Dans un endroit
mystérieux entre ciel et terre, les morts doivent mettre en scène un film
revenant sur le temps le plus fort de leur vie passée. Ils sont accueillis par
des employés sereins qui les reçoivent séparément dans un bureau pour leur
expliquer le déroulement de cette remémoration. Une fois choisie, celle-ci sera
refaite pour qu'ils puissent s'endormir à jamais avec ce souvenir.
L’argument d’un purgatoire décalé et vu comme une sorte d’espace
de transition à l’imagerie administrative est un classique notamment dans le
cinéma anglo-saxon avec des films comme Le Ciel peut attendre d’Ernst Lubitsch (1943), Une Question de vie ou de mort de Michael Powell et Emeric
Pressburger (1946) ou encore Le Défunt récalcitrant d’Alexander Hall (1941). Cela sert généralement un récit
jouant de façon décalée sur l’interaction entre cet au-delà et la vie terrestre
dans un regard tendre sur l’existence passée du protagoniste. Tous ces éléments
se trouvent dans une approche radicalement différente le film d’Hirokazu
Kore-eda.
On évite dans un premier temps le cliché de l’imagerie
onirique rococo pour un espace austère où se retrouvent les morts après leur
décès. Là des guides les incitent à choisir un moment clé de leur vie qui sera
reconstitué pour être le seul souvenir qu’ils garderont lors de leur passage
dans l’au-delà. C’est l’occasion d’une belle galerie de portraits à travers les
souhaits et hésitations des protagonistes quant au souvenir à emporter.
Kore-eda adopte une mise en scène préfigurant presque les codes de la
télé-réalité avec un cadrage façon « confessionnal » mais où l’hésitation
entre la froideur « administrative » (l’interlocuteur relançant de
quelques questions et précisions sur le passé du répondant) et une émotion
sincère qui s’instaure avec l’étirement sans artifices des confidences du
défunt en transit.
Tout tient dans les hésitations, le franc lâcher prise et
les dissimulations des protagonistes, les raisons allant du déni à la
fanfaronnade (ce vieillard faisant mine de choisir un souvenir sexuel) et
créant ainsi une tonalité comique ou plus ouvertement dramatique. Ce qui rendra inoubliable certaines des plus belles
réussites à venir de Kore-eda (Still Walking (2008), Notre petite sœur
(2015)) c’est cet art de capturer un moment de bonheur, de plénitude suspendue,
où l’harmonie de l’environnement se conjugue à l’amour que se portent les
personnages. Si toute sa filmographie se concentre à dépeindre ces instants, After life s’applique à exprimer l’empreinte
qu’ils auront laissés à ceux qui les auront vécus. Le réalisateur ne cède pas
au flashback facile ou à la reconstitution ludique mais effectue plutôt une
mise en abîme de son travail de réalisateur par les préparatifs, la quête d’émotion
des agents de l’au-delà pour recréer les souvenirs dont nous ne verrons que des
esquisses.
On pourrait craindre que cette dimension « méta » place le
spectateur à distance mais un élément narratif va changer la donne. Les agents
sont en effet des défunts qui n’ont jamais pu choisir un moment de leur vie et
n’ont ainsi jamais pu gagner l’au-delà. Les interactions avec les personnes qu’ils
accompagnent les renvoient ainsi à leurs doutes. Le cheminement est donc double
et questionne quant à notre rapport à la mort : un éternel recommencement,
un lien inébranlable à notre passé ou un renouveau où tout est à effacer dans
un ailleurs inconnu. Le réalisateur ne convoque aucune imagerie religieuse et
mise sur une veine humaniste où tous les choix sont possibles et acceptables.
La mort n’est qu’une étape de plus pour savoir qui l’on est. Une belle réussite
dont il faut juste apprivoiser le ton austère.
Sorti en dvd zone 2 français chez MK2