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mercredi 31 juillet 2013

L'Autre - In Name Only, John Cromwell (1939)

Alec Walker (Cary Grant) fait la connaissance d'une jeune artiste Julie Eden (Carole Lombard). Il voudrait l'épouser, mais il est déjà marié avec la très calculatrice Maida (Kay Francis) qui lui refuse le divorce...

Un beau mélo qui se penche sur la difficulté à refaire sa vie, renforcée bien sûr par le contexte moral de l'époque. L'originalité est ici de faire du personnage le plus fragile et victime du destin un homme. Cet homme, c'est Alec Walker (Cary Grant) vivant un mariage malheureux avec une femme (Kay Francis) l'ayant épousé pour son argent jusqu'à sa rencontre avec la jolie veuve Julie Eden (Carole Lombard). Le poids des conventions va rendre cette situation inextricable par le refus de l'épouse intéressée de divorcer, rendant le couple illégitime de plus en plus coupable. L'infidélité est tacitement acceptée tant qu'on ne brise pas la sacro-sainte entité du mariage et tout pousse, de la meilleure amie perfide et pressante (Helen Vinson) aux parents moralisateurs à ne rien changer de cet état de fait.

C'est contre cette fatalité que va se rebeller le personnage de Cary Grant, déterminé et vulnérable à la fois. Ici ce sont les femmes qui mènent le jeu. Carole Lombard offre une magnifique prestation dramatique avec cette jeune femme amoureuse et hésitante dont la sincérité va redonner symboliquement puis littéralement lors de la conclusion gout à la vie à un Cary Grant brisé par une morale inhumaine. Face à elle Kay Francis compose une épouse perfide à souhait et manipulatrice, le masque bienveillant et la beauté dissimulant un monstre d'égoïsme. Une des meilleures compositions de l'actrice qui parvient à être détestable et jouant à merveille de son aura de douceur et de glamour pour exprimer la superficialité du personnage.

Cary Grant et Carole Lombard tout en sobriété poignante composent un couple magnifique où les moments romantiques comme de désespoir s'ornent d'une grande intensité et montrent l'étendue du registre des deux acteurs plus souvent vus dans des rôles léger et comiques.

Face à leur amour bien des obstacles pas forcément aux mauvaises intentions mais guidés par une morale vaine (la sœur de Julie jouée par Katharine Alexander, les parents d'Alec ou on retrouve un Charles Coburn bourru) ou alors la simple perfidie (la meilleure amie et ses piques acérées), le poids des apparences devant être maintenu au détriment du bonheur de l'individu. Le très beau final l'éprouve jusqu'au bout mais notre couple aux abois restera plus uni que jamais tandis que les masques tombent enfin. Une belle découverte.

Sorti en dvd zone 2 français aux Editions Montparnasse dans la collection RKO

Extrait

mardi 30 juillet 2013

Vaudou - I Walked with a Zombie, Jacques Tourneur (1943)


Une île proche d'Haïti. Une infirmière, Betsy Connell, est engagée pour s'occuper de Jessica, la femme de Paul Holland. Elle pense que Jessica a été envoûtée par des rites vaudou, elle finira par apprendre qu'en fait c'est un zombie.

Vaudou approfondissait la formule magique de l'épouvante découverte par Jacques Tourneur et son producteur Val Newton avec La Féline (1942) dont le succès sauva la RKO de la faillite l'année précédente. Le mystère, la suggestion et les jeux d'ombres sont cette fois exploités dans le cadre plus exotique d'Haïti en convoquant le folklore vaudou et la magie noire.

Le scénario offre une astucieuse variante du Jane Eyre de Charlotte Brontë dont on reconnaîtra aisément les emprunts. La jeune infirmière Betsy Connell (Frances Dee) est engagée pour s'occuper de l'épouse d'un riche propriétaire d'une proche d'Haïti, l'épouse étant plongée dans une étrange catatonie causée par une fièvre mais que la rumeur locale attribue au vaudou et faisant d'elle une zombie.

