Trelkovsky, un homme
timide et réservé, visite un appartement vacant pour le louer. Lors de la
visite, la concierge lui apprend que Simone Choule, l'ancienne locataire, a
voulu se suicider sans raison apparente, en se jetant de la fenêtre de
l'appartement. Après le décès de l'ancienne locataire, il emménage. Les divers
habitants tiennent particulièrement au calme et à la respectabilité de
l'immeuble. Il devient peu à peu paranoïaque, et se met à imaginer que tous ses
voisins le poussent au suicide.
La paranoïa, l’isolation et le complot sont des thèmes qui
courent tout au long de la filmographie de Roman Polanski mais qui se
concentrent plus précisément dans la trilogie que constitue Répulsion (1965), Rosemary’s Baby (1968) et donc Le
Locataire. Chacun de ces films montrera un personnage perdre pied avec le
réel, sombrant dans la folie au sein du cadre confiné d’un appartement. Les
trois films ne sont cependant pas une simple variation sur le même thème mais possèdent
chacun leur identité propre. C’est le motif de l’inhibition sexuelle qui guide
la schizophrénie avérée et meurtrière de Catherine Deneuve dans Répulsion, son oppressant huis-clos se
déroulant dans un Londres de cauchemar. Ce sont à nouveaux les angoisses féminines
cette fois liées à la grossesse qui tourmenteront Mia Farrow dans Rosemary’s Baby, avec cette fois une
possible ambiguïté entre le fantastique (l’héroïne portant peut-être l’enfant
du Diable) et la vraie folie dans le New York bariolé des 60’s.
Polanski adapte là le roman Le Locataire chimérique de Roland Topor, projet longtemps caressé
et que le succès de Chinatown (1974)
permettra avec un budget confortable alloué par la Paramount. La différence
fondamentale avec le roman sera l’ambiguïté qu’instaure à nouveau Polanski au
récit quand Topor choisit ouvertement la thèse du complot quant aux tourments
de son héros Trelkovsky. Emménageant dans un appartement dont l’ancienne
locataire, Simone Choule, s’est défenestrée, Trelkovsky voit lentement sa santé
mentale vaciller. La possible machination dont est peut être victime le héros
ne repose sur aucun motif (fut-il surnaturel comme Rosemary’s Baby) tandis que sa réalité se fait de plus en plus
hostile. Polanski exprime à travers Trelkovsky des peurs très personnelles.
Les
réminiscences de son enfance atroce dans un ghetto de Varsovie où guette la
peur de la déportation exprime le rapport craintif de ses personnages à leur
environnement. Ce sentiment d’être l’étranger, de ne pas être à sa place et de
se le faire rappeler à la moindre incartade, Polanski (né à Paris de parent
polonais mais naturalisé français) le ressentit également lorsqu’il habitait
Paris avant la notoriété. Le réalisateur conjugue ses deux angoisses tout au
long du film, d’abord exprimées par la nature intimidante et les menaces de ses
interlocuteurs (le propriétaire incarné par Melvyn Douglas, les voisins
récalcitrants au moindre bruit) ne manquant jamais, après avoir entendu son
nom, de lui rappeler qu’il n’est pas français. Renvoyé à une certaine
insécurité par ce déni de son statut d’individu, Trelkovsky est incapable de se
défendre et voit ses peurs se concrétiser en mettant à mal sa santé mentale.
Polanski tout en développant cette thématique développe un
malaise progressif qui suggère autant la malveillance extérieure que la folie
avérée de Trelkovsky. L’atmosphère de dénonciation et d’harcèlement se dessine
ainsi par le rationnel (les pétitions contre une voisine supposée bruyante) et
l’imaginaire de plus en plus perturbé de Trelkovsky, apercevant ses voisins le
guetter depuis l’immeuble d’en face, osant à peine respirer chez lui face aux
accusations de bruit nocturnes et des coups aux plafonds.
Polanski exprime l’isolement du personnage en
retrouvant la veine claustrophobe de Répulsion,
l’étrangeté de Rosemary’s Baby à
travers les visions oniriques des intérieurs (la spirale mentale que déploient
les escaliers) et de la façade de l’immeuble (première utilisation de la grue
Louma qui arpente d'un regard incertain cette façade) mais aussi la description d’un
Paris sinistre perdant la silhouette de Trelkovsky dans sa désolation grisâtre - sans parler du score glaçant de Philippe Sarde.
La fuite en avant du personnage se manifestera par la perte de son identité, le faisant
confondre ses peurs avec celles de la disparue Simone Choule. Le scénario sème
habilement les indices qui aboutiront au travestissement (une robe retrouvée
dans une armoire, Melvyn Douglas suggérant de mettre des chaussons après 22h
pour faire moins de bruit et des chaussons féminins que l’on repère plus tard
dans l’appartement, les voisins et les commerçant qui lui attribuent les même
habitude) progressif de Trelkovsky.
La perte d’identité est donc aussi
sexuelle, le manque de confiance en lui plus qu’une homosexualité latente
guidant sa transformation. Le personnage de Stella (Isabelle Adjani) réellement
attirée par lui pourrait lui rendre ces atours fragiles mais elle est rattachée
au cercle de celle dont il cherche à se dérober, la morte mais omniprésente
Simone Choule. Roman Polanski, le phrasé hésitant, l’allure voutée et le regard
perdu excelle à exprimer la déliquescence de Trelkovsky.
Le seul moyen de
regagner ce qu’on cherche à lui arracher sera l’autodestruction (Je ne suis pas Simone Choule !) avec une
conclusion brutale et cauchemardesque. Pourtant la redite suicidaire de l’échappatoire
de Trelkovsky nous prépare à un final implacable en forme de boucle infernale
qui hante longtemps après la vision. Un des sommets de Polanski (qui n’ira plus
jamais aussi loin dans le malaise filmique) pourtant accueilli fraîchement à sa
sortie mais qui gagnera ses galons de classiques de l’angoisse au fil des ans.
Sortie en dvd zone 2 français chez Paramount