Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram
Un lycéen nerd, Jerry Mitchell, est
contraint d'écrire une nouvelle pour le journal officiel de
l'établissement à propos d'un nouveau venu, Buddy Revell, qui est réputé
pour être un vrai barjo. Quand Jerry heurte accidentellement Buddy, ce
dernier le met au défi de le retrouver à 3 heures du matin dans le
parking du lycée pour régler leurs comptes. Jerry va devoir tout faire
pour éviter la confrontation avec ce psychopathe.
Les trentenaires se souviennent certainement de Parker Lewis,
excellente et délirante série ado qui rencontra un grand succès au
début des années 90. Le plus souvent on associe la série à un décalque
télévisé de La Folle Journée de Ferris Bueller,
ultime et loufoque teen movie de John Hughes mais finalement hormis son
facétieux héros pour tout le reste il faut aller chercher du côté de ce
survolté et méconnu Three O'Clock High.
Le film est une sorte de géniale déclinaison adolescente du Train sifflera trois.
Le lycée est en ébullition avec l'arrivée d'un nouvel élève que sa
terrible légende précède, Buddy Revell (Richard Tyson). Le film débute
d'ailleurs sur la rumeur de ses violents méfaits lors du brouhaha des
conversations de couloirs. Jerry Mitchell (Casey Siemaszko) élève sans
histoire va bien malgré lui croiser la route du danger public qu'il va
se mettre à dos en ayant commis l'irréparable : le toucher. Revell lui
fixe donc un funeste rendez-vous, à trois heures lors de la fin des
cours il lui réglera son compte. Comme dans Le train sifflera trois fois,
toute tentative d'aide extérieure est vouée à l'échec et une grande
partie de l'intrigue repose sur les astuces de Jerry pour éviter la
confrontation. Le script s'avère des plus inventifs pour faire monter
avec drôlerie la tension et dépeindre les mœurs de cette communauté
lycéenne.
La rumeur du combat s'étend à toute vitesse, attirant sur le
discret Jerry les figures les plus azimutées tel ces deux élèves
souhaitant faire un documentaire sur le "condamné" (pour le coup c'est
carrément visionnaire du fonctionnement ado contemporain qui immortalise
tout par l'image), les parieurs misant sur son temps de résistance, le
principal qui arbore une allure à la Blofeld installé à son bureau.
Cette journée maudite (phrase récurrente de Jerry accablé It's one of those days...)
constitue en fait une forme de parcours initiatique pour Jerry forcé de
sortir de sa coquille pour relever son plus grand défi.
Les stratagèmes
pour y échapper se font ainsi plutôt lâche (cacher une arme dans le
casier de Buddy pour le faire renvoyer, payer un membre de l'équipe de
football pour lui régler son compte...) tandis que l'intrigue multiplie
les allusions aux mythes (le cours de littérature où l'on étudie
l'Iliade et le professeur ricanant avec sadisme sur le passage où
Achille écharpe Hector) où dotant Buddy d'une menace quasi surnaturelle et omnisciente que Jerry ne peut fuir.
Le grand atout, c'est la mise en scène virevoltante et cartoonesque de
Phil Joanou dont c'est le premier film (mais qui s'était fait la main
sur la série Histoires Fantastiques de Spielberg ici producteur même
s'il demanda à ne plus figurer au générique la folie du film étant loin
de l'ersatz de Karaté Kid auquel
il s'attendait).
Cadrages alambiqués et déroutants, zooms agressifs,
mouvements de grue improbables, tout est fait ici pour désarçonner et
nous plonger dans l'esprit apeuré de Jerry. Les contres plongées donnent
à Buddy des allures de cyclope (Tyson s'en donnant à cœur joie dans le
jeu monolithique), l'échelle des décors varie d'une scène à l'autre et à
nouveau en hommage au Train sifflera trois fois
les inserts d'horloges nous rapprochant de l'heure fatidique se
multiplient de façon toujours plus démesurée.
Casey Siemaszko est
épatant en nerd insignifiant forcé de se faire violence. Plutôt placide
et quelconque au départ, son jeu se met progressivement à la hauteur de
la folie de l'ensemble avec notamment une scène de fiche de lecture
comme on a rarement vue (et une enseignante sous le charme qui reviendra
suite aux projections test pour une sacrée scène finale) et surtout une résolution finale le voyant accepter le duel avec
dignité. La bagarre en elle-même est assez décevante vu la montée en
puissance pour l'introduire, Joanou ne parvenant pas tout à fait à
croiser la dimension loufoque et le côté mythologique amorcé jusque-là
(malgré un beau panoramique sur les spectateurs lycéens aux fenêtres
faisant du parking une arène antique) même si le tout s'avère plutôt
efficace.
