Quelque part dans cet immense océan
noir qu'est le cosmos, il existe une île de collines à la terre rouge,
sur laquelle débarque Angel Bengoelxeo, un homme au passé obscur et
souffrant d'un dédoublement de la personnalité. Il est chargé de
désinfecter les vignes par fumigation afin de stopper l'épidémie de
cochenilles qui donne au vin un étrange goût de terre. Il trouvera la
possibilité de résoudre son problème au contact de deux femmes, Mari et
Angela.
Avec ce troisième film, Julio Medem délivre un
nouvel ovni dont il a le secret et où s'affirme avec grâce sa patte dans
une tonalité moins rugueuse que
L'écureuil rouge,
annonçant les réussites plus stylisée à venir. Le film s'ouvre une
voix-off mystique nous expliquant sur un ton exalté les mystères enfouis
dans l'immensité des étoiles et du cosmos, la caméra voguant vers ces
étoiles jusqu'à redescendre vers les nuages puis jusqu'à l'île à la
géographie incertaine où se déroulera l'action puis s'enfonçant dans les
terres viticoles où sévissent les cochenilles.
La voix-off s'humanise
alors pour s'exprimant à travers le visage d'Angel (Carmelo Gomez),
agent agricole venu désinfecter les vignes. Comme souvent chez Medem les
grands espaces naturels sont un terrain de quête spirituelle pour les
personnages et ici Angel devra résoudre son dédoublement de
personnalité. Quelques indices sont distillés tout au long du récit sur
le passé d'Angel, submergé par son esprit en ébullition et qui a déjà
effectué des séjours à l'asile.
La tirade d'ouverture sur
l’infini cosmos figure autant la destinée avec cette histoire affirmant
déjà le gout de Medem pour le récit imprévisible aux multiples
possibilités que la complexité de l'esprit humain. Partant de la
schizophrénie d'Angel, Medem déploie la thématique du double tout au
long du film. Double comme la personnalité mi- ange, mi- démon d'Angel
homme doux et paisible cédant soudain aux pulsions de son mauvais génie.
Le script rend encore plus complexe cette facette à travers les deux
femmes désirées par Angel. Sa part d'ombre est attirée par la douce,
pure et bienveillante Angela (Emma Suarez) tandis que son côté le plus
attachant et sincère penche vers la torride et sulfureuse Mari (Silke).
Ce côté sombre s'apaise avec la douceur d'Angela tandis que l'innocence
trop abstraite de sa facette "gentille" s'humanise avec le désir brûlant
provoqué par la sensuelle Mari. Medem dédouble ainsi la femme typique
de son cinéma (la Paz Vega de
Lucia et le Sexe en étant l'archétype le
plus parfait) avec ces deux personnages à la fois amies/amante,
vulnérable/protectrice, innocente et dévergondée. Ce n'est qu'au prix
d'un choix impossible qu'Angel résoudra ces problèmes mais Medem se
garde bien de nous orienter vers l'une ou l'autre. La sensibilité de
chacun guidera ses attentes pour l'issue mais Medem caractérise ses deux
héroïnes de façon à rendre les deux voies positives et sans jugement
moral.
L'écureuil rouge
montrait encore la poésie visuelle de Medem dans une forme assez abrupte
mais ici le scope majestueux, la photographie ocre de Javier
Aguirresarobe et la musique envoutante de Alberto Iglesias confère une
splendeur de tous les instants à
Tierra.
Les scènes nocturnes sont assez extraordinaires dans ce sens,
totalement irréaliste et évoquant un rêve éveillé où Angle avance en
somnambule tandis que ce paysage désertique donne des allure de planète mars au décor (Angel évoquant un cosmonaute avec sa tenue de travail). Ce questionnement sur le double accompagne aussi la
description de cette nature et de ces habitants.
Cet environnement
apaise Angel mais stimule aussi sa schizophrénie, la foudre frappe au
hasard pour le meilleur et pour le pire (magnifique double mort du
berger en ouverture) et les autochtones s'avèrent tour à tour
bienveillant et hostile (Karra Elejalde terrifiant en Patricio à la
gâchette facile). Le montage en chausse-trappe du début du film annonce cela avec ces scènes amusantes (la première rencontre avec Patricio, la brebis sur la route) s'interrompant avant leur issue pour prendre un ton bien plus trouble une fois vue dans leur entier par la suite.
La conclusion est somptueuse dans son hypnotique
indécision, Angel s'égarant encore plus en pensant enfin choisir avec
Medem rendant les deux femmes incroyablement charnelles dans un registre
totalement différent avec un érotisme moite et élégant. L'esprit ou la
chair, le désir ou l'amour, l'aventure ou la sérénité, Medem opte pour
tout et rien en même temps dans une fin ouverte onirique dont il a le secret.
Sorti en dvd zone 2 espagnol et doté de sous-titres français. Pour ceux qui veulent découvrir Medem d'un bloc et pour pas trop cher il existe un coffret espagnol sous-titré français très abordable réunissant l'intégrale de sa filmographie (sauf "Room in Rome") ce qui peut être intéressant vu que certains film n'existe pas en dvd français ou sont épuisés et hors de prix
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