode à la nature et à la vie rurale dont l’accompagnement
sur une vision décalée des dieux grecs fit hurler les puristes.
Sur le fond la
fusion est effectivement contre nature et on imagine les complications des
animateurs pour s’adapter à cette bande son différente mais à l’image cela
fonctionne pour cette balade au pied du Mont Olympe dont la progression suit
magistralement les cinq mouvements de la symphonie de Beethoven. La majesté de
ce décorum mythologique évoque l’Art Nouveau dans les lignes courbes des
montagnes, des nuages et des arbres.
Cette rondeur accompagne aussi le
bestiaire mythologique, les chevaux ailés, les faunes et les cupidons arborant
une allure enfantine bienveillante. On retrouve là une volonté de « disneyisation »
visant à l’accessibilité plus qu’à l’édulcoration mais néanmoins tout vise à
rendre ce monde mythologique plus cartoonesque. Les centaures perdent de leur
virilité par rapport à l’idée que l’on se fait de ces créatures (mais également
des premiers concepts des artistes allant dans ce sens), Bacchus devient un
être bien plus bouffon et l’on retrouve un charmant décalage avec les premières
tentatives de vol d’un tout jeune pégase ayant du mal à suivre ses aînés. Les couleurs
pastel ajoutent encore à cette douceur où les touches piquantes ne sont pas
exclues. On pense aux fesses rebondies de ce Cupidon finissant par former un cœur,
la création des « centaurettes » apparaissant seins nus (même si vite
recouverte par des fleurs) et véhiculant un érotisme lascif ainsi que la
séduction équivoque avec les centaures.
La manifestation des pouvoirs des dieux
fonctionne sur ce même filtre. Zeus et Vulcain surgissent des nuages de l’Olympe
pour faire tonner un tumulte ténébreux dans cette élégie mais l’on ne retient
que l’aspect ludique de cette démonstration de force. L’animation d’Art Babitt
donne un trait amusé aux dieux et leurs facéties sont plus synonymes de gags
envers le malheureux Bacchus, la puissance céleste fonctionnant plus pour s’amuser
des inférieurs que pour les châtier. Un charmant aparté et une preuve qu’aucune
idée ne se perd au sein de Disney puisque tout la folie du futur Hercule (1997) et sa mythologie
débridée sont déjà contenus ici.
La Danse des heures d'Amilcare
Ponchielli
Une certaine facétie essayait de ponctuer tous les autres
segments quels que soient les thèmes évoqués et cette volonté explose dans
cette séquence purement humoristique. L’œuvre sautillante de Ponchielli sert
une description du défilé des heures dont l’esthétique varie au gré de ce
passage du temps. L’ensemble de la séquence constitue à la fois un clin d’œil aux
dessins animé plus délirants de la Warner mais aussi d’un point de vue musical
un hommage décalé au ballet. Ce sont les animaux censément les plus disgracieux
qui serviront cet hommage en quatre parties : le Matin avec les autruches,
l'Après-midi avec les hippopotames, le Soir avec les éléphants et la Nuit avec
les crocodiles. Le mouvement brinquebalant des autruches obéit à un motif
vertical (obéissant à leur morphologie) et horizontal dans l’architecture du
décor, avec un découpage tout en ellipse heurtée, le décalage créant l’effet
comique alors que les oiseaux déploient réellement une chorégraphie calquée sur
le ballet russe.
Les danseurs Roman Jasinski (les éléphants), Tatiana Riabouchinska
(l’hippopotame) et Irina Baranova (pour les autruches) servirent ainsi de
modèles aux animateurs. L’anthropomorphisme servait un côté plus mignon que
comique dans Blanche-Neige et les Sept
Nains (1937) et Pinocchio (1940)
ce qui marque un vrai changement dont Walt Disney aura puisé l’inspiration dans
les œuvres de l’artiste allemand Heinrich Kley qui le fascinaient. Après la
gestuelle chaotique des autruches, c’est des attitudes maniérées des
hippopotames que naîtra l’effet comique. La première apparition de l’hippopotame
en chef surgissant d’une fontaine est une parodie d’une scène identique de The Goldwyn Follies (1938) dont est
repris le décor et les poses de sa danseuse Vera Zorina.
L’animateur Norman
Ferguson, spécialiste de la caricature (et à qui l’on doit l’allure des fourbes
Chat et Renard dans Pinocchio) se
délectera durant ce segment apportant son sens de la surenchère grotesque (le
pas de deux entre le crocodile et l’hippopotame) pourtant pas dénuée de
tendresse. Les hippopotames et les éléphants auront évolués selon un motif
circulaire (après celui horizontal et vertical des autruches comme déjà dit),
le cadre restant dans des proportions identifiables tant que l’on reste dans
les heures du jour. La nuit venues et les frétillants personnages des crocodiles avec, c’est
le motif du zig zag et de la frénésie figurant leur désir dévorant qui s’amorce.
