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dimanche 29 juillet 2018

Cleopatra - Kureopatora, Osamu Tezuka et Eichi Yamamoto (1970)

Trois hommes s'embarquent dans une machine à remonter le temps, jusqu'à l'époque de Cléopâtre et de l'Égypte ancienne. Mais bien loin de l'idée qu'il s'en faisait, ils débarquent dans un monde où les artifices et l'érotisme règnent

Cleopatra  est le deuxième volet de la trilogie Animerama destiné à croiser animation japonaise et érotisme. Ce second film voit Tezuka s’impliquer davantage en coréalisant le film avec Eichi Yamamoto. L’argument SF (trois extraterrestres voyagent dans l’Egypte antique) pouvait laisser craindre un traitement aussi fantaisiste que Les Mille et Une Nuits mais le déroulement du récit se montre d’une grande fidélité à la réalité historique ou du moins à la légende entourant le règne de Cléopâtre. Le film oscille d’ailleurs d’entrée en facétie et mélodrame pour tisser le destin de la reine égyptienne.

La supposée beauté de Cléopatre étant parfois contestée par les historiens, elle devient un élément thématique puisque sa laideur initiale où elle est néanmoins libre devient grâce à un sortilège une magnificence où la souveraine n’est plus qu’un objet sexué servant les desseins politiques des résistant égyptiens contre César. Tout le conflit intérieur du personnage réside ainsi dans cette nature d’objet de pur désir ou de manipulation où la femme qu’elle est ne peut jamais complètement exister - une mélancolie que traduit particulièrement bien un Isao Tomita encore très inspiré avec un score folk arabisant et psyché.

Le spectateur est placé à la fois au cœur du drame et à une certaine hauteur grâce au trois voyageurs temporels qui amènent un parfum d’inéluctable aux évènements mais aussi un humour qui fait mouche. Tout comme dans Les Mille et Une Nuits, le traits arrondi et cartoon de Tezuka domine dans le design des personnages (le malheureux voyageur temporel réincarné en léopard notamment) et les anachronisme et références pleuvent pour alléger l’atmosphère. On pense à ce duel avorté désamorcé par l’incursion de Yojimbo (sous les traits dessiné de Toshiro Mifune bien sûr) regrette que le combat n’ai pas eu lieu. L’assassinat de César revisité façon théâtre kabuki montre aussi que ces relectures n’ont pas que des vertus de comédie.

Comparé aux excès à venir de Beladonna (1973), l’érotisme est plutôt soft mais l’ensemble baigne dans une sensualité trouble qui n’existe paradoxalement que quand les sentiments interviennent. Une étreinte entre César et Cléopâtre durant une scène de bain conjugue ainsi contour et couleur pop avec une texture de papyrus égyptien s’attardant sur les formes rebondies de Cléopâtre. De même le jeu du « bouche à bouche » où Cléopâtre déniaise Antoine fait monter une tension érotique indéniable, mais c’est au détour d’un dialogue (Antoine révélant son affection pour César, premier grand amour de Cléopâtre) que la scène peut prendre toute son ampleur romantique. 

Cette schizophrénie est volontaire en aguichant sur ce que l’on est venu chercher - un film d’animation coquin, l’échec américain u film viendra notamment de cette promesse non tenue –,  ce que doit représenter l’héroïne aux yeux de ses interlocuteurs et ce qu’elle aspire à être et le vrai portrait de femme qu’est en réalité le film. Les expérimentations croisant animations et décors réels des Mille et Une Nuits se poursuivent ici dans les premières scènes futuristes, mais l’on retiendra surtout l’ampleur grandiose et le sens du détail de la reconstitution de l’Egypte antique.

Cette alternance entre ludique (on pense par moments aux films d’animation d’Astérix produits en France à la même période) et emphase désespérée fait tout l’intérêt de l’ensemble, qui culmine dans un somptueux final sacrificiel pour Cléopâtre. L’échec du film conduira la société Mushi à la faillite et il y aura un hiatus de trois ans avant de voir Belladonna, troisième Animera plus radical avec le seul Yamamoto aux commandes.

Sorti en bluray et dvd zone 2 français chez Eurozoom 

jeudi 26 juillet 2018

Daisy Clover - Inside Daisy Clover, Robert Mulligan (1965)


Daisy Clover, du haut de ses quinze ans, rêve de devenir une vedette à Hollywood. Remarquée lors d'une audition par le producteur Raymond Swan, la jeune fille devient très vite une étoile montante. Mais pour mériter sa place, elle doit laisser son passé de côté pour donner à la place à son public une image d'un véritable conte de fées, inventé de toute pièce. Cette fille des quartiers pauvres découvre alors le monde merveilleux du cinéma mais aussi l'envers du décor.

