Cleopatra est le deuxième volet de la trilogie Animerama destiné à croiser animation japonaise et érotisme. Ce second film voit Tezuka s’impliquer davantage en coréalisant le film avec Eichi Yamamoto. L’argument SF (trois extraterrestres voyagent dans l’Egypte antique) pouvait laisser craindre un traitement aussi fantaisiste que Les Mille et Une Nuits mais le déroulement du récit se montre d’une grande fidélité à la réalité historique ou du moins à la légende entourant le règne de Cléopâtre. Le film oscille d’ailleurs d’entrée en facétie et mélodrame pour tisser le destin de la reine égyptienne.
La supposée beauté de Cléopatre étant parfois contestée par les historiens, elle devient un élément thématique puisque sa laideur initiale où elle est néanmoins libre devient grâce à un sortilège une magnificence où la souveraine n’est plus qu’un objet sexué servant les desseins politiques des résistant égyptiens contre César. Tout le conflit intérieur du personnage réside ainsi dans cette nature d’objet de pur désir ou de manipulation où la femme qu’elle est ne peut jamais complètement exister - une mélancolie que traduit particulièrement bien un Isao Tomita encore très inspiré avec un score folk arabisant et psyché.
Le spectateur est placé à la fois au cœur du drame et à une certaine hauteur grâce au trois voyageurs temporels qui amènent un parfum d’inéluctable aux évènements mais aussi un humour qui fait mouche. Tout comme dans Les Mille et Une Nuits, le traits arrondi et cartoon de Tezuka domine dans le design des personnages (le malheureux voyageur temporel réincarné en léopard notamment) et les anachronisme et références pleuvent pour alléger l’atmosphère. On pense à ce duel avorté désamorcé par l’incursion de Yojimbo (sous les traits dessiné de Toshiro Mifune bien sûr) regrette que le combat n’ai pas eu lieu. L’assassinat de César revisité façon théâtre kabuki montre aussi que ces relectures n’ont pas que des vertus de comédie.
Comparé aux excès à venir de Beladonna (1973), l’érotisme est plutôt soft mais l’ensemble baigne dans
une sensualité trouble qui n’existe paradoxalement que quand les sentiments
interviennent. Une étreinte entre César et Cléopâtre durant une scène de bain
conjugue ainsi contour et couleur pop avec une texture de papyrus égyptien s’attardant
sur les formes rebondies de Cléopâtre. De même le jeu du « bouche à bouche »
où Cléopâtre déniaise Antoine fait monter une tension érotique indéniable, mais
c’est au détour d’un dialogue (Antoine révélant son affection pour César,
premier grand amour de Cléopâtre) que la scène peut prendre toute son ampleur
romantique.
Cette schizophrénie est volontaire en aguichant sur ce que l’on est
venu chercher - un film d’animation coquin, l’échec américain u film viendra
notamment de cette promesse non tenue –, ce que doit représenter l’héroïne aux yeux de
ses interlocuteurs et ce qu’elle aspire à être et le vrai portrait de femme qu’est
en réalité le film. Les expérimentations croisant animations et décors réels
des Mille et Une Nuits se poursuivent ici dans les premières scènes futuristes,
mais l’on retiendra surtout l’ampleur grandiose et le sens du détail de la
reconstitution de l’Egypte antique.
Cette alternance entre ludique (on pense par
moments aux films d’animation d’Astérix produits en France à la même période)
et emphase désespérée fait tout l’intérêt de l’ensemble, qui culmine dans un
somptueux final sacrificiel pour Cléopâtre. L’échec du film conduira la société
Mushi à la faillite et il y aura un hiatus de trois ans avant de voir
Belladonna, troisième Animera plus radical avec le seul Yamamoto aux commandes.
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