L’outrance et la folie des chorégraphies trahissent ainsi l’influence des musicals Warner et plus précisément
Busby Berkeley (influence que l’on peut d’ailleurs trouver dans les précédents
segments aussi) dont on reconnait la démesure grandiloquente. Un grain de folie
bienvenu avant une conclusion solennel et ténébreuse.
Une Nuit sur le Mont
Chauve/ Ave Maria de Modeste Moussorgski et Franz Schubert
Antinomique sur le papier, le croisement des œuvres de
Moussorgski et Schubert servent une opposition ancestrale entre le bien et le mal,
entre l’occulte et le sacré. La partition tourmentée de Moussorgski accompagne
une cauchemardesque scène de sabbat où les créatures d’outre-tombe célèbrent le
maître des ténèbres personnifié par l’image du démon de la mythologie slave Chernobog.
La saisissante mise en scène de l’impressionnante présence du démon fait toute la
force de la séquence, cette personnification du mal absolu - sans le moindre élément disgracieux et/ou moqueur dans son allure - détonant chez Disney
(et annonçant autant L’Exorciste
(1973) que La Forteresse Noire (1983)
de Michael Mann), ses mouvements lent et sa présence hiératique dominant la
véritable sarabande infernale qui le fête. Les êtres démoniaques arborent une
allure grotesque et horrifique à la fois dont les designs seront repris pour
les sbires (y compris le sinistre
vautour qu’on aperçoit) de Maléfique dans La Belle au bois dormant (1959), tout comme certaines idées d’éclairages
verdâtres se mêlant à l’obscurité pour signifier la facette de magie noire.
L'illustrateur
danois Kay Nielsen marque ce segment de son empreinte en amenant une forte
influence de l’expressionnisme allemand et notamment Faust (1926) de Murnau. On relève une mise en place quasi théâtrale,
l’apparition de Chernobog au sommet de la montagne constituant à la fois le
public, l’enseigne et la scène de ce déchaînement occulte. La réelle légende
slave qui aura inspiré Moussorski concernait d’ailleurs plutôt Svarog, dieu du
soleil mais Walt Disney aura modifié cette origine pour privilégier le
contraste ombre/lumière avec l’Ave Maria. Là encore les animateurs auront
débordé d’inventivité pour donner vie à ce cauchemar. Les spectres au contour si particulier quittant
leurs tombes pour le Mont Chauve furent filmés face à
un miroir déformant puis incrustés en surimpression à l’animation, d’autres fois
simplement crayonnés dans un effet de fusain rendant leur présence plus
terrifiantes encore.
Après les ténèbres, la lumière et la grâce immaculée de l’Ave
Maria qui offrira son lot d’image évocatrice dont celui où Chernobog referme
ses ailes. Kay Nielsen amènera des influences inattendues lors de la longue
procession finale où l’art romantique (la brume bleutée dégageant une certaine
mélancolie) côtoie les gravures japonaise d’un Hokusai dans la texture palpable
de l’image. La caméra multiplane (perfectionnée au même moment durant le
tournage de Pinocchio) arpentant la
fresque de ce décor forestier transcende la beauté de ce final magistral.
Le destin commercial sera malheureusement impitoyable en
dépit de la réussite artistique fabuleuse. RKO refusant dans un premier temps
de distribuer le film, Walt Disney en finance l’exploitation promotionnelle en
circuit limité, ce côté itinérant allant bien à l’idée de tournée de concert qu’il
souhaite conférer à l’œuvre. L’exigence technique de Fantasia (notamment la création d’un des premiers procédés stéréo
ancêtre du surround, le Fantasound source de l’exigence sonore de Stokowski)
limite les projections aux salles de spectacles ou force le studio à équiper
lui-même les salles de cinéma diffusant le film. RKO n’acceptera de le distribuer que dans une
version coupée et réduite à 88 minutes (où toutes les présentations de Deems
Taylor disparaissent) et le temps jouera contre le film.
Une longue
exploitation aurait fini par le rendre rentable, d’autant que les salles
équipée pour sa diffusion allaient en augmentant mais l’entrée en guerre des
Etats-Unis mobilisa les forces et les budgets, achevant d'en faire un échec
simultanément à Pinocchio pour les
mêmes raisons. L’idée d’un spectacle évolutif disparait aussi, toutes les idées
laissées en friches servant des décennies plus tard pour Fantasia 2000 (1999) sous la férule acharnée de Roy Disney. Au fil
des rééditions et des conditions de plus en plus optimales pour l’apprécier, Fantasia gagnera ses galons de grand
classique Disney pour enfin devenir un succès après sa restauration et édition
vidéo en 1990. Il faudra pourtant attendre les éditions dvd et Blu-ray pour l’apprécier
dans sa version intégrale (réintégrant les apartés de Deems Taylor mais
redoublées les bande sonores d’époques étant perdues) celle qui fut projetée
lors de sa tournée promotionnelle.
Sorti en dvd zone 2 français et bluray chez Disney