Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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mardi 28 février 2017

Voyage à deux - Two for the road, Stanley Donen (1967)


Mark et Joanna se sont rencontrés sur les routes du Sud de la France. Lui, un jeune architecte anglais sans le sou traversant la France sac sur le dos et elle, une jeune américaine pétillante en vacances dans la région. Les années passent, flirt, euphorie, mariage, enfant, adultères, divorce… le couple traverse les vicissitudes de la vie en empruntant tous les deux ans les routes de leur première rencontre. Entre rires et larmes, les souvenirs se mélangent dans un kaléidoscope de vignettes douces-amères.

A la fin des années 50 et sentant venir le déclin du système studio, Stanley Donen fait sa révolution en quittant Hollywood pour s’installer à Londres. Assez injustement associé au seul genre de la comédie musicale (auquel il doit ses films les plus célèbres au sein de la MGM, Un jour à New York (1949), Chantons sous la pluie (1952) ou encore Drôle de frimousse (1957)), Donen se réinvente avec une série de films imprégné d’une sensibilité plus européenne, qu’il s’agisse de revisiter le suspense Hitchcockien dans Charade (1963) ou de s’approprier l’esthétique pop et l’atmosphère Swinging London dans le survolté Fantasmes (1967). Voyage à deux est la plus grande réussite de cette période, Donen renouvelant la comédie romantique par un croisement d’influence où l’on retrouve le désenchantement du Rossellini de Voyage en Italie (1954), les expérimentations narratives d’un Alain Resnais et les trouvailles formelles de la Nouvelle Vague.

Voyage à deux entremêle les expériences de couple à la fois tumultueuses de Stanley Donen (marié pas moins de cinq fois) et celle plus apaisé de son scénariste Frederic Raphael (qui coule des jours heureux avec son épouse et leurs trois enfants) qui lui soumet l’idée du film. Durant son séjour en Angleterre, Donen avait pris l’habitude de prendre ses vacances en France et après le Paris de Charade,  place aux routes provinciales du sud de la France où voyagera le couple à différentes étapes de sa relation. La structure complexe du film entremêle ainsi différentes temporalités où il s’agira d’explorer, de la passion à la plénitude des débuts de la relation aux tensions et à la rancœur de l’usure, toutes les étapes de la vie conjugale des personnages. 

Stanley Donen est d’une inventivité constante pour offrir un effet miroir qui oppose les tours à tour amoureux et ennemis Mark (Albert Finney remplaçant Paul Newman qui a refusé le rôle) et Joanna Wallace (Audrey Hepburn). Cela passe par la caractérisation notamment, où les charmants défauts des débuts deviennent les insupportables tares du futur telle la goujaterie maladroite de Mark et son égoïsme d’homme enfant. C’est un défi pour l’amoureuse transie puis un fardeau pour l’épouse lasse Joanna qui est également pétrie de contradictions, insatisfaite dans le dénuement initial et délaissée lors d’une réussite matérielle qui accapare Mark devenu un architecte renommé.

Donen joue également de l’ironie dans la répétitivité des situations. Alors jeunes amoureux fougueux, Joanna et Mark observe le tête à tête muets de couple mariés forcément devenus étrangers à cause de l’institution tandis que leurs propre silences servent les regards énamourés où les mots sont inutiles. Pourtant ces silences de plombs nourrissent bel et bien le quotidien sous tension qui les attend. Les effets de montage servent ces contradictions dans le mouvement en jouant du passage sur les mêmes lieux au fil des années, les époques se répondant avec le couple se croisant lui-même dans de brillantes transitions jouant sur le cadre, la météo où les véhicules utilisés. 

