True Romance est
autant un des sommets de la filmographie de Tony Scott que la pierre fondatrice
de toute la réussite à venir de Quentin Tarantino. Encore employé de vidéo club
rêvant de percer au cinéma, Tarantino vit en colocation avec son ami Roger
Avary nourrissant les même ambitions. Avary a alors sous le coude un script de
80 pages nommé The Open Road qu’il a
mis de côté pour une improbable adaptation du Surfer d’Argent. Tarantino lui demandera donc s’il peut prendre la
suite ce que lui accordera généreusement Avary. Se cloitrant de long mois à
cette réécriture, Tarantino reviendra avec un script monstre de 500 pages où se
trouvent les grandes lignes de True
Romance, Pulp Fiction et Tueurs nés. Les liens s’y feront à coup
de narration alambiquée, de flashback et d’effets en tout genre mais Avary
incitera Tarantino à recentrer l’histoire sur son cœur émotionnel, la romance entre
Alabama et Clarence. Pour True Romance
comme pour toutes ses œuvres des 90’s, Tarantino fera donc un travail d’élagage
pour ne garder que le meilleur de ce script initial touffu. Le duo tentera sans
succès de produire le film en indépendant pour 150 000 dollars mais se
confrontera à sa méconnaissance du milieu hollywoodien. Le salut viendra du
producteur français Samuel Hadida désireux de se lancer sur le marché américain
et en quête d’un jeune scénariste au talent original. On lui recommande de rencontrer
un Tarantino alors archiviste vidéo et quand Hadida lui demandera un exemple de
son travail, il lui donnera le script de True
Romance. Hadida subjugué à la lecture en rachète les droits et décide de le
produire. Quelques bisbilles surviendront encore avant le tournage (l’interventionnisme
des frères Weinstein initialement distributeurs américains du film qui amènera
Hadida à le produire seul et miser sur les préventes internationales grâce à un
casting fabuleux) notamment concernant le réalisateur. A l’origine destiné à
William Lustig (excellent réalisateur de série B), le film échoit finalement à
force de volonté à Tony Scott. Parrain de Tarantino lors d’un stage d’écriture
à Sundance, Tony Scott s’amourache à son tour du script de True Romance et fera le forcing pour le réaliser. Ce n’est d’ailleurs
pas pour déplaire à Tarantino, grand admirateur de Revenge (1990) où Scott se montra capable d’entremêler brutalité et
romantisme avec brio. Le mariage Tarantino/Scott fonctionne d’ailleurs
merveilleusement dès la splendide ouverture.
Modeste employé d’un magasin de
comics, Clarence Worley (Christian Slater) est une âme solitaire ne trouvant
guère de compagne susceptible de partager sa passion pour Elvis ou Sonny Chiba,
star des films d’arts martiaux japonais. Ce sera jusqu’à sa rencontre avec la
pulpeuse Alabama, curieuse de ses hobbies et sincèrement attirée par lui.
Malgré la révélation qui suivra leur nuit ensemble (elle est une call girl
engagée par son patron), Scott parvient à capturer une candeur non feinte dans
ce coup de foudre, que ce soit les regards perdus d’Alabama se sentant fondre
pour ce qui ne devait être qu’un « client » ou les scènes d’amour à l’érotisme
suranné (déjà le cas de Revenge aussi
sur ce point). Du coup l’aveu renforcera le couple et rendra leur relation plus
intense. Le script oscille constamment entre le rêve et le cauchemar, entre le
conte de fée et la réalité d’une Amérique violente et dangereuse.
Ce n’est d’ailleurs
pas un hasard que l’on passe de la grisaille de Détroit à l’artificialité
ensoleillée de Los Angeles, Tarantino transposant ses rêves d’ailleurs dans le
parcours de Clarence. Clarence et Alabama constitue le reflet inversé des
meurtriers de Tueurs nés (1994),
poursuivit par le chaos plutôt que le semant. Purs produits de l’Amérique white
trash dont on devine un passé difficile (la rencontre avec l’attachant père joué
par Dennis Hopper) leur refuge sera le bonheur plutôt que la destruction mais
il faudra en passer par bien des épreuves. Toujours dans cette tonalité de
conte, Tony Scott alterne les figures de croquemitaine (Gary Oldman terrifiant
et dont l’antre évoque une tanière démoniaque, Christopher Walken glacial et à la présence spectrale et
James Gandolfini à la brutalité sadique) avec d’autres plus naïves quasis
enfantines (l’apprenti acteur Michael Rappaport, l’hilarant fumeur de joint
incarné par Brad Pitt) auxquels on peut ajouter des portraits au vitriol du
milieu hollywoodien avec producteur cocaïnomanes et autre excentriques.
Cette dualité jouera aussi ce mélange de douceur et d’éclairs
de violences sanglants. Ce n’est que de la fange, du sang et des larmes que
peut surgir la beauté notamment le féminisme si cher à Tarantino. Si Clarence
est attachant dans son aisance feinte, Alabama (superbe Patricia Arquette) est
le vrai pivot du couple face danger. Prenant une rouste en serrant les dents
face à la brute James Gandolfini, c’est aussi elle qui sauve et « ressuscite »
son homme lors du final apocalyptique et qui endosse la voix-off de narratrice.
C’est une figure de matriarche solide qui s’ignore encore.
Tony Scott tout en
suivant à la lettre le script de Tarantino aura fait le film sien en en ôtant
toute distance, cynisme et nihilisme. Tout en mettant en scènes les débordements
de violence, il n’oubliera jamais de maintenir cette aura bienveillante autour
de ses personnages (ce moment furtif où Michael Rappaport qui vient de remporte
un rôle hésite puis décide d’accompagner Clarence dans sa transaction finale).
Du coup son seul changement sera un happy-end différend de la conclusion trop
noire de Tarantino car il s’était attaché aux personnages et voulait les
quitter heureux. Une belle réussite qui sera pourtant un échec à sa sortie mais
qui a plus que gagnée une aura culte depuis.
Sorti en dvd zone 2 français chez Metropolitan