Le final rattrape cependant cet écueil avec une
nouvelle fois bons sentiments et légèreté (Jerry sauvé par la solidarité
lycéenne) et facette héroïque où Jerry devenu légende à son tour voit
ses exploits sources de conversations et rumeurs déformées par ses
camarades admiratifs.
Sorti en dvd zone 1 chez Universal avec sous-titre français mais l'édition est épuisée et hors de prix donc se tourner plutôt vers le zone 2 anglais qui comporte des sous-titres anglais.
François, Cécilia et Isabelle sont
élèves de la classe d'art dramatique du conservatoire que dirige le
professeur Lambertin. François est amoureux d'Isabelle qui l'aime
également, mais il est poursuivi par Cécilia, son ancienne maîtresse.
Mettre un peu d'art dans sa vie et un peu de vie dans son art.
Le leitmotiv du personnage de professeur incarné Louis Jouvet résume
idéalement la trame d'Henri Jeanson et André Cayatte où se mêle la
découverte passionnante de l'apprentissage de l'art dramatique au
conservatoire et le chassé-croisé amoureux de ses élèves. Le lien se
fait avec un brio constant et ce dès l'ouverture avec l'effervescence et
l'angoisse du concours d'entrée qui expose et tisse les rapports entre
les différents aspirants acteurs. François (Claude Dauphin) ancien
amoureux éconduit et moqué par l'orgueilleuse Cécilia (Odette Joyeux) va
tomber amoureux le temps d'une répétition endiablée d'Isabelle (Janine
Darcey).
La scène et la fiction offre un reflet déformant, un mimétisme
comique et tragique constant à la réalité à travers le marivaudage
amoureux se jouant ici. C'est en jouant une scène plutôt légère de La mégère apprivoisée
que se noue la romance entre Isabelle et François, tandis que le geste
désespéré de la pièce se rejoue dans la réalité lors d'un rebondissement
final surprenant. Le triangle amoureux est ravissant avec les jeunes
premiers romantiques que sont Claude Dauphin alternant tirades désabusés
ou passionnées, Janine Darcey amoureuse dévouée à son art et surtout
Odette Joyeux jamais aussi enflammée que lorsqu'elle est repoussée.
L'intrigue
et sa résolution pourrait sembler un peu trop conventionnelle et
attendue si ce n'était la prestation étincelante de Louis Jouvet en
professeur Lambertin. Si les élèves se perdent dans les méandres de
leurs amours entre leur jeu et la réalité, Jouvet se sera pourtant
chargé de les guider tout au long de remarquable scènes
d'apprentissages.
Les scènes de cours sont fascinantes avec un Jouvet
cherchant constamment à amener ses élèves dans une quête de la vérité de
leurs personnages et de la fiction dans laquelle ils s'inscrivent. Que
ce soit une porte imaginaire non ouverte/fermée par Bernard Blier, une
tirade parfaitement exécutée mais qui pêche par le décalage de sa
gestuelle où l'origine sociale de l'interprète qui ne s'efface pas
derrière son personnage, Jouvet multiplie les remarques judicieuses et
les conseils à travers les dialogues cinglants de Henri Jeanson.
Tu
joues mollement. Tu t'installes confortablement dans un métier où il
n'y a pas de confort. Tu es bourgeois. En scène, tu fais du tricot.
Mireille,
mon petit, ce n'est pas mal, mais tu es un peu trop coquette. Tu as de
très jolies jambes et je t'en félicite mais ton rôle n'est pas un rôle à
jambes, c'est un rôle de sentiments. Il faut qu'on oublie les jambes.
Je te remercie. Tu ferais un excellent critique : tu parles fort bien de ce que tu connais mal.
Totalement
dédié au jeu et à la scène, ce regard se prolonge dans la réalité tel
cette manière dont il désigne les blanchisseuses comme des candidates au
conservatoire en les qualifiant d'un emploi possible d'après leur
allure (ingénue, amoureuse) lors de l'épatante scène où va convaincre
les parents d'Isabelle de la laisser suivre sa voie. Lambertin est une
figure quasi abstraite par cette rigueur et dévotion mais paradoxalement
incarne une plus grande vérité que les intrigues sentimentales au
premier plan (et qui n'en sont pas néanmoins prenantes). Contrairement à
ses élèves, son choix est fait tandis que l'hésitation de ses derniers
les plonge dans le tourment, tout en les rendant humains et vivant quand
Jouvet s'avère l'incarnation d'un idéal, d'un absolu inaccessible.