Au romantisme le plus délicat et suranné peut succéder brutalement un cynisme cinglant telle cette portion de plage devant rester le cocon des amoureux juvéniles qui est souillée par les travaux du premier grand chantier de Mark. La défiance des époux va avec un embourgeoisement et un ancrage plus traditionnel marqué par la naissance d’un enfant. Les problèmes se devinent dès le départ avec cette fougue amoureuse qui rapproche si vite nos héros tout en marquant leurs différences : Mark hostile au mariage et à la vie de famille y cède pour ne pas perdre Joanna, la magie de cet abandon de certitudes nourrissant la défiance mutuelle à venir. 

Visuellement les véhicules jouent leur rôle aussi, l’insouciance de l’auto-stop ou les avaries des voitures binquebalantes créant une complicité qui s’estompe lorsque le couple trace les routes de campagnes dans le dernier coupé sport en échangeant des paroles aigres. Dans cette même idée les auberges de fortunes ou les villégiatures encore hors de prix sont synonymes de rapprochement (merveilleux moment où Finney fait passer en douce un repas frugal pour éviter les menus exorbitant de l’hôtel) tandis que les villas et palaces luxueux marquent le fossé du couple avec là aussi de constantes idées formelles pour jouer sur les époques. 

Tout cela s’incarne en fait surtout dans la sophistication croissante du look d’Audrey Hepburn. Au départ elle retrouve l’image de jeune fille candide qui caractérise ses plus grands rôles avant d’arborer une allure plus recherchée, entre le glamour classique des années 50 qu’elle incarne en tant qu’égérie Givenchy et le saut de plain-pied dans la modernité plus tapageuse des tenues conçues par Paco Rabanne ou Mary Quant – sans parler de l'inventivité constante de ses coiffures.

La romance béate succède au drame sourd et à la comédie noire dans un ensemble virevoltant où le couple ne cesse pourtant de s’aimer tout en se déchirant, porté par le superbe score d'Henry Mancini. La leçon serait d’être capable de maintenir la passion malgré les soubresauts inéluctables de la vie, la fantaisie et la complicité semblant être les plus beaux facteurs de poursuite d’une relation épanouie. Ce n’est donc pas une grande déclaration qui fera craquer une énième fois Joanna pour son homme, mais plutôt de le voir se ridiculiser et de lui glisser ce fichu passeport une fois de plus, comme au premier jour. 

Sorti en dvd zone 2 français chez Carlotta

 

dimanche 26 février 2017

Un nommé Joe - A guy named Joe, Victor Fleming (1943)

Dans une unité de bombardement en Angleterre, un pilote américain (Spencer Tracy) se signale par son audace, ses imprudences, son indiscipline. Mais c'est un as, qui réussit tout ce qu'il entreprend. Il voue une tendre passion à une convoyeuse de l'aviation américaine, avec toute la désinvolture du héros machiste. Mais la tendre aviatrice (Irene Dunne) en profite pour lui chantonner toute la tendresse de son amour. Ses chefs, pour l'assagir, veulent l'envoyer aux États-Unis, faire l'instructeur pour de jeunes pilotes. Sa bien-aimée insiste aussi. Il accepte. Mais il reste une dernière mission à accomplir, pour ce bouillant pilote de B-25 : attaquer dans l'Atlantique un porte-avions allemand. L'héroïque Joe attaque à lui tout seul le porte-avions, le coule, mais est tué par des chasseurs allemands.

A Guy Named Joe s'inscrit dans les productions Hollywoodienne destinées à contribuer à l'effort de guerre attendue par l'Office of War Information. Dans le lot on distingue les films guerre plus ouvertement spectaculaires, patriotiques et belliqueux d'où pouvaient néanmoins émerger de grands films (Aventures en Birmanie (1945) de Raoul Walsh) et destiné à réconforter les familles restées au pays (Madame Miniver (1942) de William Wyler ou le beau homefront Depuis ton départ (1944) de John Cromwell). A Guy Named Joe joue sur les deux tableaux, visuellement impressionnant et célébrant l'héroïsme des pilotes tout en nous offrant une poignante histoire d'amour. Cet équilibre est dû à la présence de Dalton Trumbo au scénario, l'auteur du roman pacifiste Johnny s'en va-t’en guerre (paru en 1939) et militant communiste actif étant une surprise sur un tel projet.

