Au moment où Jota s'apprête à se
suicider en se jetant à la mer d'un parapet élevé, une moto s'écrase
devant lui. Il porte secours au conducteur et s'aperçoit en soulevant le
casque du motard qu'il s'agit d'une jeune fille qui elle ne se souvient
de rien et ignore même jusqu'à la couleur de ses yeux.
Deuxième film de Julio Medem après l'inaugural
Vacas
(1991) qui lui valut un succès immédiat ( Goya du Meilleur jeune
réalisateur), Julio Medem confirmait les espoirs suscités avec
L'écureuil Rouge.
On retrouve ici dans une patine plus austère tous les éléments qui
feront la flamboyance des grandes réussites à venir. Il y a notamment le
gout du réalisateur pour le pitch imprévisible avec cette ouverture
saisissante. Jota (Nancho Novo ) arpente une rambarde désespéré et
hésitant, cherchant le courage de mettre fin à ses jours.
Ses
atermoiements sont interrompus par une moto arrivant à vive allure qui
s'y empale et le pilote de faire une terrible chute de plusieurs mètres.
Interrompant ses velléités suicidaires pour voler à son secours, Jota
ne va pas découvrir un mais une charmante motarde devenue amnésique dans
sa chute. Notre héros se livre alors à un jeu dangereux, se faire
passer pour le petit ami de la jeune femme (la belle Emma Suarez,
actrice fétiche des trois premiers films de Medem) qu'il renomme Lisa et
avec qui il va cohabiter à sa sortie tout en espérant qu'elle ne
retrouve pas la mémoire et son mensonge.
Medem instaure ainsi un
curieux entre-deux avec l'intimité d'un couple supposé déjà établi mais
avec les charmantes hésitations et le côté suranné de la romance
naissante. Comme dans nombre de ses films (l'exception étant la chambre
exigüe de
Room in Rome) c'est
dans les grands espaces naturels que les personnages devront faire face à
leurs tourments intérieurs. Cela annonce grandement
Lucia et le Sexe où ce camping entouré de paysages superbe est un refuge de l'oubli (alors que dans
Les Amants du Cercle Polaire
ce sera aussi un lieu de l'attente), de l'introspection où l'on peut renaître différent.
Pour
Jota, ce sera les raisons de ce comportement avec un amour déçu raison
de la tentative de suicide d'ouverture et dont il reportera la passion
sur sa belle amnésique. On a ainsi de belles envolées sentimentales en
flashback mais Medem se montre moins subtil que dans ses films futurs
pour instaurer des analogies entre passé et présent (Jota musicien nomme
la fiancée Lisa d'après une chanson de son groupe qu'il dédia à sa
petite amie et le film multiplie les scène de jukebox avec insert sur le
disque, le morceau revenant à intervalle régulier dans la bande-son).
Le plus intéressant réside dans le passé bien plus trouble de Lisa et
l'ambiguïté habilement entretenu par Medem sur son amnésie plus ou moins
consciente mais surtout moyen de fuir ce passé justement. L'art du
récit en puzzle et les quelques fragments d'indices disséminés tout au
long de l'intrigue peuvent laisser deviner certains éléments mais il se
repose avant tout sur ses envolées oniriques (les rêveries éveillées de
Lisa, la scène d'hypnose) et son art du rebondissement inattendus avec
ce fantôme du passé qui surgit de manière surprenante à la fin.
Emma
Suarez, passionnée, sensuelle, charnelle est typique des personnages
féminins et à fleur de peau de Medem. Elle est ici magnifique autant
dans le registre candide et innocent que plus trouble et torride quand
son ancienne personnalité ressurgit progressivement. Le ténébreux Nancho
Novo offre un pendant plus retenu à la volcanique Lisa tout en étant
tout aussi fragile et attachant.
Medem use du même motif pour tisser la
romance entre eux mais aussi le danger, la découverte du passé de chacun
offrant de belles surprises (les réflexes prodigieux de Jota, la scène
où il fait de la moto et pour Lisa ses aptitudes de nageuses) mais aussi
des désagréments avec cette relation reposant sur le mensonge.
A
l'inverse le couple bien établi et voisins de nos héros offre une
lassitude et une résignation montrant tout l'intérêt de cette fausse
redécouverte et vraie romance d'où surgit la sincérité. Mais si c'est ce mensonge qui a lié leur
destin, ce n'est pas de lui que sont nés les sentiments et la conclusion
où les masques tombent évite avec brio tout semblant d'explications
inutiles entre les deux amants qui peuvent enfin s'embrasser librement,
totalement eux même.
Sorti en dvd zone 2 français chez Albarès dans leur Collection Latine
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