Un couple de touristes
arrive un matin dans la petite île tranquille d’Almanzora. Ils ne tardent pas à
découvrir que les enfants de l’île ont assassiné la majorité des adultes.
Traqués par des petits meurtriers au regard d’anges, le couple tente
désespérément de quitter les lieux.
La figure de l’enfant maléfique est un classique du cinéma
fantastique, où sa nature néfaste peut
reposer sur un argument démoniaque (Rosemary’s
Baby de Roman Polanski (1968), La
Malédiction de Richard Donner (1976)), la possession (L’Exorciste de William Friedkin, Les Innocents de Jack Clayton (1961)) ou encore l’invasion
extraterrestre (Le Village des damnés
de Wolf Rilla (1960)). Narciso Ibáñez Serrador amène à ce thème une dimension
politique et philosophique qu’il mêle au thriller glaçant dans Quién puede matar a un niño?. L’ouverture glaçante et didactique place l’enfant
comme grand sacrifié des dérives des adultes à travers de saisissantes images d’archives
du camp de concentration d’Auschwitz, des famines mondiales (Inde, Pakistan,
Tchad) ou de conflits armés tels que le Vietnam. La voix off solennelle se
conjugue à la crudité de ces visions pour souligner l’injustice d’une violence
qui frappe les plus vulnérables et innocents des êtres, les enfants.
Le scénario (pas adapté mais écrit conjointement au roman de
Juan José Plans) choisit donc de montrer une forme de revanche des faibles, qui
frappe avec la même brutalité et hasard que ceux des adultes. C’est la cruelle
expérience que va faire le couple formé par Tom (Lewis Fiander) et Evelyn (Prunella
Ransome), touristes coincés sur une petite île dont les enfants ont été gagnés
par une folie meurtrière. La première partie faussement touristique fait du
couple une forme d’archétype d’indifférence ordinaire au monde qui les entoure
à travers l’émerveillement artificiel, la condescendance et l’indignation
facile – Evelyne découvrant la tradition de la piñata, s’émeut du bruit de cette
ville portuaire comme d’un JT sur les atrocités au Vietnam.
Tout concourt – y compris
les préjugés à travers une référence à La
Dolce Vita de Fellini (1960) – caractériser le couple comme de passage et faussement impliqué par
les environnements, êtres et évènements qu’ils traversent. L’arrivée sur l’île d’Almanzora, lieu fantôme déserté par la
vie après le déchaînement des enfants, les ramène douloureusement à cette
violence. Contrairement au roman, le réalisateur ne donne aucune explication à
la dérive des enfants même s’il laisse quelques pistes surnaturelles en suspens
notamment sur la transmission du mal.
La dimension de revanche presque
métaphysique et abstraite prolonge ainsi l’idée de la séquence d’ouverture, la
vacuité des adultes étant soulignée par le couple. Ces derniers ne sont pas des
coquilles vides sacrificielles détestables, mais symbolisent l’aveuglement du
monde contemporain de ses dérives. Evelyn par sa naïveté représente ceux qui
refusent de voir, et Tom se refusent à voir, le déni et le mensonge illustrant
leur réaction initiale face aux crimes des enfants. La traduction du titre
espagnol, « Qui peut tuer un enfant ? », souligne à la fois la
sidération et l’étrangeté de cette dérive sanglante des chérubins. Le
réalisateur le traduit de façon variée, inventive et dramatique.
Ces éclats de
violence appellent à cette sidération (avec un habile croisement de hors-champs
et d’images crues pour révéler les crimes), mais aussi à son impossible réponse
de la part des adultes. Plusieurs scènes montrent les héros en simple
spectateurs des exactions des enfants où leur stupéfaction les rend absents ou trop
tardifs dans leur intervention – Tom voyant les enfants fuir en riant après l’assassinat
de la touriste allemande. Lorsqu’ils seront à leurs tours menacés, la
difficulté à rendre la pareille à leurs agresseurs en culotte courte est une
manière de traduire la culpabilité de ce monde moderne et adulte face à ce qu’ils
leur font subir malgré eux par ailleurs.
Serrador a retenu les leçons du Hitchcock de Les Oiseaux pour traduire sa menace
juvénile. Etrange et inquiétant ans leur comportement lorsqu’ils sont isolés, entité
unique et menaçante quand ils sont en groupe, les meurtriers n’en perdent pas
pour autant leur insouciance enfantine. Tout cela n’est qu’un vaste jeu (le thème principal naïf et inquitant qui rappelle celui de Rosemary's Baby) à
grande échelle où toutes les exactions relèvent d’une nature ludique et rieuse,
totalement inconsciente.
C’est toute la différence par exemple avec un film
comme Le Village des Damnés ou les éléments visuels et le genre de la SF tend à
rendre les enfants explicitement différents. Ce n’est pas le cas ici où même
après toutes les horreurs que l’on a vu, la bascule du meurtre d’enfant demeure
un véritable choc. L’ambiance lourde et austère en contradiction avec le cadre
ensoleillé participe à ce malaise. Le final féroce et cinglant affirme
magistralement cette idée de miroir monstrueux et de virus du mal que renvoient
ces jeunes criminels aux adultes. Entre L'Esprit de la ruche de Victor Erice (1973) et Cria Cuervos de Carlos Saura (1976), le cinéma espagnol des 70's est en tout cas un formidable miroir de l'enfance torturée.
Sorti en dvd zone 2 français chez Wild Side
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