Le film oscille ainsi entre la célébration du héros macho chers à Victor Fleming et son interprète Spencer Tracy incarnant ici l'intrépide Pete Sandidge et une certaine sensibilité. La désinvolture et l'individualisme de Sandidge s'expriment autant aux commandes de son B-25 qu'aux bras de la volcanique Dorinda (Irene Dunne), pilote également. Le charisme tranquille du personnage se dévoile ainsi par le jeu de Spencer Tracy et son panache en situation, avec une introduction spectaculaire le voyant atterrir parfaitement après son escadrille dans une carlingue en lambeaux. Il en va de même dans la relation tendre et orageuse qu'il entretient avec Dorinda où les mots doux et caresses alternent constamment avec les coups de griffes. On sent alors la plume de Trumbo montrer l'envers de ces airs débonnaires chez Pete qui alimente un certain égocentrisme et machisme (il ne supporte pas notamment de voir Dorinda piloter). Alors que l'armure semble possiblement se fendre, Pete meurt en mission dans un acte justement marqué entre ce narcissisme et héroïsme qui le caractérise (il renonce à un sauvetage possible pour se sacrifier et détruire un porte-avion allemand). Le paradis des pilotes lui ouvre ses portes tandis que Dorinda reste inconsolable.

Le film évite le patriotisme trop marqué pour plutôt mettre en valeur la fraternité de cette communauté de pilote. Cela se jouera d'abord avec la roublardise des vieux briscards que sont Pete et son ami Al (Ward Bond), cette fraternité "céleste" des pilotes aidant leurs successeurs par un retour aux sources auprès des bleus en apprentissage. C'est une belle idée qui donne du coup une vision très originale du paradis (et qui aurait pu l'être davantage, Trumbo envisageant un au-delà où se côtoierai pilotes américains, russes et chinois mais la production imposera d'américaniser tout cela) où les disparus guident les pas des nouveaux héros en devenir. Pete sert ainsi d'ange gardien à Ted (Van Johnson) jeune pilote qui va aussi lui succéder dans le cœur de Dorinda. On retrouve le même équilibre entre morceaux de bravoures et intimisme, à la différence que Ted par sa douceur et vulnérabilité est tout ce que Pete n'était pas. Les scènes aériennes entre stock shots fournis par la US Air Force et un usage virtuose de maquettes dans les studios MGM sont vraiment très impressionnantes mais malgré tout l'apprentissage n'est pas là où on le pense.

L'amour de Pete s'exprime finalement dans ce machisme, cette nature possessive dont il ne peut se détacher même en tant qu'ange gardien et empêche Dorinda de se libérer. Ce qu'il n'avait pu réaliser vivant, il devra le résoudre en tant que fantôme dans une belle évolution que Spencer Tracy exprime avec sensibilité et nuances. Preuve de cette mue le magnifique final où l'acte le plus héroïque sera particulièrement inattendu. Victor Fleming aussi à l'aise dans la féérie (Le Magicien d'Oz évidemment) que l'action plus terre à terre évite ainsi l'imagerie céleste trop surannée souvent présente dans le cinéma hollywoodien. Le paradis des pilotes reste ainsi d’une belle retenue tandis que les fondus enchaînés, les transitions fluides et des effets visuels sobres font le lien brillamment entre l'au-delà et le monde réel.

En coulisse le tournage fut assez houleux, Victor Fleming et Spencer Tracy menant la vie dure à Irene Dunne. Spencer Tracy avait suggéré sa maîtresse Katharine Hepburn mais la MGM optera pour Irene Dunne ce qui nécessitera donc quelques tensions. En cours de tournage Van Johnson sera victime d'un grave accident de moto et alors que le studio envisage le remplacer, Spencer Tracy et Victor Fleming menacent de quitter le projet si l'on ne l'attend pas le temps de ses quatre mois de convalescence (les plus observateurs distingueront les scènes tournées avant et après l'accident avec la cicatrice visible sur le front de Van Johnson).

