Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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dimanche 30 juin 2019

Picnic - Pikunikku, Shunji Iwai (1996)


Deux fous, Satoru et Tsumuji, décident de grimper sur le mur de l'asile pour voir le monde extérieur, sans pour autant s'échapper. La jeune Coco, que ses parents viennent tout juste de faire interner, les suit et décide d'aller voir plus loin. Tous trois décident ainsi de parcourir le monde, toujours juchés sur un mur.

Il est souvent question pour les personnages de Shunji Iwai de se reconnecter au monde qui les entoure pour s’épanouir pleinement. La raison de leur isolement peut être le deuil comme dans Love Letter (1995), l’absence de famille pour Swallowtail Butterfly (1996) ou encore l’obsession amoureuse sur April Story (1998). Le cheminement consiste donc à combler ses manques affectifs en réintégrant son univers ambiant, bref en acceptant d’être vivant. Il en va de même dans Picnic, deuxième réalisation pour le cinéma d’Iwai où les barrières seront plus difficiles à surmonter car mentales. 

La jeune Coco (Chara) est internée dans un asile par ses parents où elle va se lier d’amitié avec deux autres malades, Tsumuji (Tadanobu Asano) et Satoru (Koichi Hashizume). Dès l’intro et cette voiture traversant une rue déserte pour déposer Coco à sa sinistre destination, le monde extérieur apparait comme « autre » aux personnages. Leurs maux mentaux nous apparaissent sous forme cauchemardesque, explicite et graphique pour Tsumuji, plus subtile dans la caractérisation enfantine et égoïste de Coco, et dévoilent ainsi un passif particulièrement glauque où plane le meurtre ou encore la pédophilie. Le héros sont autant une menace pour extérieur qu’il ne l’est pour eux, les traitements brutaux de l’asile étant à la fois une punition et une logique répressive habituelle dont ils ne ressentent pas le besoin de se défendre réellement. Malgré quelques situations et personnages extravagants (la doctoresse poursuivant Tsujumi de ses assiduités), ce n’est clairement pas la description de l’asile qui intéresse Iwai. Les entraves que s’imposent d’eux même les héros sont bien suffisantes. 

L’extérieur est donc un lieu qu’on observe de loin, ou plutôt de haut avec cette rambarde de murs où déambulent Coco et ses amis. A la fois suffisamment proche pour regarder la vie suivre son cours, mais assez loin pour ne pas avoir à y participer. Leurs instincts morbides leur font même interpréter le contenu d’une bible que leur a offert un prêtre bienveillant dont ils ont approché l’église. Leur vision étriquée résume ce vaste monde à leur personne (Dieu c’est papa et maman...) et le message religieux dans sa dimension punitive et apocalyptique, la fin du monde étant la seule issue possible à leur mal-être. La noirceur du fond n’a d’égale que la beauté de la forme, le point de vu enfantin et torturé des personnages faisant de cette traversée une odyssée ludique mais vouée à l’échec. La métaphore du mur signifie donc cet impossible retour à la vie, les voyant traverser d’amples paysages peuplés comme déserts s’en s’y mêler. Les rares fois où ils consentent à en descendre, il n’y a qu’horreur (la main trouvée dans une poubelle) à leur offrir et la cocasse scène où un policier échoue à les stopper en équilibre explicite ainsi à quel point ils sont « perchés » et impossible à rattraper, à raccrocher à une possible normalité.

La bande-originale et son leitmotiv de piano constitue un contrepoint à l’enjouement infantile et maladif des fuyards. Iwai laisse pourtant entrevoir une possible rédemption par le rapprochement amoureux de Tsumuji et Coco et l’aveu qu’ils se font de leurs « crimes respectif. Mais c’est précisément loin de ce monde et ces gens qu’ils fuient, face à la simple beauté d’un coucher de soleil, que la vacuité de leur existence apparait comme la plus crue pour eux. Le final est aussi radical que poétique avec une composition de plan à la fois macabre et angélique. Les chemins sinueux mènent d’habitude à une incertaine rédemption chez Iwai, ici la déchéance est inéluctable. Pas le film le plus facile d’accès de son auteur, mais assurément l’un des plus intéressants. 

