Haïti, 1962. Un homme
est ramené d'entre les morts pour être envoyé de force dans l'enfer des
plantations de canne à sucre. 55 ans plus tard, au prestigieux pensionnat de la
Légion d'honneur à Paris, une adolescente haïtienne confie à ses nouvelles
amies le secret qui hante sa famille. Elle est loin de se douter que ces
mystères vont persuader l'une d'entre elles, en proie à un chagrin d'amour, à
commettre l'irréparable.
La jeunesse à la fois oppressée et rebelle parcourt les
derniers films de Bertrand Bonello et plus précisément L'Apollonide (2011) et Nocturama
(2016). L’environnement est machiste pour les prostituées de L’Appollonide et le malaise plus
incertain de Nocturama fait écho à
une jeunesse désaxée se tournant vers le terrorisme (même si le réalisateur se
défendit de tout message politique). Zombi
Child creuse le même sillon mais en se tournant vers le fantastique. Deux
temporalités et imaginaire s’entrecroisent au sein du film. D’un côté nous
avons un récit de possession vaudou dans le Haïti des années 60, et de l’autre
une trame contemporaine où une descendante haïtienne intègre le pensionnat de la
légion d’honneur à Paris.
Bonello par un montage habile crée un parallèle entre la
soumission du malheureux envouté forcé de travailler dans des plantations de
cannes à sucre, et tout le rituel codifié du pensionnat, des uniformes aux
emplois du temps en passant par le « salut » collectif que les élèves
adressent à la doyenne en visite. On est fasciné tout en s’interrogeant sur le
croisement d’une imagerie évoquant un Picnic
à Hanging Rock (Peter Weir, 1975) 2.0 et le Vaudou de Jacques Tourneur (1943). L’aspect flottant, lumineux et
hypnotique de l’un s’oppose au dépaysement exotique et oppressant de l’autre.
Le personnage de Mélissa (Wislanda Louimat) la jeune haïtienne constitue le
lien entre les époques, à la fois guide pour nous faire découvrir le monde
contemporain du pensionnat et élément perturbateur en y introduisant les rites
vaudou passé. Bonello capture cette jeunesse mélancolique et enjouée, la
fascination jouant sur un trouble suspendu qu’il sait rendre à la fois ludique
et mystérieux - notamment grâce au charme et à la fraîcheur du casting.
L’aliénation du passé est avant tout sociale avec cet homme
subissant un sortilège vaudou mais qui à force de volonté va rechercher et
retrouver la lumière des vivants. A l’inverse et répondant à la jeunesse sans
repères de Nocturama, l’aliénation
est avant tout mentale dans notre monde moderne où il faut se frotter à l’oubli
(vaudou ici, terroriste et nihiliste dans Nocturama)
avec le personnage de Fanny (Louise Labeque) ado française prête à tout pour
surmonter un chagrin amoureux. Si Bonello convoque tous les clichés et le
grotesque du folklore vaudou (la saisissante apparition finale du Baron
Samedi), c’est pour les détourner dans un contexte inattendu. L’ailleurs
indicible que représente le vaudou s’estompe ainsi, faisant du rituel le simple
outil de cette aliénation qui ne se résume plus à une contrée.
C’est grâce à la
brillante inversion qu’effectue Bonello en désamorçant progressivement les
élans de films d’épouvante qu’on pensait deviner dans le contexte de l’école. La
facette ténébreuse investi et dérègle le présent par cette seule notion d’autodestruction
individualiste représentée par Fanny. Lorsque les entraves sociales que
représente le vaudou dans les scènes haïtiennes s’estompent, le lien au présent
se fait alors fraternel avec une belle scène de confession finale pour Mélissa.
Le tumulte intime n’a pas de frontière, et le vaudou représente à la fois nos
peurs et un fascinant métissage. Bonello réussit un beau numéro d’équilibriste,
souvent envoutant et jamais ridicule dans l’audace.
En salle
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