En échange la MGM exige donc un comportement plus courtois envers Irene Dunne et l'interruption servira à retourner les premières scènes glaciales entre Tracy et Dunne qui témoignaient de cette hostilité commune. Une belle réussite et un sommet de romantisme qui remportera un grand succès à sa sortie. Un certain Steven Spielberg le découvrira enfant et en donnera plus tard un remake avec ce qui reste malheureusement un de ses films les plus faibles, Always (1989).

Sorti en dvd zone 2 français chez Warner 

jeudi 23 février 2017

Un été en Louisiane - The Man in the Moon, Robert Mulligan (1991)

L'histoire se déroule dans la Louisiane rurale, l'été de l'année 1957. Dani est une adolescente de 14 ans. Sa sœur aînée, Maureen, est belle, intelligente ; sa mère attend son quatrième enfant. Un rayon de soleil survient dans sa vie quand le jeune Court Foster, âgé de 17 ans, sa mère veuve, et ses petits frères viennent s'installer dans la ferme voisine, jusque-là restée à l'abandon. Dani commence à tomber amoureuse de Court, mais ce n'est pas réciproque car en vérité, Court est amoureux de Maureen.

The Man in the Moon conclut magnifiquement la belle filmographie de Robert Mulligan et constitue une belle synthèse des thèmes qui courent dans ses œuvres les plus fameuses. Le cadre sudiste et la période de l'été se prête ainsi souvent chez Mulligan à des récits sur l'enfance, l'adolescence et une perte d'innocence où l'on découvre la face cruelle du monde des adultes (le sud ségrégationniste de Du silence et des ombres (1962)), sa propre part d'ombre (les jumeaux tourmentés de L'Autre (1972)) et l'ivresse des premiers émois amoureux et charnels dans Un été 42 (1971). On retrouve donc tous ces éléments et cette veine nostalgique dans Un été un Louisiane, coming of age où l'on suit la jeune Dani (Reese Witherspoon) dans la Louisane rurale de 1957.

C'est dans la véranda de la maison familiale que s'ouvre le film, la langueur de cette chaude soirée révélant la complicité et les différences entre la cadette de 14 ans Dani et son aînée Maureen (Emily Warfield). La candeur et l'espièglerie de Dani nonchalamment allongée dans une pose toute enfantine, s'oppose ainsi aux doutes de Maureen s'apprêtant à entrer à la fac et dont la féminité affirmée se révèle alors qu'elle se déshabille. La nature de garçon manqué de Dani et son corps encore longiligne d'enfant face à la sensualité retenue et les formes de sa sœur participe à cette caractérisation que Robert Mulligan définit dans cet environnement rural. Ce campagne et province reste un terrain de jeu pour Dani quand Maureen à l'inverse y ressent l'oppression du désir pressant des hommes, de l'adulte libidineux à son petit ami en rut.

La trajectoire s'inverse étonnamment lorsque Dani témoigne avec une touchante maladresse lors de ses premiers émois amoureux envers Court (Jason London), le fils plus agé des voisins quand Maureen se ferme justement à cet attrait charnel car en quête d'une vraie romance. Une nouvelle fois Mulligan l'exprime par l'image, érotisant étonnamment Dani qui court se baigner nue et fera sous cette forme la rencontre de Court. Reese Witherspoon dans son premier rôle est merveilleuse pour exprimer toutes ces nuances, un simple chewing-gum craché ou mâché avec détachement situant cette frontière ténue entre l'enfance et la féminité adulte. La bascule de l'une à l'autre se fait d'ailleurs en situation, un chahut innocent durant une baignade devenant soudain un moment de proximité trouble entre Court et Dani.

