Prière d’extase est une œuvre que l’on doit à Masao Adachi, figure emblématique du cinéma d’avant-garde japonais des années 60. Il signe le scénario de réussites majeures de Koji Wakamatsu dont il contribue à politisée, et participe à l’essor de la Nouvelle Vague Japonaise en écrivant pour Nagisa Oshima Le Retour des trois soulards (1968) et Journal d’un voleur de Shinjuku (1968). Adachi est une personnalité engagée qui fera partie de l’Armée rouge japonaise sur laquelle il tournera le documentaire Armée Rouge / FPLP : déclaration de guerre mondiale (1971) et qu’il accompagnera en Israël dans leur mission de libération de la Palestine. Il y séjournera trente avant un retour mouvementé au Japon qui passera par la case prison. Adachi a également une carrière de réalisateur où il cherchera aussi à affirmer son propos. Prière d’extase accompagne la dérive d’une jeunesse japonaise plongée dans une profonde dérive existentielle. Yasuko (Aki Sasaki) et ses camarades s’opposent aux carcans de la société en s’imposant une froideur émotionnelle, ainsi qu’en s’affranchissant de l’institution (on ne les voit jamais aller au lycée). Ils sont pourtant pris au piège lorsque les règles strictes qu’ils s’infligent sont mises à mal par la grossesse accidentelle de Yasuko. L’institution les rattrape et ils vont décider d’expérimenter le rapport charnel et d’en ressentir l’oubli dans une fuite en avant destructrice. Adachi exprime cela formellement, notamment en traduisant les états contradictoires de Yasuko. La bande-son est inondée de voix-off anonymes de jeunes filles lisant des lettres de suicide (inspirée de la poétesse Nabuko Nabusawa suicidée à dix-sept ans), ce qui apporte une forme de distanciation qui s’oppose aux tourments physiques concrets de la grossesse ressentis par Yasuko. Le noir et blanc clinique et la narration flottante sont l’expression de cette errance sans but. Le monde extérieur apparaît comme abstrait lors des déambulations où l’arrière-plan tokyoïte disparait dans la brume tandis que les intérieurs exposent des scènes de sexe détachées et sans éclat. Les protagonistes forcent un entrain et un désir absent, partagé entre le besoin et le refus de ressentir. L’adulte (que représente le personnage du professeur) symbolise ce contre quoi lutte ces jeunes gens, mais finalement aussi ce à quoi ils se raccrochent en grands enfants qu’ils sont restés.
Cette indécision dans
ce qu’ils recherchent amènera l’éclatement du groupe (symbolique dans une
séparation en pleine rue où chacun retourne à un cadre conventionnel de la
famille ou de l’école). Yasuko poursuit la démarche autodestructrice jusqu’au
bout dans un final cathartique mais à l’envoutante portée mélancolique. La
couleur s’invite alors, le montage se fait abstrait et une douce mélopée folk
accentue le spleen de cette conclusion. Une œuvre fort intéressante donc mais
dont la nature expérimentale demande une vraie implication au spectateur peu
rompu au cinéma d’avant-garde japonais de l’époque.
Sorti en bluray et dvd zone 2 français chez Carlotta