Mark et Joanna se sont
rencontrés sur les routes du Sud de la France. Lui, un jeune architecte anglais
sans le sou traversant la France sac sur le dos et elle, une jeune américaine
pétillante en vacances dans la région. Les années passent, flirt, euphorie,
mariage, enfant, adultères, divorce… le couple traverse les vicissitudes de la
vie en empruntant tous les deux ans les routes de leur première rencontre.
Entre rires et larmes, les souvenirs se mélangent dans un kaléidoscope de
vignettes douces-amères.
A la fin des années 50 et sentant venir le déclin du système
studio, Stanley Donen fait sa révolution en quittant Hollywood pour s’installer
à Londres. Assez injustement associé au seul genre de la comédie musicale (auquel
il doit ses films les plus célèbres au sein de la MGM, Un jour à New York (1949), Chantons
sous la pluie (1952) ou encore Drôle
de frimousse (1957)), Donen se réinvente avec une série de films imprégné
d’une sensibilité plus européenne, qu’il s’agisse de revisiter le suspense
Hitchcockien dans Charade (1963) ou
de s’approprier l’esthétique pop et l’atmosphère Swinging London dans le
survolté Fantasmes (1967). Voyage à deux est la plus grande
réussite de cette période, Donen renouvelant la comédie romantique par un
croisement d’influence où l’on retrouve le désenchantement du Rossellini de Voyage en Italie (1954), les
expérimentations narratives d’un Alain Resnais et les trouvailles formelles de
la Nouvelle Vague.
Voyage à deux
entremêle les expériences de couple à la fois tumultueuses de Stanley Donen
(marié pas moins de cinq fois) et celle plus apaisé de son scénariste Frederic
Raphael (qui coule des jours heureux avec son épouse et leurs trois enfants)
qui lui soumet l’idée du film. Durant son séjour en Angleterre, Donen avait
pris l’habitude de prendre ses vacances en France et après le Paris de Charade, place aux routes provinciales du sud de la
France où voyagera le couple à différentes étapes de sa relation. La structure complexe
du film entremêle ainsi différentes temporalités où il s’agira d’explorer, de
la passion à la plénitude des débuts de la relation aux tensions et à la rancœur
de l’usure, toutes les étapes de la vie conjugale des personnages.
Stanley
Donen est d’une inventivité constante pour offrir un effet miroir qui oppose
les tours à tour amoureux et ennemis Mark (Albert Finney remplaçant Paul Newman
qui a refusé le rôle) et Joanna Wallace (Audrey Hepburn). Cela passe par la
caractérisation notamment, où les charmants défauts des débuts deviennent les
insupportables tares du futur telle la goujaterie maladroite de Mark et son
égoïsme d’homme enfant. C’est un défi pour l’amoureuse transie puis un fardeau
pour l’épouse lasse Joanna qui est également pétrie de contradictions, insatisfaite
dans le dénuement initial et délaissée lors d’une réussite matérielle qui
accapare Mark devenu un architecte renommé.
Donen joue également de l’ironie dans la répétitivité des
situations. Alors jeunes amoureux fougueux, Joanna et Mark observe le tête à
tête muets de couple mariés forcément devenus étrangers à cause de l’institution
tandis que leurs propre silences servent les regards énamourés où les mots
sont inutiles. Pourtant ces silences de plombs nourrissent bel et bien le quotidien
sous tension qui les attend. Les effets de montage servent ces contradictions
dans le mouvement en jouant du passage sur les mêmes lieux au fil des années, les
époques se répondant avec le couple se croisant lui-même dans de brillantes
transitions jouant sur le cadre, la météo où les véhicules utilisés.
Au
romantisme le plus délicat et suranné peut succéder brutalement un cynisme
cinglant telle cette portion de plage devant rester le cocon des amoureux
juvéniles qui est souillée par les travaux du premier grand chantier de Mark.
La défiance des époux va avec un embourgeoisement et un ancrage plus
traditionnel marqué par la naissance d’un enfant. Les problèmes se devinent dès
le départ avec cette fougue amoureuse qui rapproche si vite nos héros tout en
marquant leurs différences : Mark hostile au mariage et à la vie de famille
y cède pour ne pas perdre Joanna, la magie de cet abandon de certitudes
nourrissant la défiance mutuelle à venir.
Visuellement les véhicules jouent
leur rôle aussi, l’insouciance de l’auto-stop ou les avaries des voitures binquebalantes créant une complicité qui s’estompe lorsque le couple trace les routes
de campagnes dans le dernier coupé sport en échangeant des paroles aigres. Dans
cette même idée les auberges de fortunes ou les villégiatures encore hors de
prix sont synonymes de rapprochement (merveilleux moment où Finney fait passer
en douce un repas frugal pour éviter les menus exorbitant de l’hôtel) tandis
que les villas et palaces luxueux marquent le fossé du couple avec là aussi de
constantes idées formelles pour jouer sur les époques.
Tout cela s’incarne en
fait surtout dans la sophistication croissante du look d’Audrey Hepburn. Au
départ elle retrouve l’image de jeune fille candide qui caractérise ses plus
grands rôles avant d’arborer une allure plus recherchée, entre le glamour
classique des années 50 qu’elle incarne en tant qu’égérie Givenchy et le saut
de plain-pied dans la modernité plus tapageuse des tenues conçues par Paco
Rabanne ou Mary Quant – sans parler de l'inventivité constante de
ses coiffures.
La romance béate succède au drame sourd et à la comédie
noire dans un ensemble virevoltant où le couple ne cesse pourtant de s’aimer
tout en se déchirant, porté par le superbe score d'Henry Mancini. La leçon serait d’être capable de maintenir la passion
malgré les soubresauts inéluctables de la vie, la fantaisie et la complicité
semblant être les plus beaux facteurs de poursuite d’une relation épanouie. Ce
n’est donc pas une grande déclaration qui fera craquer une énième fois Joanna
pour son homme, mais plutôt de le voir se ridiculiser et de
lui glisser ce fichu passeport une fois de plus, comme au premier jour.
Sorti en dvd zone 2 français chez Carlotta