Sorti en dvd zone 2 anglais et doté de sous-titres anglais 

jeudi 27 juin 2019

La Femme De Mon Frère - Monia Chokri (2019)


Montréal. Sophia, jeune et brillante diplômée sans emploi, vit chez son frère Karim. Leur relation fusionnelle est mise à l’épreuve lorsque Karim, séducteur invétéré, tombe éperdument amoureux d’Eloïse, la gynécologue de Sophia…

On connaît surtout Mona Chokri pour les rôles qu’elle tint dans les premiers films de Xavier Dolan comme Les Amours imaginaires ou Laurence Anyways. Avec cette première réalisation elle dévoile une personnalité singulière et attachante. Le film dépeint la relation fusionnelle entre Sophia (Anne-Elisabeth Bossé) et son frère Karim (Patrick Hivon), ce lien constituant une vraie béquille émotionnelle pour la jeune femme. D’humeur inégale flirtant avec la dépression, Sophia fait en effet face au vide de son existence professionnelle (refusée à un poste universitaire après sa thèse) et personnelle, à la rue et célibataire. Karim atténue cette précarité matérielle en l’hébergeant, mais comble également ces maux intimes à travers leur complicité. Mona Chokri fait glisser la dimension dramatique de l’état et des situations rencontrées par Sophia (dont une détonante scène d’avortement) par cette présence précieuse du frère dont les vannes vachardes et les blagues puériles offrent une interaction d’un naturel et d’un dynamisme constant où toutes les fratries se reconnaîtront. Mais lorsque Karim rencontre l’amour avec Eloïse (Evelyne Brochu), c’est tout cet équilibre fragile qui s’effondre. Soudain le frère immature et insouciant trouve l’équilibre, devient un adulte et a désormais l’esprit occupée par une autre que sa sœur.

Mona Chokri dresse un constat à la fois intime et sociétal dans son récit. Le dépit de Sophia repose sur celui bien réel de nombreux jeunes surdiplômés mais pourtant sans ressources, l’égo bafoué et l’attrait pour la réussite superficielle étant démultiplié par notre monde 2.0. Le personnage de Sophia constitue un double de la réalisatrice (notamment dans l’énergie de caractère qu’on lui associe) qui lui attribue les mêmes origines métissées qu’elle-même, de père arabe et de mère québécoise. Un échange vif oppose ainsi l’idéal marxiste de ce père (Sasson Gabai) gentiment gaucho mais finalement satisfait de sa réussite familiale et les attentes ainsi que l’insatisfaction purement matérielles de sa fille. Là où l’accomplissement plus modeste convenait au migrant, il ne convient plus à la génération suivante. Ainsi la blondeur, les traits fins et les qualités idéales (gentille, polyglotte, un job de rêve) de la belle-soeur en puissance en font une incarnation parfaite et inaccessible de la femme qu’elle aspire à être sans y parvenir pour Sophia. Alors certes le récit lance quelques éléments d’amour vaguement incestueux mais c’est vraiment cette facette introspective et sociale qui représente le cœur du sujet. Ce n’est pas un hasard si Sophia entrevoit la lumière en venant à son tour en aide à des migrants souhaitant apprendre la langue et faire leur vie au Québec.

Tous ces éléments se fondent dans une mise en scène pleine d’énergie et d’idées. Cadrages déroutants, zoom agressifs, composition de plan recherchée ou filmage chaotique, tout concours à adopter le regard tourmenté de son héroïne, la drôlerie désabusée alternant avec les abîmes de la dépression. Les dialogues inventifs fusent pour gentiment piquer quand tout va bien ou cruellement blesser quand cela va mal, la photo de Josée Deshaies jouant un rôle aussi crucial que subtil dans les ruptures de ton. On rit énormément, on pleure un peu aussi et on s’accroche de la première à la dernière minute à la bouillonnante prestation d’Anne-Élisabeth Bossé. Une bien belle découverte.

En salle

mardi 25 juin 2019

The Little Girl Who Conquered Time - Toki o Kakeru Shōjo, Nobuhiko Obayashi (1983)


Yoshiyama est une étudiante qui voit sa vie bousculée par d'étranges rêves prémonitoires suite à sa perte de connaissance dans le laboratoire de son lycée. Elle confie alors son secret à son ami Fukamachi…

Nobuhiko Obayashi reste essentiellement connu (du moins pour le cinéphile occidental) pour House (1977), premier film furieux et inventif oscillant entre délire pop expérimental, conte gothique azimuté et troublant coming of age adolescent. Le réalisateur y déployait tout son passif dans le cinéma d’avant-garde dans un tout accessible et délirant à la fois. Par la suite Obayashi mènera une longue et intéressante carrière même si moins saluée que son coup d’éclat initial. Au Japon néanmoins Toki o Kakeru Shōjo est une œuvre au moins aussi populaire que House. Le film est l’adaptation d’un roman de Yasutaka Tsutsui, maître de la science-fiction japonaise et notamment connu pour le magistral Paprika (2007) que Satoshi Kon transposera d’un autre de ses ouvrages. Le film croise habilement la veine expérimentale d’Obayashi avec les thématiques SF autour du réel disloqué de Yasutaka Tsuitsui, les deux se rejoignant dans les questionnements adolescents du récit. 

