Une soucoupe volante
atterrit en pleine nuit près de Los Angeles. Quelques extraterrestres, envoyés
sur Terre en mission d'exploration botanique, sortent de l'engin, mais un des
leurs s'aventure au-delà de la clairière où se trouve la navette. Celui-ci se dirige
alors vers la ville. C'est sa première découverte de la civilisation humaine.
Bientôt traquée par des militaires et abandonnée par les siens, cette petite
créature apeurée se nommant E.T. se réfugie dans une résidence de banlieue.
Elliot, un garçon de dix ans, le découvre et lui construit un abri dans son
armoire. Rapprochés par un échange télépathique, les deux êtres ne tardent pas
à devenir amis. Aidé par sa sœur Gertie et son frère aîné Michael, Elliot va
alors tenter de garder la présence d'E.T. secrète.
En ce début des années 80, Steven Spielberg se trouve au
sommet de l’industrie Hollywoodienne dans une carrière déjà passée par toutes
les étapes possibles. Les Dents de la mer
(1975), son succès fulgurant et la terreur maritime qu’il provoque en Amérique
en font le golden boy auquel on ne refusera plus rien. La rêverie de Rencontre du troisième type (1977) sera
également un succès compensant les dépassements de budget importants, ce qui
n’arrivera pas avec l’onéreuse blague potache 1941 (1980) qui commence à faire circuler de lui l’image d’un
réalisateur dépensier et incontrôlable. Spielberg se remettra donc en question
et saura se souvenir de ses débuts télévisés à l’économie pour Les Aventuriers de l’Arche Perdue (1981),
remise à jour du film d’aventures où le serrage de vis budgétaire de la
Paramount n’empêchera pas le film d’être aussi épique que spectaculaire.
Passé par tous ces sentiments et voyant son statut renforcé, Spielberg décide de s’atteler à une œuvre
plus personnelle. E.T. naît de deux
projets différents au départ. A la fin de Rencontre
du troisième type, le personnage de Richard Dreyfuss s’envolait dans le
vaisseau extraterrestre sous la tutelle bienveillante d’aliens qu’on
entrapercevrait avant qu’ils ne disparaissent à leur tour. Le réalisateur
s’était toujours demandé ce qu’il adviendrait si l’un d’eux n’était pas reparti et avait
préféré rester pour étudier la Terre. Parallèlement, Spielberg souhaitait faire
un film intimiste et personnel faisant écho au grand traumatisme de son
adolescence, le divorce de ses parents.
L’idée était donc de traiter des
conséquences du divorce en adoptant le point de vue d’enfant et de personnage
inspirés de sa famille et de son entourage. Adolescent chétif et solitaire, le
drame n’avait fait qu’accentuer son mal-être et il avait souvent imaginé à
l’époque l’intervention d’un ami qui viendrait résoudre ses problèmes. Et si
cet ami était un extraterrestre bienveillant ? C’est cette question qui
fera le lien entre les deux projets, Spielberg ayant rapidement la trame
complète en tête et il confiera à la scénariste Melissa Mathison la lourde
tâche de mettre ses idées en forme.
E.T. doit beaucoup
au classique SF Le Météore de la nuit
(1953) de Jack Arnold. Ce dernier se démarquait par ses extraterrestres
pacifistes traqués dans les Etats-Unis en proie à la terreur communiste. La
rencontre tournerait court avec des humains encore trop violents. Arnold usait
cependant d’une atmosphère angoissante ne révélant que tardivement l’absence de
menace des aliens et jouant finalement sur l’imagerie des films de
science-fiction plus belliqueux pour mieux surprendre. Spielberg procède de manière
différente où sans dévoiler entièrement son aspect, il amène l’empathie pour
E.T. en adoptant en vision subjective son regard bienveillant pour la faune et
la flore terrienne. Cette douceur causera sa perte quand ses congénères
quitteront la planète sans lui car pressés par des hommes menaçants.
L’extraterrestre paisible, son rapport doux à notre environnement mais
également la malveillance humaine s’exprime donc dès cette magnifique scène
d’ouverture. Ne manque plus qu’une rencontre entre l’extraterrestre et un
humain qui saura donner un autre visage de notre race.
Cela se fera à travers le jeune Elliott (Henry Thomas),
cadet solitaire d’une famille monoparentale venant de vivre une séparation.
