En 1757 dans l'Etat de New York, alors que la guerre fait rage entre Français et Anglais pour l'appropriation des territoires indiens, un jeune officier anglais, Duncan Heyward, est chargé de conduire deux sœurs, Cora et Alice Munro jusqu'à leur père. Ils sont sauvés d'une embuscade par Hawkeye, un frontalier d'origine européenne, élevé par le Mohican Chingachgook et son fils Uncas. Les trois hommes acceptent d'escorter les deux jeunes filles jusqu'à leur destination.
Le Dernier des Mohicans marque le retour au premier cinématographique de Michael Mann, six ans après sa dernière réalisation. A ce stade de sa carrière, Mann devait avant tout son aura pour ses productions télévisées, le célèbre Miami Vice (1984-1990) et le plus méconnu Les Incorruptibles de Chicago (1986-1988). Ses premiers essais au cinéma, entre réussites majeures (Le Solitaire (1981), Le Sixième sens (1986)) et résultat plus discutable (La Forteresse Noire (1983) son film maudit) n’avaient pas rencontrés les faveurs du public. Ces retrouvailles avec le grand écran délaissent son genre de prédilection du polar urbain pour se plonger dans le film d’aventure historique avec cette neuvième adaptation du roman de James Fenimore Cooper.
Malgré ce contexte éloigné de ses habitudes, Mann introduit un héros typique de son style avec Hawkeye (Daniel Day-Lewis). Homme blanc élevé par les mohicans, Hawkeye est une figure profondément individualiste se plaçant à l’écart des soubresauts du monde qui l’entoure, à savoir les guerres franco-anglaises aux Amériques. Michael Mann dépeint de façon didactique les tenants et aboutissants du conflit et renvoie les belligérants dos à dos tout au long du récit. Les Anglais méprisent et manipulent autant les colons américains soumis à l’autorité de la couronne que les différentes tributs indiennes qu’ils incitent à collaborer avec eux, à fournir leurs rangs par des tromperies diverses. Il en va de même pour les Français dont on observe l’usage du huron Magua (Wes Studi) ivre de vengeance contre un officier anglais. Entre condescendance et mépris de classe, les petites gens quel que soient leurs races ne servent que de chair à canon aux ambitions des nations. Hawkeye s’inscrit donc dans la lignée des personnages solitaires et/ou claniques de Mann, mais que la romance va forcer à se reconnecter à la réalité de leur société. Ici il s’agira de la rencontre avec Cora (Madeleine Stowe), fille d’un officier anglais que Hawkeye va sauver des hurons puis escorter. L’hésitation entre la fermeture taciturne et la volonté d’ouverture du personnage mannien éclate dans leurs premières interactions. Lorsque par survie Hawkeye choisit de ne pas enterrer les victimes d’un massacre huron, il se montre glacial tout en peinant à masquer son émotion (les morts étaient des amis) quand Cora ignorante lui en fera le reproche. Ce n’est que lors d’une discussion à deux qu’il s’explique plus tard, faisant alors montre d’une sensibilité qui touche la jeune femme promise à un officier anglais hautain (Steven Waddington). Ce tempérament franc rend la romance d’une grande intensité, l’urgence n’autorisant pas les atermoiements et la bienséance dans ce contexte chaotique. Le dialogue révélant leur désir mutuel est aussi beau que minimaliste, quand Hawkeye fixe Cora du regard et explicite sa pensée quand cette dernière l’interroge sur cette insistance. Surprise de cette réponse, la jeune femme d’abord gênée soutient alors ce regard et explicite sans que les mots soient nécessaires que cette attirance est partagée – une scène d’amour où les amants se cherchent et s’étreignent avec le seul soutien du beau score de Trevor Jones suivra. Ces émotions à échelles humaines se font donc directes et compréhensibles, quand tout ce qui concerne la stratégie et les ambitions des camps anglais et français relève de la tromperie et de l’autoritarisme. Le méchant Magua s’avère tout aussi lisible dans ses intentions vengeresses, en faisant un pendant négatif de Hawkeye. Victime de cette guerre où il a perdu femme et enfant sous la main des Anglais, contrairement à Hawkeye il se fond parmi les deux camps pour mieux se rapprocher de l’objet de son profond ressentiment. La haine comme l’amour sont les deux revers d’une même pièce qui caractérise l’humanité forte ou faible des personnages, mais en tout cas plus sincères que les Etats aux desseins expansifs désincarnés. La mise en scène de Michael Mann se met au diapason de cette dichotomie entre collectif glacial et intime chaleureux dans des séquences miroirs. Les scènes où les Anglais ou français tissent leur toile manipulatrice et expriment leur mépris de l’individu sont souvent des scènes d’intérieur, ou du moins se déroulant à l’abri des regards – le général Montcalm (Patrice Chéreau) s’entretenant avec Magua dans la forêt la nuit venue, les conciliabules du colonel Munro dans la pénombre de son fort. Les teintes de la photo de Dante Spinotti véhiculent l'émotion inverse, se teintent d'une facticité qui crée un écrin hors du temps dans les moments intimistes entre Hawkeye et Cora.A l’inverse les explosions de violence de Magua se déploient en plein air même si teintée de traitrise, dans une volonté d’être vu par son ennemi et de se délecter de sa terreur avant de l’achever. Hawkeye se révèle aussi au grand jour dans cet espace naturel n’autorisant pas les faux-semblants. Dans un premier temps Michael Mann introduit cela dans l’idée fréquente chez lui de montrer « l’expertise » de ses héros, ici avec les talents de traqueurs de Hawkeye dont la vélocité pour parcourir les forêts sinueuses impressionne – la méticulosité de Mann et la maniaquerie de Day-Lewis se sont bien trouvés dans l’entraînement commando préparatoire au tournage. Plus le récit avant plus ces aptitudes serviront un héroïsme au service d’une quête romanesque pour Hawkeye, Mann en totale connexion avec son héros restant focus sur son avancée implacable pour sauver Cora alors qu’un enfer de violence se déchaîne lors d’une embuscade des hurons.L’intensité de la confrontation finale est à l’avenant, précédée d’une incroyable tirade romantique (Stay alive !) et qui voit la barbarie et la tragédie exploser dans les grands espaces. Michael Mann y exprime à travers les deux antagonistes la manière dont les sentiments soudains nous exposent (Magua cherchant finalement à épargner la sœur cadette Munro (Jodhi May)) mais également nous sauvent, expriment notre individualité (le père de Hawkeye mettant à par son fils adoptif en se déclarant le dernier des mohicans). Un grand film d’aventures, riche de strates thématiques et intimiste (la romance implicite entre la petite sœur Munro et Uncas (Eric Schweig) et dont le succès permettre la mise en route de Heat (1996) LE film de la reconnaissance pour Michael Mann.
Sorti en bluray français chez Warner