Adolescent calme et sans histoire,
George La Main assiste un soir à une punition terrible qu'inflige Al
Judge, personnage haut placé dans la presse, à son père, Andy La Main,
qui semble consentant. George s'empare d'une arme et erre à travers la
ville pour retrouver le tortionnaire. Au cours de cette traque et de
cette longue nuit, il va découvrir peu à peu certaines vérités, perdre
ses illusions et laisser derrière lui son adolescence.
The Big Night est
le dernier film américain de Joseph Losey qui fuira la chasse aux
sorcières l'année suivante lorsqu'il qu'il est convoqué par l'HUAC pour
son engagement communiste alors qu'il est en tournage en Italie. Le film
noir et le mélodrame s'entrecroise ici pour ce qui est un grand récit
de perte d'innocence. George (John Drew Barrymore), adolescent paisible
et sans histoire va brutalement découvrir la violence physique et
psychologique du monde des adultes lorsqu’il assiste à la sévère
correction qu'inflige le ponte de la presse Al Judge (Howard St. John) à
son père, sans réaction de ce dernier.
On aura découvert un George très
innocent et fragile, privé d'une présence maternelle et dont la figure
d'autorité et de respect représenté par son père va être humiliée sous
ses yeux, comme un symbole au moment où il fêtait son anniversaire, lui
faisant ainsi quitter brutalement l'enfance. Dès lors ses propres
frustrations se mêlent à la honte infligée à son père et souhaitant se
venger et enfin s'affirmer il va traquer le coupable arme au poing au
cœur de la nuit.
A l'image de ce caractère adolescent encore
inconsistant, l'intrigue est assez décousue. Les rencontres au cours de
cette nuit se font cocasse, tendre où dangereuse dans les cadres les
plus divers et typiques du film noir : un match de boxe, un cabaret de
jazz... Losey multiplie les astuces visuelles pour nous faire partager
l'état d'esprit bouillonnant de son jeune héros tel le fondu entre le
jeu du batteur de jazz et les coups de canne asséné à son père par
Judge. On a quelques jolis moment avec l'apaisante rencontre avec une
jeune femme qui semple comprendre et calmer la fougue de George mais
celui-ci devra mener son odyssée vengeresse jusqu'au bout.
Losey
instaure une atmosphère urbaine et sombre où le décalage est constant
avec le visage poupin de John Drew Barrymore, sa silhouette engoncé dans
des vêtements trop large, dans un rôle trop lourd pour lui. Le face à
face tant attendu avec l'agresseur est des plus intenses et surtout
fruit de révélations qui remettront pas mal de certitudes en question.
La narration alerte et resserrée (le tout dure à peine plus d'une heure)
illustre à merveille le sentiment d'urgence de l'ensemble, erratique et
speedé à la fois. Même si l'on est encore loin des hauteurs à venir, un
Losey sacrément inspiré et prenant.
Sam Gifford est un riche propriétaire de champs de coton
dans le sud des États-Unis. Il est marié avec Jenny Cousins, la fille
d'un militaire. Imbu de lui-même, il mène une vie de plaisir et montre
un mépris évident pour ses ouvriers. Lorsque la guerre éclate, il est
mobilisé comme sergent. Suite à une violente altercation avec le
lieutenant de son groupe, il est dégradé et envoyé dans une enclave
disciplinaire au cœur de la jungle.
Richard Fleischer délivre une des visions les plus puissante de La Guerre du Pacifique dans Between Heaven and Hell, sommet de ce mouvement de film de guerres américains des années 50 (Attack de Robert Aldrich, La Gloire et la peurde Lewis Milestone, Baïonnettes au canons
de Fuller) où La Guerre de Corée avait semé l'angoisse et le doute dans
les intrigues même lorsqu'elle traitaient de conflits antérieurs. Le
ton belliqueux laisse donc place à une atmosphère oppressante et
dépressive à travers le parcours du soldat Sam Gifford (Robert Wagner).
On le découvre désinvolte et détaché après qu'il se soit rendu coupable
d'une agression sur un officier.
En guise de punition, il est envoyé
dans une section constitué de rebus plus pathétique encore, à commencer
par son supérieur Waco Grimes (Broderick Crawford) lâche cherchant avant
tout à sauver sa peau dans cette enclave dangereuse au cœur de la
jungle. Là, isolé et abattu, Gifford va pouvoir se souvenir des
évènements l'ayant mené jusque-là dans des flashbacks remarquablement
introduit par Fleischer.
