Le zombie s’est imposé actuellement comme la figure majeure
du fantastique, devant d’autres plus traditionnelles comme le vampire. Cela
tient au fait que le zombie entre en connexion profonde avec les problématiques
sociétales et politiques contemporaines, qu’il s’affirme comme un reflet des
angoisses des sociétés moderne. Manouk Borzakian, géographe de profession,
aborde ainsi le zombie sous cet angle original qui servira une réflexion
passionnante.
L’auteur part d’une base filmique riche (les films de George
Romero, les séries B plus méconnues, les séries à succès comme The Walking Dead) à laquelle il greffera
les thèses d’anthropologues, intellectuels et théoriciens du cinéma pour
développer son propos. La notion d’espace est essentielle dans les fictions
mettant en scène le zombie. Ce dernier est au départ synonyme de mystère,
curiosité et menace lointaine dans son interprétation initiale
rattachée au folklore haïtien vaudou, notamment dans le fondateur et bien nommé Vaudou de Jacques Tourneur (1943). Le
zombie en reste donc une figure exotique que l’on vient scruter dans ces
contrées éloignées avant de retrouver la sécurité de notre civilisation
occidentale. Tout change avec La Nuit des mort-vivants de George Romero (1968),
aboutissement d’une tendance voyant le mal comme interne et contagieux dans le
monde moderne avec des œuvres de SF paranoïaques comme L’Invasion des profanateurs de sépultures de Don Siegel (1956) ou Le Village des damnés de Wolf Rilla
(1960).
Manouk Borzakian explique ainsi comment le zombie bouleverse
la perception géographique et l’inscription dans l’espace de l’individu. La
classique option de l’enfermement et de l’isolation est un reflet de la peur et
du rejet de l’autre qu’incarne le zombie, sa nature contaminatrice (qui
effacerait notre humanité) étant une métaphore d’un protectionnisme racial et
affirmation de la théorie du grand remplacement des milieux d’extrêmes droite
ou de la politique d’un Donald Trump. Ces lieux clos sont des endroits où
survivre plutôt que vivre, où l’on reproduit artificiellement les schémas
sociaux et consumériste d’un monde déchu (Zombie
(1978) et Le Territoire des morts
(2005) de George Romero). Pour George Romero le zombie demeure ainsi une entité
humaine qu’il faut comprendre et avec laquelle on doit composer (Le Jour des morts-vivants (1985) alors
que le climat actuel en fait une entité collective anonyme et monstrueuse destiné à nous submerger dans une
des scènes les plus spectaculaires de World
War Z de Marc Foster (1983).
L’auteur scrute alors les autres voies de survie où le
nomadisme hésite entre la misanthropie, la loi du plus fort ou l’utopie de la
découverte d’un espace plus clément comme moteur pour avancer. Un judicieux
comparatif avec le western montre ainsi les espaces sauvages se restreindre
avec l’avancée de la civilisation et la notion de frontière alors qu’à l’inverse
elle s’estompe avec l’invasion des zombies et le retour à la nature des
environnements urbains. Manouk Borzakian exprime une vraie conscience de gauche
en faisant des films de zombies une métaphore exacerbée de nos modes de pensée
phagocytée par un capitalisme inhumain. L’enjeu dans la fiction zombie comme
dans la réalité sera donc de savoir si l’avenir reposera sur un égoïsme
ordinaire rejetant encore et toujours ce qui est différent, ou si l’on
apprendra à cohabiter avec l’Autre, le zombie qui n’est qu’une autre forme d’humanité.
Vaste réflexion parfaitement menée par Manouk Borzakian dans cet ouvrage
captivant.
Edité chez Playlist Society
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