Le film oscille constamment entre cette dualité rationnelle ou surnaturelle quant au mal de Jessica, les deux interprétations se disputant souvent dans les partis pris visuels et narratif de Tourneur. L'inquiétude naît d'un rien avec quelques moments aussi sobres que glaçants telle cette première apparition spectrale de la malade dans la tour, sa seule robe blanche illuminant les ténèbres lorsqu'elle avance vers l'infirmière terrorisée.

Le terme zombie est ici plus associé à son lien avec la magie que la facette plus biologique qu'y amènera bien plus tard George Romero et c'est l'occasion pour Tourneur de livrer d’hypnotiques scènes rituelles. Tout un bon pour susciter le malaise, le bande son faisant de l'environnement naturel un personnage à part entière, le physique hors norme des autochtones (ce très inquiétant colosse aux yeux exorbités) et l'aura de superstition qui semble peser sur tout le film.

L'intrigue et ses enjeux terre à terre (triangle amoureux, rivalité fraternelle) cherchera toujours à nous ramener à un certain réalisme tandis que tout dans l'imagerie appelle au surnaturel, le second prenant de plus en plus le pas jusqu'au flamboyant final macabre et romanesque à la fois. La terreur, la vraie, ne s'instaure jamais réellement pour une ambiguïté qui donne une inquiétude latente qui donne tout son pouvoir de fascination à ce Vaudou et à l'art du fantastique selon Tourneur.

Sorti en dvd zone 2 français aux Editions Montparnasse dans la collection RKO

lundi 29 juillet 2013

Batman, Le Défi - Batman Returns, Tim Burton (1992)


Abandonné à la naissance à cause de sa difformité, le surdoué et richissime héritier Oswald Cobblepot grandit dans les égouts de Gotham City parmi une troupe de saltimbanques et se fait appeler "Le Pingouin". Des années plus tard, il s'associe à l'homme d'affaires Max Shreck pour corrompre les habitants de Gotham et devenir maire. Le justicier masqué Batman, alias Bruce Wayne, tente de les arrêter. Entretemps, Selina Kyle, timide secrétaire effacée de Shreck, découvre la preuve des intentions peu louables de son patron. Ce dernier tente de l'assassiner. Selina jure d'obtenir vengeance...

Au sortir du triomphe de Batman, Tim Burton est peu enclin à s'atteler à la suite que lui réclame la Warner et préfèrera signer le plus personnel Edward aux mains d'argent (1990) à la Fox. Pour attirer son wonderboy le studio décide alors de lui laisser une entière liberté artistique pour ce second volet, ce qui convaincra Burton qui souffrit des contraintes imposées notamment par le producteur Jon Peters. Désormais également producteur, Burton va orienter ce Batman Returns dans une voie encore plus macabre et ténébreuse par la grâce du script de Daniel Waters qui s'était fait remarquer avec le teen movie en forme de comédie noire Fatal Games (1990).

Dans Batman, Burton avait confondu la folie de Batman et celle de son ennemi le Joker, chacun étant finalement le créateur de l'autre et laissant s'exprimer ses névroses dans son double costumé. Le réalisateur va plus loin encore dans Batman Returns, la monstruosité de ses ennemis offrant un reflet à la sienne pour notre héros masqué. Le Pingouin est ainsi tout comme Bruce Wayne un orphelin, son abandon initial guidant toutes ses actions et sa soif de reconnaissance tout comme la soif de justice est le leitmotiv de Batman.

Pour Selina Kyle (Michelle Pfeiffer), ce sera une quête revancharde envers le mépris des hommes qui s'incarnera dans la sulfureuse Catwoman. Les trois personnages se confondent ainsi, tour à tour héros, paria ou indéchiffrable aux yeux d'une opinion aveugle et changeante. Burton montre finalement bien plus d'empathie et de compassion pour ses freaks que pour les humains au sein desquels on trouve le vrai monstre en la personne du manipulateur Max Schrek (Christopher Walken).