Riche et arrogant propriétaire de plantations de cotons dans le sud des
États-Unis, il est aussi aimant avec son épouse Jenny (Terry Cook) qu'il
est impitoyable et froid avec ses métayers auxquels il mène la vie
dure. Mobilisé en tant que soldat réserve de la Garde Nationale, c'est
pourtant en ceux qu'il a tant rudoyé qu'il va se trouver les compagnons
les plus solides et fidèles sur le front. Le scénario n'exploite pas les
frictions pouvant naître des cartes de l'autorité redistribuée entre le
patron et ses employés pour au contraire célébrer l'amitié et l'unité
du groupe, le changement qui s'opère chez Sam Gifford. Cela se manifeste
par le premier grand morceau de bravoure où soudés comme jamais,
Gifford et ses compagnons réalise un grand acte d'héroïsme en tuant des
snipers embusqués dans une grotte qui décimait leur compagnie.
Les mains
tremblantes de Gifford après l'exploit annoncent pourtant que la mort
et la peur vont hanter l'ensemble du film. Un officier pétrifié qui va
mitrailler ses propres soldats, un moment de camaraderie interrompue par
une mine piégée, une balle perdue stoppant net dans son élan, des
embuscades japonaises traîtresses à la tombée de la nuit : il y a mille
façons de mourir dans cette jungle suffocante toutes plus éprouvantes
les unes que les autres. Fleischer filme avec force ces moments
guerriers brutaux, alternant crudité inattendue et mise en scène
virtuose avec notamment ses travellings véloce accompagnant les avancées
éperdues au cœur de cette jungle, la plus intense étant la dernière où
Wagner traverse les lignes japonaise comme un dératé.
Le film évite le désespoir complet en donnant du sens à l'héroïsme de
Gifford, qui en devant sauver un compagnon retrouve le courage qu'il
n'avait plus à donner la mort envahissante de part en part. Robert
Wagner jeune premier de la Fox est remarquable et trouve un de ses
meilleurs rôles tandis que Fleischer démontre une fois de plus son brio
avec ce film annonçant le Trop tard pour les héros de Robert Aldrich aux thèmes voisins.
Sorti en dvd zone 2 français chez Fox
Bande-annonce assez décalée du film par son ton belliqueux
Lors d'un séjour à Rome, deux
étrangères de passage se rencontrent. L'une (Natasha) russe est
hétérosexuelle et l'autre (Alba) espagnole est homosexuelle. Une passion
torride naîtra entre les deux femmes qui se retrouveront dans une
chambre d'hôtel à huis-clos pour le dernier jour de leur séjour à Rome.
Room in Rome est l’œuvre du renouveau pour Julio Medem, celle où il parvient à exprimer sa singularité de façon humble et posée sans pour autant avoir à se renier. L’exercice du huis clos est fondamental dans cette mue, tant le cinéma de Medem repose habituellement sur l’extension du regard, tant géographique que mental. Dans ses premiers films, le cinéaste basque déployait un lyrisme rugueux bercé d’une étrangeté jouant sur la répétitivité, le temps qui passe et la destinée avec l’envoûtant Vacas(1991) – transposition officieuse au pays basque de Cent ans de solitude (1967) de Gabriel García Márquez –, tandis qu’une romance alambiquée était à l’œuvre dans L’Écureuil rouge (1993) et Tierra (1996), avec son héros à la personnalité multiple. L’onirisme singulier de Medem trouverait un écrin plus accessible et romanesque dansLes Amants du cercle polaire (1998) et Lucia et le sexe (2002), les films de la reconnaissance internationale. Les audaces formelles, les questionnements philosophiques et les figures féminines flamboyantes propulseraient le cinéaste au sommet de son art. Cette outrance serait nettement plus déséquilibrée dans Caotica Ana (2007), grand film malade réalisé en hommage à sa sœur décédée. Medem y ose tous les excès, le ridicule côtoyant la grâce d’une scène à l’autre dans une œuvre questionnant les origines et l’état du monde, tout en idéalisant la Femme dans l’universalité et l’intime. L’accueil critique glacial ne saluerait guère les excès de cet OVNI cinématographique, invitant pourtant à une vraie remise en question. Le cinéaste, qui devait se reconstruire après cet écart, nous offrira un bijou de sensibilité et de romantisme avec Room in Rome. Au sein d’une intrigue resserrée, respectant les règles d’unité de temps et de lieu, on retrouve ici la recherche esthétique et la force mélodramatique de Les Amants du cercle polaire tout comme la sensualité et l’abandon aux sens de Lucia et le sexe.