Cette confusion se traduit également par le rapport changeant au parent. Le père (Sam Waterston) se dote d'une présence autoritaire mais compréhensive pour l'aînée Maureen (amusante scène où il malmène son petit ami avant le bal) alors qu'il ne semble n'exister que pour imposer des règles à sa cadette Dani. Sam Waterston tout en nuances impose une figure paternelle "à l'ancienne", aussi rassurante dans sa virilité qu'empruntée dans l'expression de ses sentiments. Cela donnera lieux à deux élans aussi brusques que différents et qui expriment le cheminement du personnage, révélant son désarroi par la violence puis par une vraie tendresse maladroite.

Le temps de l'été est celui des espoirs et désillusions à travers les destinées des deux sœurs, le dépit amoureux de l'une accompagnant cruellement les premières étreintes de l'autre. Tout cela participe à un même ordre des choses, les fougères masquant la course effrénée et les yeux embuées de Dani rejetée dissimulant également les corps nus de Maureen et Court. Robert Mulligan filme avec autant de sensibilité l'attente contrariée de Dani pour un simple baiser que la révélation amoureuse de Maureen dans une scène magnifique où le rapprochement se fait en deux temps.

La proximité sera coupable et douloureuse ou apaisée et sensuelle selon le couple. Le gros plan ne sert que la gêne, le malaise et le dépit entre Dani et Court et les plans d'ensemble le fossé (d'âge et de sentiment) qui les sépare. Ce même gros plan capture le désir et l'attente pour Court et Maureen et les plans larges la plénitude de leur relation avec cette magnifique balade nocturne près du lac. Le drame final signe la rupture puis la réconciliation des deux sœurs qui cette fois s'ouvriront ensemble à une même situation douloureuse pour mieux grandir. L'épilogue dans la véranda rejoue l'ouverture mais avec une part de cette innocence initiale effacée par les épreuves mais un beau plan final montre que certaines choses ne changent, comme ce "Man in the Moon" qui veille toujours sur elles.

Sorti en dvd zone 2 français chez MGM 

mercredi 22 février 2017

Departures - Okuribito, Yōjirō Takita (2008)

Dans une province rurale du nord du Japon, à Yamagata, où Daigo Kobayashi retourne avec son épouse, après l'éclatement de l'orchestre dans lequel il jouait depuis des années à Tokyo. Daigo répond à une annonce pour un emploi "d'aide aux départs", imaginant avoir affaire à une agence de voyages. L'ancien violoncelliste s'aperçoit qu'il s'agit en réalité d'une entreprise de pompes funèbres, mais accepte l'emploi par nécessité financière. Plongé dans ce monde peu connu, il va découvrir les rites funéraires, tout en cachant à sa femme sa nouvelle activité, en grande partie taboue au Japon.

Au premier abord Departures semble une nouvelle variation du cinéma japonais sur le thème du furusato (pays natal en japonais), ce courant de film traitant de citadins oppressés par la vie urbaine et se reconstruisant par un retour à la nature et leur origine rurale. Le film tout en ayant un postulat de ce type bien plus à proposer en nous faisant découvrir le monde des rites funéraires japonais. Le film s'inspire du roman Nōkanfu Nikki/ Coffinman: The Journal of a Buddhist Mortician de Aoki Shinmon mais doit surtout à la volonté de son acteur principal Masahiro Motoki. Témoin d'un rituel de mise en bière durant un voyage en Inde, Motoki éprouve une fascination pour le sujet et sollicite le producteur Toshiaki Nakazawa (avec lequel il avait collaboré pour le Gemini (1999) de Shinya Tsukamoto afin de produire un film qui en traite. Le défi était d'autant plus grand que la cérémonie mortuaire est un sujet tabou et pudique au Japon.