Alors que Batman parvenait à conserver une touche lumineuse avec le personnage de Vicky représentant un ailleurs possible, Batman Returns est entièrement dévoué à ses créatures de la nuit et les scènes de jour sont bien rares. L'intrigue a beau se dérouler à la période de noël, c'est plutôt aux démons et merveilles d'Halloween qu'on pense ici notamment avec cette troupe de cirque malfaisante et la cour du Pingouin, Burton annonçant les atmosphères de L'Étrange Noël de monsieur Jack (1993).

Dans ces ténèbres permanentes tous les rêves et cauchemars sont possibles, Burton orchestrant quelques-unes des plus belles séquences de sa carrière avec l'abandon du Pingouin nourrisson en ouverture ou bien évidemment la saisissante renaissance de Selina Kyle en Catwoman. La secrétaire godiche devient une amazone SM toute de latex à la sexualité agressive et imprévisible (passant de l'attitude enfantine à la violence la plus décomplexée voir ce moment où elle saute à la corde comme une fillette avant de faire exploser un magasin), pour elle-même et les autres.

La schizophrénie déjà explorée dans le premier film s'étend ici à notre trio de monstres, le Pingouin reniant puis acceptant ce patronyme quand il aura admis qu'il ne serait jamais vraiment accepté, Selina Kyle étant partagée entre son attirance pour Bruce Wayne et la rage de Catwoman. De nombreux dialogues voit Batman admettre implicitement ce lien avec ses ennemis sans accepter leurs attitudes et la romance avec Selina Kyle entretient cette confusion, leurs bizarreries les attitrant l'un l'autre quand ils sont démasqués (la première apparition de Selina Kyle après sa transformation) et les échanges se confondant peu à peu entre leurs alias.

Pour Burton, les monstres sont condamnés à être rejetés et Batman Returns en offrira avec Edward aux mains d'argent la plus belle dimension tragique. Monstrueux et poignant à la fois, le Pingouin se pensant accepté découvrira qu'il a été manipulé et cherchera à résoudre son mal-être par le chaos. Eternelle victime de la fourberie des hommes, Catwoman poursuivra sa quête vengeresse jusqu'à la folie tandis que Batman vacillera de sa ligne de conduite face au sacrifice qu'il doit y laisser.

Le côté super-héroïque est nettement en retrait (Burton ne faisant pas preuve de plus d'intérêt ou de brio lorsque Batman est en action) au profit du pur film de monstres, les personnages affirmant leurs déviances le temps de séquences peu ragoutantes et bizarre (le Pingouin dévorant ses poissons cru, Catwoman gobant un oiseau) ou alors sexuellement troublantes (Catwoman affalée sur le lit du Pingouin, tout comme le léchage/baiser avec Batman).

Le score de Danny Elfman est dans cet esprit, la marche tonitruante de Batman laissant place à la comptine de noël déréglée, au thème tragique du Pingouin ou à celui diablement torturé de Catwoman, une des très grandes réussites du compositeur. La subtilité de Michael Keaton fait merveille dans ce second volet où il approfondit les failles de son héros plus vulnérable et finalement hormis le glacial Christopher Walken il n'y a pas de vrai méchant dans Batman Returns, juste des êtres anormaux en quête d'identité.

A ce petit jeu Michelle Pfeiffer offre la prestation la plus incandescente de sa carrière et est absolument inoubliable. Elle est l'âme de cette magistrale suite, soulignée par une dernière image des plus évocatrices. Burton s'affranchit totalement du comics pour tout simplement signer un grand film.