Room in Rome débute pourtant sous une aune faussement superficielle, avec ces deux jeunes femmes se retrouvant un peu par hasard entre les murs d’une chambre d’hôtel après s’être rencontrée dans un bar.Dès
l'introduction, la chambre est définie comme un espace hors du temps et
du monde extérieur, où tout peut arriver, où tout peut se révéler. Ainsi
la drague insistante de la brune et espagnole Alba (Elena Anaya) envers
la blonde et russe Natasha (Natasha Yarovenko) et leur échange de la
rue afin qu'elle l'accompagne à son hôtel est filmé en plongée du ciel
(un leitmotiv au cœur du film tout ce qui concerne l'extérieur et le
passé des personnages sera filmé de cette façon à travers une
application à la Google maps) avant qu'un délicat plan séquence ne nous
ramène de cette ruelle au balcon, puis dans la chambre où sont enfin
arrivées les deux jeunes femmes.
C'est le cliché qui domine au
départ, Alba la brune latine incendiaire et lesbienne affirmée se montre
très entreprenante avec la blonde glaciale Natasha amenée là par la
curiosité et une attirance nouvelle pour elle. Uniquement basée sur le
désir, la rencontre va pourtant tourner court tant que son seul enjeu
reposera dessus et entre la réticence de Natasha et les assauts trop
pressants d’Alba il ne se passera rien dans un premier temps. Il faudra
un oubli de portable et le retour quelques minutes plus tard pour que
tout se rejoue, plus sincèrement. Les scènes de sexe s'avèrent
libératrice dans leur déroulement de ce qui ronge les deux héroïnes. Que
cherche à oublier Alba dans l'alcool et ce déchaînement d'abandon
lascif ?
Quelles fêlures dissimule Natasha dans cette retenue alors que
son désir paraît évident dès le départ ? Les étreintes filmées avec
fièvre mais également une grande sobriété par Medem serviront de
révélateur aux amantes plus intimes et susceptible de se livrer dans
cette nuit forcément sans lendemain. Entre semi-vérité, mensonge et
invention diverses le passé de chacune se révèle au cours de leurs
échanges. Ce désir de l'instant s'avère donc une libération soulageant
leur peine, mais peut être cache-t-il un sentiment plus profond qu'elles
n'osent s'avouer.
Medem instaure un dispositif brillant dans la
composition de plan, la gamme chromatique et la topographie de la
chambre. L'intérieur de la chambre baigne dans un mélange d'ombres (le
passé et les douleurs secrètes des personnages) et de couleurs plus
ocre, brunes et orangées symbolisant ce qui les lie l'une à l'autre.
Cela se vérifie avec les deux tableaux se répondant d'un mur à l'autre
de la pièce et auxquels elles sont particulièrement sensibles, exprimant
ainsi une interaction allant au-delà de cet attrait physique.
D'un côté
la philosophe Aspasie (magnifiquement dépeinte récemment par Amenabar
dans son Agora) se rendant à
l'Agora entouré de Socrate et Périclès et de
l'autre la réponse quelque mètres et siècles plus tard avec un autre
philosophe Leon Battista Alberti expliquant l'art des grecs dans un
cénacle des Médicis. Le cadre romain, l'emplacement de l'hôtel dans la
ville au-dessus du théâtre Pompée et les divers objets évoquant cette
culture dans la chambre instaure donc une ambiance baignée de cette
sensibilité artistique, signifiant la communion des âmes autant que du
corps d'Alba et Natasha. La salle de bain toute de blanc immaculé sera
lui le lieu de la mise à nu, aucun artifice ne dissimulant plus le lien
fort qui s'est imperceptiblement noué.
L'ambiance éthérée, la
profonde délicatesse de l'ensemble confère un ton unique au film. Bien
que beaucoup vendu sur son aspect sexuel et saphique (et que cette
facette soit frontalement abordée par Medem et son casting) le film va
bien au-delà de ça, nous emmenant vers un une belle histoire d'amour et
un grand mélodrame. La nudité permanente des actrices s'oublie ainsi
très vite, semblant naturelle pour nous et pour elles dans leur
rapprochement progressif. Elena Anaya et Natasha Yarovenko donnent
richesses et mystères à leur personnages dans ce cadre restreint, forte
et fragile chacune à leur tour, méfiante et passionnée, cultivant
différence et mimétisme avec une complicité constante.
Les premières
lueurs du jour arrivées, rien de tout ce que l'on vient d'assister ne
devra dépasser les quatre murs de cette chambre, Medem reprenant de
manière inversée son plan séquence d'ouverture où l'on passe cette fois
de la chambre à la rue en plongée. En grand romantique qu'il est, il
nous laissera pourtant une lueur d'espoir pour la suite avec une superbe
fin ouverte et le leitmotiv Loving Strangers de la chanteuse Russian Red n'est pas près de nous sortir de la tête.
