Abandonné à la naissance à cause de sa
difformité, le surdoué et richissime héritier Oswald Cobblepot grandit
dans les égouts de Gotham City parmi une troupe de saltimbanques et se
fait appeler "Le Pingouin". Des années plus tard, il s'associe à l'homme
d'affaires Max Shreck pour corrompre les habitants de Gotham et devenir
maire. Le justicier masqué Batman, alias Bruce Wayne, tente de les
arrêter. Entretemps, Selina Kyle, timide secrétaire effacée de Shreck,
découvre la preuve des intentions peu louables de son patron. Ce dernier
tente de l'assassiner. Selina jure d'obtenir vengeance...
Au sortir du triomphe de
Batman, Tim Burton est peu enclin à s'atteler à la suite que lui réclame la Warner et préfèrera signer le plus personnel
Edward aux mains d'argent
(1990) à la Fox. Pour attirer son wonderboy le studio décide alors de
lui laisser une entière liberté artistique pour ce second volet, ce qui
convaincra Burton qui souffrit des contraintes imposées notamment par le
producteur Jon Peters. Désormais également producteur, Burton va
orienter ce
Batman Returns dans
une voie encore plus macabre et ténébreuse par la grâce du script de
Daniel Waters qui s'était fait remarquer avec le teen movie en forme de
comédie noire
Fatal Games (1990).
Dans
Batman,
Burton avait confondu la folie de Batman et celle de son ennemi le
Joker, chacun étant finalement le créateur de l'autre et laissant
s'exprimer ses névroses dans son double costumé. Le réalisateur va plus
loin encore dans
Batman Returns,
la monstruosité de ses ennemis offrant un reflet à la sienne pour notre
héros masqué. Le Pingouin est ainsi tout comme Bruce Wayne un orphelin,
son abandon initial guidant toutes ses actions et sa soif de
reconnaissance tout comme la soif de justice est le leitmotiv de Batman.
Pour Selina Kyle (Michelle Pfeiffer), ce sera une quête revancharde
envers le mépris des hommes qui s'incarnera dans la sulfureuse Catwoman.
Les trois personnages se confondent ainsi, tour à tour héros, paria ou
indéchiffrable aux yeux d'une opinion aveugle et changeante. Burton
montre finalement bien plus d'empathie et de compassion pour ses freaks
que pour les humains au sein desquels on trouve le vrai monstre en la
personne du manipulateur Max Schrek (Christopher Walken).
Alors que
Batman parvenait à conserver une touche lumineuse avec le personnage de Vicky représentant un ailleurs possible,
Batman Returns
est entièrement dévoué à ses créatures de la nuit et les scènes de jour
sont bien rares. L'intrigue a beau se dérouler à la période de noël,
c'est plutôt aux démons et merveilles d'Halloween qu'on pense ici
notamment avec cette troupe de cirque malfaisante et la cour du
Pingouin, Burton annonçant les atmosphères de
L'Étrange Noël de monsieur Jack
(1993).
Dans ces ténèbres permanentes tous les rêves et cauchemars sont
possibles, Burton orchestrant quelques-unes des plus belles séquences
de sa carrière avec l'abandon du Pingouin nourrisson en ouverture ou
bien évidemment la saisissante renaissance de Selina Kyle en Catwoman.
La secrétaire godiche devient une amazone SM toute de latex à la
sexualité agressive et imprévisible (passant de l'attitude enfantine à
la violence la plus décomplexée voir ce moment où elle saute à la corde
comme une fillette avant de faire exploser un magasin), pour elle-même
et les autres.
La schizophrénie déjà explorée dans le premier film
s'étend ici à notre trio de monstres, le Pingouin reniant puis acceptant
ce patronyme quand il aura admis qu'il ne serait jamais vraiment
accepté, Selina Kyle étant partagée entre son attirance pour Bruce Wayne
et la rage de Catwoman. De nombreux dialogues voit Batman admettre
implicitement ce lien avec ses ennemis sans accepter leurs attitudes et
la romance avec Selina Kyle entretient cette confusion, leurs
bizarreries les attitrant l'un l'autre quand ils sont démasqués (la
première apparition de Selina Kyle après sa transformation) et les
échanges se confondant peu à peu entre leurs alias.
Pour Burton, les monstres sont condamnés à être rejetés et
Batman Returns en offrira avec
Edward aux mains d'argent
la plus belle dimension tragique. Monstrueux et poignant à la fois, le
Pingouin se pensant accepté découvrira qu'il a été manipulé et cherchera
à résoudre son mal-être par le chaos. Eternelle victime de la fourberie
des hommes, Catwoman poursuivra sa quête vengeresse jusqu'à la folie
tandis que Batman vacillera de sa ligne de conduite face au sacrifice
qu'il doit y laisser.
Le côté super-héroïque est nettement en retrait
(Burton ne faisant pas preuve de plus d'intérêt ou de brio lorsque
Batman est en action) au profit du pur film de monstres, les personnages
affirmant leurs déviances le temps de séquences peu ragoutantes et
bizarre (le Pingouin dévorant ses poissons cru, Catwoman gobant un
oiseau) ou alors sexuellement troublantes (Catwoman affalée sur le lit
du Pingouin, tout comme le léchage/baiser avec Batman).
Le score de
Danny Elfman est dans cet esprit, la marche tonitruante de Batman
laissant place à la comptine de noël déréglée, au thème tragique du
Pingouin ou à celui diablement torturé de Catwoman, une des très grandes
réussites du compositeur. La subtilité de Michael Keaton fait merveille
dans ce second volet où il approfondit les failles de son héros plus
vulnérable et finalement hormis le glacial Christopher Walken il n'y a
pas de vrai méchant dans
Batman Returns,
juste des êtres anormaux en quête d'identité.
A ce petit jeu Michelle
Pfeiffer offre la prestation la plus incandescente de sa carrière et est
absolument inoubliable. Elle est l'âme de cette magistrale suite,
soulignée par une dernière image des plus évocatrices. Burton
s'affranchit totalement du comics pour tout simplement signer un grand
film.
Sorti en dvd zone 2 français et blu ray chez Warner