Lorsque le jeune violoncelliste Daigo (Masahiro Motoki) voit son orchestre dissous, c'est la déception de trop après des années d'effort et il décide de retourner vivre dans la maison de sa mère, dans la région dans le département de Yamagata. En quête d'emploi, une annonce nébuleuse l'amène à postuler malgré lui dans une entreprise de pompes funèbres. Le facétieux patron (Tsutomu Yamazaki) l'engage en dépit de son inexpérience. Nous découvrons donc ce monde à travers le regard de ce héros novice, et la singularité de ces rites se conjugue à un regard finalement assez universel sur notre regard face à la mort. Le scénario se montre didactique tout en faisant preuve d'humour avec un Daigo "figurant" d'une démonstration filmée de mise en bière puis quelque peu dégouté par un premier contact avec un cadavre décrépi. La distance ou le contact cru à la mort s'exprime par ces deux scènes et c'est lorsque le rituel se dévoilera en son entier que se comprendra la démarche du film. La première cérémonie voit donc Daigo et son patron exposé au corps d'une mère de famille défunte dont les traits marqués semblent dû à une longue maladie.

Le regard à la photo de la disparue précédent le rite traduit sans un mot l'empathie et la volonté de lui faire honneur avant que la méticulosité des gestes, du soin du lavement, de la posture respectueuse et du maquillage délicat redonnant vie à ses traits l'expriment par le geste. L'émotion du veuf au départ hostile montre ainsi le mort sous le jour le plus lumineux avant les adieux et un possible voyage dans l'au-delà. Le schéma se répétera avec une problématique toujours différente (dont celle inattendue où le sexe du disparu n'est pas ce qu'il parait être) où à chaque fois la bienveillance et le soin des employés atténuent la douleur et les rapports conflictuels au disparu. L'erreur de formulation du nom de l'entreprise contenue dans l'annonce qui évoquait une "aide au départ" prend donc tout son sens dans la poignante illustration de cette ultime séparation.

La dissimulation de son nouveau métier de Daigo à son épouse Mika (Ryōko Hirosue) puis son dégout quand elle l'apprendra ainsi que l'hostilité de son entourage témoigne de la dimension taboue de la mort au Japon. Le métier de violoncelliste originel de Daigo permet d'introduire sa gestuelle délicate qui son prolongera de son instrument aux mort et également de l'entourer du voile du souvenir. Daigo ravivent les souvenirs des endeuillés en redonnant vie et dignité aux traits des disparus, tandis que ce retour dans sa région et maison natale le ramène également à son passé.

Les vues majestueuse de cette campagne du département de Yamagata, les réminiscences formelles associées à la maison d'enfance (ce panoramique nous faisant passer de l'âge adulte à l'enfance de Daigo) ainsi que la nostalgie apaisée qu'évoque le violoncelle forment un tout participant à la reconstruction de notre héros. Seul élément manquant, le visage de ce père qui l'a abandonné et que la rancœur empêche de reconstituer les contours. Daigo devra donc littéralement suivre le même cheminement que tous ceux qu'il a tant aidé. Le très touchant épilogue fait totalement oublier la relative facilité du rebondissement final par l'émotion sincère qu'il véhicule. En paix avec lui-même et serein dans son rapport aux autres, Daigo peut désormais suivre sa voie. Un bien beau film récompensé de l'Oscar du meilleur film étranger en 2009.

Sorti en dvd zone 2 français chez Metropolitan 

mardi 21 février 2017

L'Aveu - Summer Storm, Douglas Sirk (1944)

En 1919, le comte Volsky, un vieux noble russe aujourd'hui désargenté, vient porter à la maison d'édition dirigée par Nadena Kalenin, qui a pris la succession de son père, un manuscrit en échange de quelques roubles. Cette dernière, ayant connu autrefois Volsky et malgré la répugnance que lui inspire le personnage, accepte de le lui prendre. Restée seule, elle hésite à le feuilleter. Mais le nom de Fedor Petroff, ancien juge d'instruction de province, qui semble être l'auteur du texte, attire son attention. En effet, sept ans auparavant, elle devait l'épouser. Peu à peu, au fil des pages, elle découvre l'horrible vérité sur la vie de son ancien fiancé...