A première vue, Daisy Clover semble s’inscrire dans le courant des grands puddings musicaux et rétro hollywoodiens des années 60 dont l’échec conduira à l’avènement du Nouvel Hollywood. Robert Mulligan perverti pourtant l’emballage clinquant en adaptant le roman de Gavin Lambert paru en 1963. Ce dernier était jusque-là surtout connu pour son travail de scénariste et notamment par le fait de la sensibilité et problématiques gay qu’il y glissait, le roman Inside Daisy Clover étant une manière de montrer frontalement la noirceur de l’envers du décor. Robert Mulligan ajoute à cela sa thématique récurrente de la perte d’innocence et du passage à l’âge adulte.

L’adolescente Daisy Clover (Nathalie Wood) ne se doute pas ainsi de la parenthèse enchantée que constitue sa vie modeste dans une caravane avec sa mère toquée et excentrique (Ruth Gordon). Le contexte de la Grande Dépression appelle ainsi la jeune fille à un ailleurs plus lumineux mais cet environnement lui laisse pourtant encore ce que la célébrité lui refusera toujours : le choix. La scène triviale où un camarade se montre trop entreprenant et qu’elle repousse brutalement annonce la suite du film. Dans le contexte clinquant du monde du spectacle, les assauts sont plus insidieux et tordu avec pour objectif de vous posséder littéralement, au-delà de la seule facette sexuelle. 

Cette possession prend une dimension funeste avec le glacial « prince des ténèbres » Swan (Christopher Plummer) prêt à spolier sa vedette en devenir de son passé, sa famille et son identité pour offrir un joyau vierge à son public. Le visage plus séducteur de la vedette Wade Lewis (Robert Redford) n’en dissimule pas moins un autre prédateur qui apaise ses propres démons – une homosexualité sous-entendue mais qui était explicite dans le roman de Gavin Lambert, atténuée à la demande de Redford – en soumettant les jeunes femmes à son charme.

Robert Mulligan fait de ce monde du spectacle un mausolée (la photo façon musée de cire de Charles lang) fait de gigantesques studios désertiques où se perd la silhouette frêle de Daisy. La célébrité est une chimère qui ne se ressent que par des demandes d’autographes (dont l’aspect factice de bonheur par procuration est annoncé dès le début avec la photo de Myrna Loy) dans les instants les plus sinistres du récit (l’épisode du motel lugubre dans un coin perdu d’Arizona) ou des fondus enchaînés de coupure de journaux. Ce clinquant hollywoodien n’existe que quand il est capturée sur pellicule dans les rares mais brillantes séquences musicales, toujours contrebalancée par un réel sinistre. 

La solitude de l’héroïne se maintient d’ailleurs dans ces numéros musicaux, que ce soit la danse au firmament des étoiles dans le tonitruant You're Gonna Hear from Me où les jeux de miroirs de The Circus is a Wacky World. L’envers du conte de fée se signale dans la continuité de ces maigres moments fastueux, que ce soit la présentation à des spectateurs fantômes ou la crise nerveuse et silencieuse – la bande-son refusant même cette perte de contrôle à l’héroïne, constamment muselée – de Daisy ne pouvant plus masquer son être profond sous les sourires.

 
Nathalie Wood trouve peut-être là son meilleur rôle (s’appuyant certainement sur son vécu d’adolescente vedette et exposée), aussi convaincante dans le registre tourmenté et soumis que celui, indomptable, qui par son seul charisme empêche le film d’être totalement déprimant. Tout est dit dans les dernières minutes avec ce suicide avorté par les circonstances qui conduit à un triomphale reprise en main. 

Sorti en dvd zone 2 français chez Warner

mardi 24 juillet 2018

Les Révoltés de l'an 2000 - ¿Quién puede matar a un niño?, Narciso Ibáñez Serrador (1976)


Un couple de touristes arrive un matin dans la petite île tranquille d’Almanzora. Ils ne tardent pas à découvrir que les enfants de l’île ont assassiné la majorité des adultes. Traqués par des petits meurtriers au regard d’anges, le couple tente désespérément de quitter les lieux.

