Deux fous, Satoru et
Tsumuji, décident de grimper sur le mur de l'asile pour voir le monde
extérieur, sans pour autant s'échapper. La jeune Coco, que ses parents viennent
tout juste de faire interner, les suit et décide d'aller voir plus loin. Tous
trois décident ainsi de parcourir le monde, toujours juchés sur un mur.
Il est souvent question pour les personnages de Shunji Iwai
de se reconnecter au monde qui les entoure pour s’épanouir pleinement. La
raison de leur isolement peut être le deuil comme dans Love Letter (1995), l’absence de famille pour Swallowtail Butterfly (1996) ou encore l’obsession amoureuse sur April Story (1998). Le cheminement
consiste donc à combler ses manques affectifs en réintégrant son univers
ambiant, bref en acceptant d’être vivant. Il en va de même dans Picnic,
deuxième réalisation pour le cinéma d’Iwai où les barrières seront plus
difficiles à surmonter car mentales.
La jeune Coco (Chara) est internée dans un asile par ses
parents où elle va se lier d’amitié avec deux autres malades, Tsumuji (Tadanobu
Asano) et Satoru (Koichi Hashizume). Dès l’intro et cette voiture traversant
une rue déserte pour déposer Coco à sa sinistre destination, le monde extérieur
apparait comme « autre » aux personnages. Leurs maux mentaux nous apparaissent
sous forme cauchemardesque, explicite et graphique pour Tsumuji, plus subtile
dans la caractérisation enfantine et égoïste de Coco, et dévoilent ainsi un
passif particulièrement glauque où plane le meurtre ou encore la pédophilie. Le
héros sont autant une menace pour extérieur qu’il ne l’est pour eux, les
traitements brutaux de l’asile étant à la fois une punition et une logique
répressive habituelle dont ils ne ressentent pas le besoin de se défendre
réellement. Malgré quelques situations et personnages extravagants (la doctoresse
poursuivant Tsujumi de ses assiduités), ce n’est clairement pas la description
de l’asile qui intéresse Iwai. Les entraves que s’imposent d’eux même les héros
sont bien suffisantes.
L’extérieur est donc un lieu qu’on observe de loin, ou
plutôt de haut avec cette rambarde de murs où déambulent Coco et ses amis. A la
fois suffisamment proche pour regarder la vie suivre son cours, mais assez loin
pour ne pas avoir à y participer. Leurs instincts morbides leur font même
interpréter le contenu d’une bible que leur a offert un prêtre bienveillant
dont ils ont approché l’église. Leur vision étriquée résume ce vaste monde à
leur personne (Dieu c’est papa et maman...)
et le message religieux dans sa dimension punitive et apocalyptique, la fin du
monde étant la seule issue possible à leur mal-être. La noirceur du fond n’a d’égale
que la beauté de la forme, le point de vu enfantin et torturé des personnages
faisant de cette traversée une odyssée ludique mais vouée à l’échec. La
métaphore du mur signifie donc cet impossible retour à la vie, les voyant
traverser d’amples paysages peuplés comme déserts s’en s’y mêler. Les rares
fois où ils consentent à en descendre, il n’y a qu’horreur (la main trouvée
dans une poubelle) à leur offrir et la cocasse scène où un policier échoue à
les stopper en équilibre explicite ainsi à quel point ils sont « perchés »
et impossible à rattraper, à raccrocher à une possible normalité.
La bande-originale et son leitmotiv de piano constitue un
contrepoint à l’enjouement infantile et maladif des fuyards. Iwai laisse
pourtant entrevoir une possible rédemption par le rapprochement amoureux de
Tsumuji et Coco et l’aveu qu’ils se font de leurs « crimes respectif. Mais
c’est précisément loin de ce monde et ces gens qu’ils fuient, face à la simple
beauté d’un coucher de soleil, que la vacuité de leur existence apparait comme
la plus crue pour eux. Le final est aussi radical que poétique avec une
composition de plan à la fois macabre et angélique. Les chemins sinueux mènent
d’habitude à une incertaine rédemption chez Iwai, ici la
déchéance est inéluctable. Pas le film le plus facile d’accès de son auteur,
mais assurément l’un des plus intéressants.
Sorti en dvd zone 2 anglais et doté de sous-titres anglais