L’Aveu est le second film hollywoodien de Douglas Sirk mais constitue un vrai projet personnel puisque le réalisateur envisageait déjà en Allemagne cette adaptation d’un roman d’Anton Tchekhov. C’est une période d’assimilation au système hollywoodien pour Sirk qui le conduira à la grande période des mélodrames Universal des années 50. En attendant, il se démène dans des productions moins nanties et/ou constituant de délicieuses curiosités en regard de son œuvre à venir comme l’excellent Scandale à Paris (1946). L’Aveu par son sujet et le traitement qu’en fait Sirk l’éloigne de l’imagerie des mélos technicolor flamboyants auxquels on l’associe, tout en s’inscrivant dans une veine plus intimiste souvent en noir et blanc d’œuvres poignantes et sobres comme All I desire (1953) ou Demain est un autre jour (1956) - l’équilibre entre grand élans romanesques et tonalité feutrée se trouvant dans Tout ce que le ciel permet (1955) et La Ronde de l’aube (1958).

Dans la Russie désormais communiste de 1919, le manuscrit de Fedor Petroff (George Sanders) se retrouve entre les mains de son ancienne fiancée et nous replonge dans un drame vieux de sept ans. Fedor alors juge d’instruction de province, tombe sous le charme de la vénéneuse et ambitieuse paysanne Olga (Linda Darnell). Les inégalités de cette Russie encore tsariste se révèlent sous diverses formes. La frivolité et la désinvolture des nantis envers les démunis s’incarnent à travers le comte Volsky (Edward Everett Horton) où de la femme de chambre à trousser au contremaître moqué Urbenin (Hugo Haas), les pauvres ne sont que sources de soumission et d’amusement. 

Cette cruauté culmine lors de la scène de mariage d’Urbenin et Olga qu’accueille dans une fausse magnanimité Volsky, le vrai but étant de s’amuser de la promiscuité entre ses amis nobles et la plèbe. Cela crée dès lors des comportements tout aussi extrême chez les pauvres, la détermination d’Olga d’échapper à sa condition étant sans failles. Si cette lutte à tout prix contre le dénuement est au cœur de l’œuvre de Tchekhov, elle rejoint aussi les thèmes de Douglas Sirk puisqu’Olga préfigure en plus néfaste l’héroïne noire de Mirage de la vie (1959). Seul Fedor semble doté d’un vrai sens moral mais c’est le désir fiévreux d’Olga qui le perdra jusqu’à une trahison et sordide acte passionnel.

Formellement nous sommes loin du lyrisme que déploiera par la suite Sirk. Cela est certes une question de moyens mais pas que. Le rythme et l’atmosphère renvoient à une production européenne plus qu’hollywoodienne dans le décorum austère et même lors des étreintes entre Fedor et Olga, tout érotisme et sensualité étant réduits à leur plus simple expression – une comble avec la présence d’une Linda Darnell. C’est comme si la noirceur d’âme des personnages empêchaient toute imagerie éclatante même pour nourrir le drame. 

L’équipe du film en grande partie composée de migrants germaniques est pour beaucoup dans ce ton singulier : Seymour Nebenzal producteur européen emblématique (M le maudit (1931) de Fritz Lang, Loulou (1929) et L’Atlantide (1932) de Pabst…) installé aux Etats-Unis ou encore le directeur photo Eugen Schüfftan (des petites choses comme Les Nibelungen (1924), Metropolis (1927) ou Quai des brumes (1938) au C.V.). Le scénario de Douglas Sirk avec l’ajout d’un prologue et épilogue dans la Russie bolchévique dessine à la fois des avancées (la fiancée accédant à un haut poste d’éditrice) et un point de non-retour chargé de noirceur dans ce monde changeant, appuyant la lâcheté de ces privilégiés déchus. 

Sorti en dvd zone 2 français chez Sidonis