  
Sorti en dvd zone 2 français et blu ray chez Warner

dimanche 28 juillet 2013

Batman - Tim Burton (1989)


Enfant, le milliardaire Bruce Wayne vit ses parents assassinés par un voleur. Il se jura de venger leur mort en se lançant dans une bataille à vie contre le crime organisé. Pour cela, il se crée un personnage costumé nommé Batman, et cache cette identité derrière celle d'une image de playboy. Gotham City est contrôlée par le parrain Carl Grissom. En dépit des efforts du fraîchement élu procureur de district Harvey Dent et du commissaire James Gordon, la corruption de la police demeure conséquente. Le reporter Alexander Knox et la photo-journaliste Vicki Vale commencent à enquêter sur les agissements du justicier habillé en chauve-souris, alors que ce dernier n'est aux yeux des médias et des policiers qu'une rumeur confuse propagée chez les criminels.

La réussite artistique et le triomphe commercial du magnifique Superman (1978) de Richard Donner avait rendu viable à l'époque la possibilité d'adaptation de comics dans des productions ambitieuses et c'est tout naturellement qu'il fut envisagé de transposer Batman sur grand écran dès le début des années 80. Mais entre le souvenir encore trop vivace de la série tv parodique des 60's et les atermoiements quant à la direction à adopter (reprendre mécaniquement la structure du film de Richard Donner pas adapté pour Batman, adopter une tonalité sombre et sérieuse fidèle aux comics ou reprendre la suite loufoque de la série) le projet s'enlise lentement dans l'enfer du development hell.

Ce qu'il manque au projet c'est une vraie vision, ce qui sera le cas grâce à la sortie des comics The Dark Knight Returns et The Killing Joke (signé Frank Miller et Alan Moore) dont le succès valide une vision plus sombre et torturée de l'univers de Batman et contribuera à l'embauche de Tim Burton à la réalisation.

Peu familier de l'univers des super-héros, Burton trouvera chez Miller et Moore matière à exploiter mais c'est surtout par son interprétation du personnage que Burton rendra son Batman si marquant. Pour Burton, Bruce Wayne n'est qu'un pantin, une coquille vide rongeant son frein en journée dans l'attente d'endosser le costume de Batman la nuit venue, sa vraie identité. Contrairement à la structure obligatoire désormais (et héritée du Superman de Donner en fait) pas de psychologie ou de longue introduction pour dépeindre les motivations du justicier que nous retrouvons d'emblée en action, l'agression précédant sa première apparition faisant d'ailleurs un mimétisme volontaire au trauma originel de Bruce Wayne. Burton use des codes du film d'épouvante avant un montage jouant sur la nature spectrale et fantomatique de Batman et lorsqu'il se dévoilera dans toute sa splendeur aux malfrats terrorisés, c'est à un pur instant d'épouvante gothique qu'on assistera.

Avant d'être un super-héros, Batman est une anomalie, un monstre dissimulant un être torturé et schizophrénique. Burton retarde ainsi longuement l'apparition de Bruce Wayne (Michael Keaton, parfait) démasqué, être transparent ne surnageant pas au milieu des invités de sa propre réception alors qu'il semble lui-même et maître la situation dans la batcave. De même il semble bien plus sûr de lui lorsqu'il se présente d'un rageur I'm Batman à un criminel tremblant que lorsqu'il assume à peine être Bruce Wayne. La romance compliquée avec Vicky Vale (Kim Basinger) laisse alors entrevoir ce que pourrait être une existence normale mais un autre monstre est lâché en ville en la personne du Joker (Jack Nicholson), le forçant à replonger dans les ténèbres.

L'idée discutable de lier les origines de Batman et du Joker est parfaitement vue dans cette optique, faisant de Gotham City un asile à ciel ouvert engendrant des freaks. Théâtre de la folie, Gotham City adopte ainsi une étouffante esthétique gothique par la mise en scène opératique de Burton et la photographie ténébreuse et sophistiquée de Roger Pratt servent à merveille les décors d'Anton Furst.

Les jeux d'ombres sont somptueux et les perspectives étourdissantes tout en gardant sous le budget faramineux une dimension artisanale (nous sommes dans une ère pré numérique avec trucages à l'ancienne alternant maquettes, matte painting...) dans ce qui est un splendide hommage à l'expressionnisme allemand voire même au gothique Universal (le final entre Frankenstein et Le Fantôme de l'Opéra).