La figure de l’enfant maléfique est un classique du cinéma fantastique, où  sa nature néfaste peut reposer sur un argument démoniaque (Rosemary’s Baby de Roman Polanski (1968), La Malédiction de Richard Donner (1976)), la possession (L’Exorciste de William Friedkin, Les Innocents de Jack Clayton (1961)) ou encore l’invasion extraterrestre (Le Village des damnés de Wolf Rilla (1960)). Narciso Ibáñez Serrador amène à ce thème une dimension politique et philosophique qu’il mêle au thriller glaçant dans Quién puede matar a un niño?.  L’ouverture glaçante et didactique place l’enfant comme grand sacrifié des dérives des adultes à travers de saisissantes images d’archives du camp de concentration d’Auschwitz, des famines mondiales (Inde, Pakistan, Tchad) ou de conflits armés tels que le Vietnam. La voix off solennelle se conjugue à la crudité de ces visions pour souligner l’injustice d’une violence qui frappe les plus vulnérables et innocents des êtres, les enfants.

Le scénario (pas adapté mais écrit conjointement au roman de Juan José Plans) choisit donc de montrer une forme de revanche des faibles, qui frappe avec la même brutalité et hasard que ceux des adultes. C’est la cruelle expérience que va faire le couple formé par Tom (Lewis Fiander) et Evelyn (Prunella Ransome), touristes coincés sur une petite île dont les enfants ont été gagnés par une folie meurtrière. La première partie faussement touristique fait du couple une forme d’archétype d’indifférence ordinaire au monde qui les entoure à travers l’émerveillement artificiel, la condescendance et l’indignation facile – Evelyne découvrant la tradition de la piñata, s’émeut du bruit de cette ville portuaire comme d’un JT sur les atrocités au Vietnam. 

Tout concourt – y compris les préjugés à travers une référence à La Dolce Vita de Fellini (1960) – caractériser le couple comme de passage et faussement impliqué par les environnements, êtres et évènements qu’ils traversent. L’arrivée sur l’île d’Almanzora, lieu fantôme déserté par la vie après le déchaînement des enfants, les ramène douloureusement à cette violence. Contrairement au roman, le réalisateur ne donne aucune explication à la dérive des enfants même s’il laisse quelques pistes surnaturelles en suspens notamment sur la transmission du mal. 

La dimension de revanche presque métaphysique et abstraite prolonge ainsi l’idée de la séquence d’ouverture, la vacuité des adultes étant soulignée par le couple. Ces derniers ne sont pas des coquilles vides sacrificielles détestables, mais symbolisent l’aveuglement du monde contemporain de ses dérives. Evelyn par sa naïveté représente ceux qui refusent de voir, et Tom se refusent à voir, le déni et le mensonge illustrant leur réaction initiale face aux crimes des enfants. La traduction du titre espagnol, « Qui peut tuer un enfant ? », souligne à la fois la sidération et l’étrangeté de cette dérive sanglante des chérubins. Le réalisateur le traduit de façon variée, inventive et dramatique. 

Ces éclats de violence appellent à cette sidération (avec un habile croisement de hors-champs et d’images crues pour révéler les crimes), mais aussi à son impossible réponse de la part des adultes. Plusieurs scènes montrent les héros en simple spectateurs des exactions des enfants où leur stupéfaction les rend absents ou trop tardifs dans leur intervention – Tom voyant les enfants fuir en riant après l’assassinat de la touriste allemande. Lorsqu’ils seront à leurs tours menacés, la difficulté à rendre la pareille à leurs agresseurs en culotte courte est une manière de traduire la culpabilité de ce monde moderne et adulte face à ce qu’ils leur font subir malgré eux par ailleurs.

Serrador a retenu les leçons du Hitchcock de Les Oiseaux pour traduire sa menace juvénile. Etrange et inquiétant ans leur comportement lorsqu’ils sont isolés, entité unique et menaçante quand ils sont en groupe, les meurtriers n’en perdent pas pour autant leur insouciance enfantine. Tout cela n’est qu’un vaste jeu (le thème principal naïf et inquitant qui rappelle celui de Rosemary's Baby) à grande échelle où toutes les exactions relèvent d’une nature ludique et rieuse, totalement inconsciente. 

C’est toute la différence par exemple avec un film comme Le Village des Damnés ou les éléments visuels et le genre de la SF tend à rendre les enfants explicitement différents. Ce n’est pas le cas ici où même après toutes les horreurs que l’on a vu, la bascule du meurtre d’enfant demeure un véritable choc. L’ambiance lourde et austère en contradiction avec le cadre ensoleillé participe à ce malaise. Le final féroce et cinglant affirme magistralement cette idée de miroir monstrueux et de virus du mal que renvoient ces jeunes criminels aux adultes. Entre L'Esprit de la ruche de Victor Erice (1973) et Cria Cuervos de Carlos Saura (1976), le cinéma espagnol des 70's est en tout cas un formidable miroir de l'enfance torturée.

Sorti en dvd zone 2 français chez Wild Side