Spielberg montre par fragment le physique d’E.T., d’abord une silhouette
clairement extraterrestre, un doigt humanoïde, une sonorité étrange. Ce sont
presque des codes de cinéma d’horreur qui suscitent la crainte et le mystère
pour notre jeune héros intrigué mais l’on devine que cette peur est partagée
jusqu’à ce que le visage d’E.T. se dévoile. La créature créée par Carlo
Rambaldi évite toute facilité « anthropomorphique », c’est un être
qui n’a rien d’humain mais dont l’allure frêle, la démarche incertaine et
surtout ce visage aux grands yeux si expressifs
(inspiré de Carl Sandburg, Albert
Einstein et du chat de Carlo Rambaldi) véhiculent une douceur qui ne peut
abriter un être néfaste. L’apprivoisement est donc mutuel, tissant de manière
hésitante l’amitié et le lien télépathique qui unira E.T. et Elliott. Le
fantastique s’invite dans le quotidien avec subtilité et délicatesse, renforcé
par le rapport des autres membres de la fratrie à E.T. notamment une toute
jeune Drew Barrymore à la bouille charmante.
E.T. exprime la présence de l’ami idéal qu’il aurait
souhaité à ses côté durant son enfance malheureuse. L’esthétique du film
dessine également un cadre idéalisé de la banlieue pavillonnaire où grandit
Spielberg. On navigue entre un visuel à la Norman Rockwell (les vues
majestueuse dans une lumière douce du panorama de cette ville pavillonnaire)
mais également Walt Disney lors des séquences élégiaques en forêt qui évoquent Bambi (1942) avec ces clairières de
contes, ces arbres à perte de vue aux hauteurs insoupçonnées et même
l’apparition explicite d’une biche en clin d’œil discret. Spielberg s’inspire
de ces maîtres sans les copier pour autant.
Au naturalisme et à la dimension
nostalgique de Rockwell se substitue la photo diaphane de Allen Daviau qui donne
cet aspect immaculé de rêve éveillé et invente littéralement l’esthétique 80’s Amblin
(société de production de Spielberg) maintes fois reproduite par la suite (Gremlins (1984) et Explorers (1985) de Joe Dante, Les
Goonies (1985) de Richard Donner ou plus récemment Super 8 (2010) de JJ Abrams). Spielberg fait également renaître
l’esprit candide, enfantin et féérique de Disney dans un cadre ordinaire et ce
à une époque le studio est au creux de la vague et décrié. L’interprétation
sincère et à fleur de peau, le visage angélique et le caractère bien trempé d’Henry
Thomas joue pour beaucoup dans cet émerveillement. Tout comme dans Les Dents de
la mer, Spielberg fait également de l’animatronique restreinte de la créature
un atout, ses mouvements limités accentuant sa fragilité.
Le Météore de la nuit
avait associé sa thématique à la peur communiste. Spielberg la mêle au cinéma
paranoïaque des 70’s. Les fameux « men in black » gouvernementaux
sont des ombres qui distillent une menace latente dans la première partie puis
concrète et oppressante dans la seconde. Le réalisateur étend ce parti pris à
tous les adultes où les plus mal intentionnés, des agents gouvernementaux aux
scientifiques en passant par le professeur de biologie restent sans visage.
Seuls ceux capables de compassion sont dignes d’être montrés dans cette œuvre à
hauteur d’enfant, l’attachante mère jouée par Dee Wallace ou le savant incarné
par Peter Coyote. Ce sera le premier adulte (hormis la mère) dont nous
découvrirons le visage, ému par Elliott et pour s’adresser à lui il se
baissera, se mettant à sa hauteur mais finalement aussi à celle d’E.T.
La dernière partie transcende par son tourbillon de
sentiments les éléments superbement esquissés jusque-là. La relation
fusionnelle E.T./ Eliott est magnifiée dans la perte et les retrouvailles
tandis que les « créatures de l’ombre » abattent leur menace sur eux.
Spielberg verse également dans l’analogie religieuse où E.T. arbore une allure
de messie fragile dont les disciples en culottes courtes vont accompagner l’ascension
et assister émerveillés à ses miracles. L’envol face au barrage policier sur
les notes célestes de John Williams est un grand frisson (et réponse à la scène
mythique où le vélo en vol voyait son ombre se dessiner dans la pleine lune) visuel
et émotionnel bientôt dépassé par une déchirante scène d’adieu.
Le passage de
cet être sensible et fragile venu des étoiles aura ressemblé et fait oublier
ses soucis à une famille qui ne sera plus jamais la même et dans le cœur de
laquelle il demeurera à jamais. La tristesse et la fascination nous étreint
lorsque le film s’achève sur le regard d’Elliott rivé vers les étoiles.
Spielberg aura atteint là une grâce qu’il ne tutoiera plus que sur A.I. (même s’il signera d’autre grands
films) preuve de son investissement dans cette œuvre personnelle mais
finalement si universelle. Le triomphe du supposé « petit film »
deviendra le symbole de ce qu’il peut produire de meilleur.
Sorti en dvd zone 2 français et bluray chez Universal