Au sein d'un lycée chic, les élèves
sont divisés : les 'riches' d'un côté, avec leur beaux costumes et leurs
fêtes, et les 'pauvres' de l'autre - musique punk, et rébellion. Andie
tente d'y survivre tant bien que mal, grâce à son esprit d'indépendance,
son père, et surtout ses amis, Duckie, Jena et également Iona, patronne
foldingue de la boutique de vinyles où Andie travaille après les cours.
Un jour, Blane, du camp des 'riches', fait son entrée. S'ensuivront
disputes, histoire d'amour, pleurs, réconciliations, jusqu'au tant
attendu bal de promo.
En cette année 1986, John Hughes en
finissait avec le genre auquel il donna ses lettres de noblesses, le
teen movie. D'abord en réalisant le cultissime La Folle Journée de Ferris Bueller puis en signant le scénario et en produisant ce Pretty in Pink mis en scène par Howard Deutch dont c'est le premier film (et qui réalisera un autre script de Hughes l'année suivante La Vie à l'envers).
On retrouve ici la grande thématique des comédies adolescentes de
Hughes à savoir le clivage du paraître au sein des communautés lycéennes
où chacun s'enferment dans un masque et une posture dissimulant sa
vraie personnalité et ses fêlures.
Hughes avait signé son chef d'œuvre
sur la question avec Breakfast Club
où il ramenait progressivement des pantins et archétypes du manège
lycéens (l'intello, le sportif, la bimbo, le rebelle) au statut de
personnage dans un bouleversant crescendo. Pretty in Pink creuse le même sillon ici mais avec un peu moins d'originalité puisque l'opposition cette fois est sociale et à la place du choral Breakfast Club on aura là une comédie romantique nettement plus convenue.
Le
traitement témoigne néanmoins de la finesse d'écriture de Hughes
notamment par la manière de montrer la séparation clans lycéens. Le film
est une sorte de Roméo et Juliette
teenage où le nanti Blane (Andrew McCarthy) et la "pauvre Andie (Molly
Ringwald) vont tomber amoureux l'un de l'autre et s'opposer ainsi à leur
milieu n'acceptant pas ce rapprochement entre leur deux mondes. Cela
est amené subtilement, narrativement comme visuellement avec ces regards
furtifs entre les amoureux dans le cadre du lycée témoignant autant
d'une timidité naturelle que d'une gêne lus problématique vis à vis de
la réaction des autres.
Les premiers échanges se déroulent donc
forcément à l'abri des regards, que ce soit dans le magasin de disque où
travaille Andie où à travers un dialogue informatique ancêtre du chat.
Ce n'est qu'en montrant les difficultés de ce rapprochement que l'on
découvrira les univers opposés au cœur du fonctionnement du lycée :
c'est un établissement d'élite pour riche où Andie et quelques autres de
milieu plus modestes sont inscrit mais certainement pas intégrés. Les
petites moqueries vestimentaires que subit Andie et qui pourrait passer
pour anecdotique prennent donc un tout autre sens dans cet optique.
Quelques
choix discutables font néanmoins tiquer telle cette vision du monde
assez uniforme. Les pimbêches riches sont toutes des bimbos blondes
écervelées, l'esthétique n'est pas très heureuse dans sa séparation des
deux sociétés (brushing impeccable et veste décontractée pour les
riches, look punk multicolore pour les pauvres), la façon assez
schématique de renvoyer les préjugés dos à dos lorsque chaque amoureux
accompagne l'autre dans son milieux au point d'altérer la cohérence de
l'ensemble (comme emmener pour un premier rendez-vous sa copine dans une
fête gorgée de gens hostile plutôt que d'apprendre à la connaître seul
avec elle).
On est loin de l'intelligence d'un Breakfast Club
mais la comédie romantique exigeait sans doute ce traitement plus
manichéen d'autant plus que les scènes sentimentales sont splendides.
Le
premier baiser dans la pénombre à la lumière des phares de voiture est
craquant, le spleen de la séparation sur le titre Elegia
de New Order superbe et Molly Ringwald est toujours aussi attachante
tel ce moment où elle refuse que Blane la raccompagne et voit sa demeure
dont elle a honte. Les quelques respirations arrivent lorsque le film
s'échappe de son schéma restrictif grâce aux échanges avec la délurée
mère de substitution Iona (Annie Potts), l'assurance gauche et fragile
du meilleur ami amoureux Duckie (Jon Cryer) et surtout un très touchant
Harry Dean Stanton en père traumatisé par le départ de son épouse.
Plus convenu et pas à la hauteur des films directement réalisés par Hughes (si ce n'est Une créature de rêve qui vieillit assez mal) mais sympathique dans sa naïveté et sa candeur.