Kazuko (Tomoyo Harada) est une lycéenne japonaise candide formant un triangle amoureux qui s’ignore entre l’attachant mais balourd Goro (Toshinori Omi) et le sensible Kazuo (Ryōichi Takayanagi). Les premières minutes nous donne quasiment les clés du mystère à venir avec cette scène poétique où Kazuko admire les étoiles en compagnie de Goro avant que Kazuo surgisse pour captiver l’attention de la jeune fille. Un Kazuo charmant de douceur qui s’éclipse pour aller cueillir des fleurs manquant de rater le train de retour d’expédition scolaire. Cette entrée en matière laisse croire que Obayashi n’a pas mis la pédale douce sur l’expérimentation formelle puis qu’en deux séquences on passe du noir et blanc à la couleur, du format 4/3 au 1.85, et que l’artificialité de ce ciel étoilé ainsi que les incrustation bariolée au fenêtre du train vont nous plonger dans un monde aussi délirant que House

Il n’en sera rien, l’ensemble demeure assez sobre et l’étrange ne s’invite que progressivement après que Kazuko ait perdu connaissance en respirant un curieux parfum de lavande en salle de chimie où elle traquait un intrus. Le récit croise alors un quotidien dont la paisibilité s’altère peu à peu pour Kazuko. Des accélérations inattendues ou effets de montages cut viennent zébrer les instants de vie anodins, faisant perdre pied à Kazuko. Ces dérèglements imperceptibles pour son entourage finissent par avoir des conséquences qui vont faire douter l’adolescente de sa raison puisqu’elle semble vivre de façon prémonitoire deux fois les mêmes journées. Obayashi joue à la fois de la répétitivité (les scènes de réveil dans un effet qui annonce le Un Jour sans fin d’Harold Ramis (1993)) et de l’imperceptible avec le comportement volontairement ou pas décalé de Kazuko au fil de sa prise de conscience. 

Elle est constamment prise de cours, qu’elle puisse anticiper ou pas les évènements à son avantage : sauver Goro d’un incident, mieux répondre à l’interro surprise d’un professeur mal négociée initialement. Ce trouble permanent repose sur l’argument fantastique du film, mais aussi sur celui plus sentimental. Le bourru Goro est typique d’un adolescent de son âge dans sa maladresse et son naturel quand à l’inverse Kazuo semble le petit ami idéal, prévenant et attentionné mais semblant pourtant maintenir un certain recul alors qu’on pourrait basculer dans la romance. La réalité déréglée de Kazuko se conjugue ainsi à ce trouble amoureux et occasionne de beaux moments de romance suspendue. Le fait que la gêne de notre héroïne soit moins manifeste lorsque les évènements se rejouent en compagnie de Kazuo est d’ailleurs une forme d’indice… 

Obayashi tourne le film dans sa ville natale, baignant l’ensemble d’une atmosphère nostalgique et provinciale troublante autant due au réel qui échappe à Kazuko que d’éléments plus personnels et intimes pour le réalisateur. En effet, aux évènements anodins qui se rejouent pour Kazuko s’y ajoutent d’autres plus dramatiques autour de la solitude et du deuil à travers ce couple de vieillards seuls au monde ou ayant encore leur petit fils selon les niveaux de réalité. A l’apaisement concret avec un proche bien vivant succède alors un épilogue plus amer et mélancolique où le doux parfum des fleurs et les objets du disparu entretiennent la mémoire. 

C’est une forme d’apprentissage pour Kazuko qui à travers l’aventure dit un peu aussi adieu à son enfance pour devenir une jeune femme, le renoncement à un doux souvenir d’enfance jouant à la fois sur son cheminement intime et l’élément SF de l’histoire. Obayashi parvient à mener de front ces deux facettes qui culminent dans un étourdissant final où Kazuko remonte le temps pour revenir à l’incident initial. Le réalisateur use de photographies qu’il anime en stop-motion pour donner une dimension saccadée et mentale de ce voyage temporel enfin conscient où Kazuko revisite son enfance pour mieux la quitter. 

Les incrustations et quelques éléments animés sont certes un peu kitsch mais distille la même magie que dans House, l’extravagance et l’excentricité cédant à une pure approche émotionnelle ici. La jeune Tomoyo Harada dans son premier rôle au cinéma est absolument remarquable d’innocence et de fragilité, notamment dans l’ultime renoncement final. Obayashi signe là une œuvre culte largement exploitée par la suite, d’abord dans un téléfilm adaptant le roman en 1985, un nouveau film cinéma en 1997 (où Tomoyo Harada est la narratrice) et 2010 et surtout la suite/remake brillantissime (qui égale voire dépasse l’original) qu’est le film d’animation La Traversée du temps (2006) qui mettra la carrière de Mamoru Hosoda sur orbite.

Sorti en bluray japonais et en dvd anglais doté de sous-tires anglais