Si Burton aura réussi à avoir la mainmise sur la tonalité du film et exprimer la nature profonde de son héros, le déroulement du scénario assez bancal (les 45 premières minutes étant exceptionnelles) laisse deviner tous les compromis que dû faire le jeune réalisateur dont c'était le premier gros film notamment la décision étrange de faire pénétrer Vicky Vale dans la batcave.

Jack Nicholson aussi génial d'assurance et de narcissisme (I didn't ask répond-il lorsque sa maîtresse le félicite de son allure impeccable) en gangster Jack Napier exprime une folie à la fois macabre et loufoque en Joker, totalement imprévisible mais vampirisant sans doute un peu le film. Les moments grandioses ne manque cependant pas, la découverte de son nouveau "visage" nous emmène du côté du Cabinet du Docteur Caligari et l'apparition de ce pistolet au canon gigantesque exprime à merveille le bouillonnement de cet esprit dérangé.

Le score trépidant de Danny Elfman (la marche de Batman est au moins aussi mémorable que le thème de John Williams pour Superman) exprimera mieux la dimension héroïque du Dark Knight que la mise en scène de Burton soignant les apparitions de son héros (et de ses gadgets le bat wing se fondant dans le clair de lune ou la batmobile arpentant Gotham c'est le grand frisson) mais peinant encore à le dynamiser dans l'action. Le spectacle s'avérera néanmoins inédit pour l'époque, le public faisant un triomphe au film pour une véritable batmania aux USA cet été là. Et le meilleur restait à venir avec une suite flamboyante.


Sorti en dvd zone 2 et bluray chez Warner


samedi 27 juillet 2013

La Pelote basque : la peau contre la pierre - La pelota vasca. La piel contra la piedra, Julio Medem (2003)


Ce documentaire sur le conflit basque a pour objectif d'inviter les parties au dialogue, un dialogue politique nécessaire qui actuellement est totalement bloqué. L'idée de départ est que, très probablement, personne n'est détenteur de la vérité absolue, mais que celle-ci, à part de n'être définie qu'en des termes relatifs, se trouve fractionnée et diversifiée dans chacun des interviewés.
Il s'agit de permettre à chacun de donner, dans le respect, son point de vue et ses sentiments, avec la conviction saine que chacun est détenteur au moins d'une vérité partiale.


La pelota vasca. La piel contra la piedra est un film particulier dans l'œuvre de Julio Medem puisqu'il s'agit d'un documentaire et que le cinéaste y revient sur le conflit agitant de longue date son Pays Basque natal. Medem n'avait abordé directement le sujet que dans son inaugural Vacas (1991) mais un des thèmes du film (la terre d'origine et ses traditions à la fois bienfait culturel et objet de fermeture et d'obscurantisme) parcoure toute sa filmographie sans forcément évoquer directement le Pays Basque (L'écureuil Rouge et Tierra notamment) et est donc forcément au cœur de ce documentaire.

Le but de Medem est de réunir différents acteurs du conflit, exprimer les différentes opinions et divergences mais sans forcément les confronter pour au contraire montrer la vérité contenue dans chaque voies. Chaque voix devrait on plutôt dire puisque en voulant s'opposer au souverainisme (recherché par le Pays Basque) et à l'unité (volonté du gouvernement espagnol) qui guide le conflit, Medem adopte une forme polyphonique où l'on sera perdu parmi les nombreux intervenants (près de 70 mêlant politique, écrivain, philosophe, militant comme victime de l'ETA) avant d'isoler l'opinion de chacun.