Daniele Dominici (Alain Delon) remplace
un professeur malade au lycée de Rimini. Bien que séparé de sa femme
(Lea Massari), il vit toujours avec elle. Riches et oisifs, ses élèves
l'ennuient, exceptée Vanina (Sonia Petrovna), une jeune fille qui
éveille son intérêt par la blessure secrète qu'il décèle en elle.
Avec Le Professeur, Valerio Zurlini creuse le même sillon que dans les grands mélodrames qui firent sa renommée comme La Fille à la valise et Été violent. Dans La Fille à la valise,
les clivages sociaux brisaient l'histoire d'amour naissante entre
Claudia Cardinale et Jacques Perrin tandis quel le contexte historique
d'une guerre empêchait la romance entre Eleana Rossi Drago et Jean
Louis Trintignant dans Été violent. La différence d'âge des amants relie Le Professeur
à ces œuvres mais là où le contexte magnifiait ses histoires d'amour
désespérées dans le mélodrame flamboyant, Zurlini nous plonge ici dans un
ordinaire sordide et austère.
Daniele Dominici (Alain Delon) fraîchement
intronisé professeur au lycée de Rimini traîne son spleen entre des
élèves superficiels dont il se désintéresse, son épouse (Lea Massari)
avec laquelle il cohabite plus qu'il ne vit et les parties de cartes
jusqu'au bout de la nuit. Ce mal être passif est issu d'une fêlure
passée qui ne se dévoilera qu'en toute fin et Daniel en reconnaissant ce
même désespoir chez une de ses élèves, Vanina (Sonia Petrovna) va
tenter de se rapprocher d'elle.
On sent bien l'esprit des années
70 dans l'absence totale de questionnement moral sur ce professeur
s'intéressant d'un peu trop près à l'une de ses (jolies) élèves. On voit
surtout deux solitudes se rapprocher et deux acteurs incarnant la
dépression et la mélancolie avec une grande force. On a rarement vu
Alain Delon aussi fragile et vulnérable qu'ici, trait tirés, tenue
négligé et totalement apathique à son environnement. Sonia Petrovna
poignante mêle allure virginale et innocente avec le regard de celle qui
en a trop vu, trop fait...
Ayant cédé par le seul attrait qu'on semble lui reconnaître elle sera touchée par la délicatesse de Delon (avec cette superbe réplique lorsqu'un amant jaloux l'interroge sur son choix "Il m'a parlé...") qui semble voir au delà de cette beauté.Tous deux sauront se reconnaître et s'aimer
peu à peu mais autour d'eux la fange les assaille. Le romantisme est
bien plus intermittent ici que dans d'autres Zurlini, la plate réalité
amenant moins d'envolée que là la dramatisation exacerbée que su offrir
le réalisateur qui nous apparaît bien plus désabusé dans ce qui est son
avant-dernier film.
Point de grands conflits et enjeux pour séparer
notre couple torturé ici, juste la médiocrité provinciale sordides où
entre secrets scabreux, dépravations et flambe ordinaire tous paraissent
aussi déplaisant les uns que les autres. Le sexe est déplaisant et
glauque, les rares scènes d'amours sont intenses mais brèves comme une
courte bouffée d'oxygène (magnifique première étreinte entre Delon et
Sonia Petrovna) et chacun, les héros comme les seconds rôles
bienveillants semblent dissimuler une part d'ombre peu glorieuse à
l'image d'un excellent Giancarlo Giannini. La ville portuaire de Rimini
se résume pour Zurlini à son port brumeux, ses soirées grivoises et ses
bars et quand on explorera la beauté d'une demeure abandonnée ce sera
pour éveiller un douloureux souvenir.
Les obstacles les dépassant
intensifiait la flamme des amants de Zurlini autrefois, la nature
triviale de ce qui les retient dans Le Professeur
semble les clouer au sol sans espoir de se relever. Ce sera évidemment
le cas lors de la superbe conclusion où l'on ne sera pas dupe malgré
tous les éléments en place pour un nouveau départ. Le malheur surgira de
nulle part, agrippant dans la brume, le métal et les flammes notre
héros inadapté au bonheur.
Sorti en dvd zone 2 français chez Pathé, dommage tout de même de ne pas avoir la version italienne incluse.
La police cherche à coincer le caïd de
la pègre parisienne Pépé le Moko, réfugié dans la Casbah d'Alger avec sa
bande. Il y est intouchable, mais ne peut en sortir sans se faire
arrêter. Sa vie bascule le jour où il tombe amoureux de Gaby, une jeune
femme demi-mondaine, entretenue par un homme riche, passée là en
touriste, représentant tout ce que la Casbah n'est pas : parisienne et
sophistiquée. Cette relation est jalousée par Inès, maîtresse de Pépé.