Une affirmation et son contraire s'enchaîneront donc constamment, notamment au début où Medem essaie d'établir historiquement ce qui constitue l'identité basque. Le mythe et la réalité historique s'entremêlent pour illustrer l'enracinement basque dans l'histoire espagnole et celle de la région, le fantasme d'un pouvoir basque établi depuis cinq siècles pour les locaux se voyant contredit par les opposants selon lesquels une vraie gouvernance autonome n'a pas existé plus de trente ans. C'est un mouvement qui opérera durant tout le documentaire, Medem glissant quelques précieuses informations qui entretienne cette confusion plus qu'elle ne la clarifie comme l'origine du vrai mouvement nationaliste basque né à la fin du XIXe dans une volonté identitaire alors que la région en plein essor économique attirait divers étrangers.

De même le réalisateur évoque la reconnaissance du mouvement basque par Franco dans le but de l'éradiquer violemment tandis que plus tard à la mort du dictateur le gouvernement démocratique privilégiant l'identité nationale refusera toujours cette réelle existence de l'Euskadi (terme désignant la communauté autonome basque et française) et provoquant les actions les plus violentes de l'ETA (un chiffre alarmant nous informant que plus de gradé sont morts durant la période d'action intensive de l'ETA que lors des deux dernières guerres...).

Les témoignages de victimes d'attentat se mêlent donc à ceux de nationalistes "pacifistes" ayant subis les tortures de la police politique, sous Franco comme lors du gouvernement qui lui succéda (le film ayant quand même fait polémique en Espagne pour une supposée complaisance envers les terroristes). Par cette option Medem renvoie constamment chaque partie dos à dos et face à ses propres erreurs, la vérité se situant entre les deux. Même si le néophyte de l'histoire espagnole contemporaine sera perdu entre les noms des différentes entités et mouvements politiques le réalisateur parvient à nous donner un spectre global de la situation assez limpide.

Malgré le sujet se prêtant moins à ses envolées habituelles, la patte de Medem est omniprésente dans la forme. Des inserts de pelote basque sont omniprésents comme pour montrer les protagonistes aux idées divergentes se renvoyer la balle. Les intervenants pour la plupart sont interrogés hors de lors quotidien, Medem les fondant dans un paysages basque (bois, champs, montagnes, falaises) autant pour montrer la diversité géographique de la région que pour symboliquement signifier que c'est à eux de faire l'effort, de se déplacer et faire valoir leur volonté de discussion.

Le montage si particulier de Medem mêlant poésie, métaphore et vraies informations est également présent entre vue aériennes du Pays Basque, image d'archives et extraits de film (le Around The World with Orson Welles côtoyant son propre Vacas notamment) qui poursuivent ainsi par la seule image cette idée de polyphonie des idées et des approches. Le tout est entrecoupé et accompagné de chansons de l'artiste basque Mikel Laboa dont la mélancolie donne un souffle fascinant aux visions de Medem.

L'épilogue essaie par les attentes et espérances de chacun d'envisager des solutions de paix en faisant notamment intervenir des personnalité étrangère au conflit mais en ayant connu d'autres tout aussi violent (dont un prêtre médiateur durant les moments sombres de l'Irlande du Nord) mais malgré le volonté de conclure sur une note optimiste de Medem la situation semble tout de même assez inextricable (l'Espagne attendant le démantèlement de l'ETA pour écouter les demandes des nationalistes qui même pacifistes perdent finalement un moyen de pression tout en se débarrassant d'une épine du pied) au moment de la sortie du film. Captivant et suffisamment pédagogique pour intéresser un non connaisseur à cette situation, tout en gardant la touche si particulière de Medem, une réussite.

Sorti en dvd zone 2 espagnol et doté de sous-titres français

jeudi 25 juillet 2013

Le Géant de Fer - The Iron Giant, Brad Bird (1999)


Rockwell, une petite bourgade du Maine, en octobre 1957. Livré à lui-même, le petit Hogarth Hughes passe le plus clair de son temps devant le petit écran. Alors qu'il regarde une de ses émissions favorites, l'image se brouille subitement. Il s'aperçoit que l'antenne a été arrachée. Remontant la piste du coupable, il découvre, au milieu de la forêt voisine, une gigantesque créature métallique, prête à dévorer la centrale électrique. Empêtré dans les câbles à haute tension, le monstre de fer risque gros. Hogarth parvient à couper le courant, sauvant ainsi l'étrange envahisseur d'une mort certaine. Le gamin et le robot se lient d'amitié... Mais l'armée n'est jamais loin pendant la guerre froide...