L'inspecteur Slimane, lui, suit tout cela très attentivement : il compte
sur les conséquences de ce triangle amoureux pour faire sortir le caïd
de sa planque.
Un des chef d'œuvre de Duvivier et un des
films majeurs du réalisme poétique français qui porte au plus haut cette
tonalité de mélodrame tragique, ce romantisme désespéré et cette
dimension de l'échec. Duvivier (adaptant le roman d'Henri La Barthe)
offre ainsi une poignante et captivante marche en avant vers cet échec.
Tout est déjà dans la scène d'ouverture qui mêle inexorablement le
destin de Pépé (Jean Gabin) à cette tentaculaire Casbah d'Alger. Bien
avant son apparition à l'écran Pépé est baigné d'une aura mythologique à
travers le portrait de truand chevronné et insaisissable des policiers
qui le pourchasse, et la Casbah est son royaume. Par sa description
pittoresque, ses ruelles tortueuses, sa population grouillante et
cosmopolite, sa beauté et sa laideur, la casbah est un monde à part dont
Pépé est le maître. Une première péripétie où il se joue d'une
embuscade, séduit la mondaine Gaby (Mireille Balin) et s'enfuit avec une
nonchalante prestance.
On le comprendra pourtant assez vite, ce
royaume est aussi une prison pour Pépé terré là depuis 2 ans et sachant
que la police l'attends dès qu'il cherchera à quitter la casbah.
Duvivier amène progressivement la dimension oppressante de ce cadre,
d'abord narrativement en isolant son héros peu à peu isolé sous
différentes formes : la trahison avec des indicateurs rêvant de
s'enrichir en le vendant à la police, l'amitié où la seule figure
innocente tombera justement sous le coup d'une manipulation et bien sûr
la nostalgie de l'ailleurs, de chez lui, de Paname.
Sous ses dehors de
vrai truand implacable, Gabin incarne en effet une figure romantique
honnête à sa manière et fidèle en amitié dont la raison et la volonté
vacille peu à peu face à l'horizon constamment bouchée de la fourmilière
que forme le souk. Il faut ainsi les rares échappées sur les toits pour
apercevoir un bout de ciel et lorsque l'on pourra enfin apprécier les
grands espaces et cet environnement marin en conclusion, cette brève
respiration sera cruellement récompensée. Le décor façonné dans les
studios Pathé Cinéma (les quelques extérieurs étant tourné à Sète et à
Marseille) contribue grandement à cette facette étouffante et
cauchemardesque de la casbah, vraie extension mentale du mal être de Pépé.
L'amour et le mal du pays s'incarne
donc à travers Gaby et la belle romance qui se nouera avec Pépé. Cela
fonctionne d'ailleurs dans les deux sens, la gouaille de Gabin ramène
Gaby à une jeunesse loin de son présent de femme entretenue et
dépendante, tandis que la prestance et l'élégance de celle-ci dénote
avec la poussière de la casbah. Les magnifiques dialogues d'Henri
Jeanson ornent cette facette de la plus belle façon tel ce moment où
Gabin avoue à Muriel Balin qu'avec elle il entend presque le bruit du
métro, rustre et touchant. Cette nostalgie s'exprime de manière plus
sous-jacente et tout aussi poétique lorsque le personnage la chanteuse
déchue jouée par Fréhel (quasiment dans son propre rôle et tout aussi oublié à l'éoque du film) entonne un air évoquant
sa gloire passée tandis que le portrait de sa beauté disparue trône à
l'image.
Le film de gangsters truffé de mines patibulaires (chaque
acolytes étant caractérisés par un tic notamment la brute épaisse et
cupide incarné par Gabriel Gabrio) amorcé au départ, la course poursuite
avec les flics tenaces, tout cela s'estompe peu à peu au profit de
cette courte et passionnée évasion par les sentiments. C'est un être à
l'image de cette sinueuse et imprévisible casbah qui nous ramène au réel
avec le rusé et manipulateur inspecteur Slimane (excellent Lucas
Gridoux), vrai maître du jeu. Le manichéisme de la terre étrangère
hostile est atténué par l'amoureuse délaissée Inès (Line Noro), refuge
et source de rejet pour Gabin qu'elle sauve puis cause la perte finale.
La
conclusion est un summum inoubliable de tragédie, le regard embué de
Pépé, Gaby ne le voyant pas et un dernier adieu que les circonstances
cruelles rendent impossible. Puissant.