Premier film et premier joyau pour Brad Bird qui après des années à officier sur des productions tv (dont de nombreuses saisons des Simpson) profitait de la relance du segment animation cinéma de la Warner (à l'instar de Dreamworks et son Prince d'Egypte ou de la Fox avec Anastasia ou Titan AE bien décidés à concurrencer Disney) pour signer ce Géant de Fer. Le film adapte le classique de la littérature enfantine The Iron Man de Ted Hughes, imaginée au départ comme une comédie musicale par le guitariste des Who Pete Towshend avant que l'option du film d'animation ne se s'avère plus judicieuse et que Warner fasse confiance à un Brad Bird très inspiré par le sujet.

Celui-ci souhaite placer au centre du film le questionnement qu’une machine puisse avoir une âme. Les amateurs de Miyazaki remarqueront que le design du robot est très proche de celle des machines du Château dans le Ciel (1986) où elles s'avéraient tour à tour garantes de l'écologie où froidement destructrice selon l'usage que l'on en faisait et le regard que l'on y posait (dominateur chez les hommes et bienveillant avec les enfants). Brad Bird explore avec brio ces mêmes questionnements ici.

Brad Bird confronte là deux imaginaires SF, tout d'abord celui des années 50 avec la psychose d'une apocalypse nucléaire, la peur de l'autre où l'éventuel étranger extraterrestre sera forcément un envahisseur belliqueux en métaphore de la menace communiste en pleine Guerre Froide. C'est donc celle à laquelle souscrit notre jeune héros plein d'entrain Hogarth qui devinant une présence étrange dans la forêt avoisinante fait le lien avec les nombreuses série B qu'il dévore, s'arme d'un fusil et d'un casque de soldat pour aller traquer la créature, possiblement le rouge.

Au lieu de la grande menace annoncée il trouvera un mastodonte de métal aussi imposant qu'inoffensif. Terrifiant lors de sa saisissante première apparition en mer dans la splendide scène d'ouverture (et aussitôt associé à un engin russe par le marin l'apercevant), le géant apparait aussi fragile qu'un enfant à Hogarth empêtré dans les fils d'une station électrique et le regard bienveillant du garçon va au contraire diriger du bon côté la machine déréglée et aux aptitudes réellement guerrière comme on le découvrira par la suite. Bird oriente ainsi la paranoïa 50's vers la bienveillance de la SF 80's et plus particulièrement de Spielberg et des productions Amblin avec une relation entre Hogarth et le robot qui rappellera bien sûr le merveilleux E.T. (1982).

Bird trouve ainsi sa propre voie à travers cette notion d'apprentissage entre les deux personnages puisque entre jeux et péripéties diverses, le turbulent Hogarth fait à son tour office de "parent" pour le géant dont les fonctionnalités destructrices sont endormies car via ce guide innocent il découvrira le meilleur de l'humanité. Le pire et le meilleur se confrontent d'ailleurs lors de la plus belle scène du film, un instant muet et contemplatif à la Bambi où le géant aperçoit une biche dans une clairière avant qu'elle ne soit abattue par des chasseurs.

La vie et la mort s'entremêle ainsi pour le géant qui refuse son statut premier d'arme (I'm not a gun), Bird parvenant grâce à la voix caverneuse de Vin Diesel au doublage, à la gestuelle délicate et maladroite à la fois et à l'expressivité de son regard a grandement émouvoir avec ce personnage sans jamais nier son statut de machine auréolé d'une belle esthétique steam punk.

La vision opaque et binaire des adultes est représentée par le personnage de l'agent gouvernemental et plus globalement par l'armée où tout étranger sera forcément une menace, réveillant ainsi ses instincts guerriers. C'est grâce la candeur d'un enfant (et de références pop judicieusement placées tel cet hommage magnifique à Superman, autre étranger venu faire le bien auquel le robot choisira de s'identifier) que la machine se délivre de sa programmation initiale pour prendre son envol d'ami et de sauveur dans un somptueux final. Une merveille qui faisait d'emblée entrer Brad Bird dans la cours des grands.

Sorti en dvd zone 2 chez Warner

mercredi 24 juillet 2013

Haute Société - Our Betters, George Cukor (1933)


Une américaine fortunée découvre que son mari, un aristocrate anglais, l'a épousée pour sa fortune et aime une autre femme.

Avec ce quatrième film au sein de la RKO de son ami David O Selznick, George Cukor s'affirmait définitivement comme le peintre virulent des milieux nantis et observateur sensible des personnages féminins, ce que confirme ses deux autres films réalisés cette année-là ( Les Invités de huit heures et Les Quatre filles du Docteur March). Il adapte ici une pièce de Somerset Maugham où seront dépeintes sous son regard acéré les affres de la haute société britannique.

Un des thèmes majeur sera également le complexe d'infériorité des américains face aux anglais, perdant en quelques sorte leurs âmes en se pliant à la froideur des mœurs de l'aristocratie britannique et leurs origines constituant un poids presque honteux ou pour les plus lucides un paradis perdu. C'est une cruelle désillusion qui va ainsi former à cette dure réalité notre héroïne Pearl Grayston (Constance Bennett), riche héritière américaine découvrant le jour de son mariage que son noble d'époux en aime une autre et ne l'a épousée que pour son argent.

On la retrouvera cinq ans plus tard désormais bien rodée à ce manège de cynisme et d'hypocrisie et Cukor illustre brillamment ce changement en une scène magistrale. Une réception mondaine à la cours voit Lady Pearl se démarquer de ses compagnes lors de sa présentation toute de noir vêtue tandis que le protocole exige le blanc, sans parler de son salut plus provocant que gracieux et de ses manières désinvolte. Elle est l'attraction principale de cet univers et souhaite désormais y former sa jeune sœur Bessie (Anita Louise) en la mariant à un aristocrate.

Le scénario ne propose pas de vraie intrigue directrice mais plutôt des tranches de vie où Cukor va sonder les codes de ce milieu avant de placer les personnages face à leurs contradictions. Le cercle de Lady Pearl est ainsi constitué d'américains exilés se donnant de grands airs, et ceux qui ne le font pas ont un portefeuille suffisamment garni pour se le permettre à l'image de Fenwick (Minor Watson) amant et bienfaiteur qui a conservé un accent et des manières rustres tout ce qu'il y a de yankee. Tout se joue en fonction du regard de l'autre, à l'image de l'aveu d'adultère où le malaise est dissimulé sous un éclat de rire commun tant qu'il n'est pas avéré et qui provoquera le scandale dès qu'il sera découvert aux yeux de tous.

Les rares élans de désir sincère (Pearl cédant aux avances du gigolo Pepi) s'avéreront aussi éphémère que factice, tous les écarts et trahisons son permis tant que leurs écho ne dépassent pas le cercle (Fenwick autorisant presque Pearl à le tromper tant qu'il n'est pas au courant) qui forme ainsi un vase clos voué à la superficialité.

Sous ce constat amer, Cukor parvient néanmoins à faire rire grâce à quelques scènes hilarantes comme les manœuvres de Pepi pour se faire payer une voiture par sa protectrice et l'émotion se manifeste enfin lors de la prise de conscience finale de Pearl face au dégout de sa sœur. Entre rédemption, recul et éternel recommencement (un cours de danse résolvant tous les conflits) Cukor conclut l'ensemble entre cynisme et espoir.

Sorti en dvd aux éditions Montparnasse dans la collection RKO

Extrait