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dimanche 25 décembre 2022

L'Homme qui voulut être roi - The Man Who Would Be King, John Huston (1975)

Les Indes, fin XIXe. Peachy Carnahan et Daniel Dravot, anciens sergents de l'empire britannique et francs-maçons, se lient d’amitié avec un autre frère, le journaliste Rudyard Kipling. Mi-idéalistes, mi-escrocs et toujours prêts de se fourrer dans un guêpier, les deux compères en mal d’action ont décidé de réaliser l’inimaginable : rejoindre le Kafiristan, où nul autre occidental n’a osé pénétrer depuis Alexandre le Grand, et devenir souverains de cette contrée mythique. Un terrible périple s’annonce, parsemé de pièges et de rites ancestraux…

L’Homme qui voulut être roi est pour John Huston l’aboutissement d’un rêve de 25 ans, laps de temps qui le vit péniblement essayer de financer l’adaptation de la nouvelle éponyme de Rudyard Kipling. Le casting évolua au fil de cette période, avec tout d’abord envisagé un duo Clark Gable/Humphrey Bogart empêché par le décès prématuré des deux stars, Kirk Douglas et Burt Lancaster, Peter O'Toole et Richard Burton puis même Paul Newman et Robert Redford. Le choix final Sean Connery/Michael Caine est parfait et permet de revenir à un tandem purement britannique, élément important du récit. L’Homme qui voulut être roi est le pinacle de grandes thématiques de Huston comme l’échec, la fatalité et propose des personnages insouciants à l’image du réalisateur, grand baroudeur et aventurier dans le civil.

Le film entretient un rapport captivant entre le profane et le sacré. Peachy (Michael Caine) et Daniel (Sean Connery) sont deux canailles défiant dogmes et institutions pour s’enrichir. Chaque étape de leur vie, de leurs péripéties, semble être la fuite en avant d’une condition dont les possibilités se restreignent. On constate vite que les deux individus sont des lads ayant quitté la morne Angleterre et ses clivages sociaux (le dialogue où Peachy dit qu’en cas de retour au pays ils finiraient ouvreurs de restaurant) pour l’armée, l’exotisme de l’Inde et les possibilités d’évolution en cas de bravoure. Une fois cet ailleurs pacifié et leur service effectué, ce frein social les rattrape et les ramène à leurs menus larcins. Ils doivent donc trouver une nouvelle terre d’aventures, qui sera le Kafiristan qu’ils envisagent de conquérir, s’y enrichir et en devenir souverains. Toute la première partie montre des personnages pas dupes de leur ambition qu’ils assument être pécuniaire mais aussi picaresque.

Huston montre le paradoxe des personnages qui cherchent à surmonter leur condition en reproduisant en terre étrangère une même condescendance sociale, ajouté à un parfum de racisme colonialiste, que celle qui les empêche de rentrer au pays. C’est montré de façon rigolarde dans l’élan de l’aventure, par la verve des dialogues et la truculence des situations (le malheureux passager indien expulsé du train par Michael Caine en début de film) mais plus le récit avance, plus cette contradiction se retourne dramatiquement et ironiquement contre les personnages. Ils rejettent le système de classe anglais tout en étant façonné par l’institution de l’armée où les aptitudes acquises servent leurs méfaits, mais sont paradoxalement fidèle à la fraternité franc-maçonne.

Huston entremêle la symbolique mystique avec son déni manipulateur tout au long de l’histoire, à l’image de ses héros. Accidentellement pris pour la déité Sikander et le descendant d’Alexandre le Grand par les autochtones du Kafiristan, Daniel prouve cette identité en montrant un pendentif franc-maçonnique dont le dessin correspond au symbole laissé dans la cité Sikandergul par le souverain grec plus de 2000 ans auparavant. L’imposture se mélange au sacré et participe à ce flou dans lequel évoluent Danny et Peachy.

John Huston travaille cet aspect par l’imagerie de l’ensemble également. Une relative volonté d’authenticité alterne avec d’autres éléments bien plus fantaisistes, par exemple dans la découverte des mœurs barbares du Kafiristan que notre duo entend bien « civiliser » par les armes et la discipline militaire. Le périple entre l’Inde et cette terre de conquête entre également dans cette dualité entre sacré et profane, rêve et réalité. Les somptueux extérieurs naturels (Glen Canyon aux États-Unis, Chamonix-Mont-Blanc en France, le Maroc) sont plusieurs fois enrichis des magnifiques effets de matte-painting d’Albert Whitlock qui font basculer l’esthétique du film dans une tonalité de conte, ajouté aux coups du sorts improbables (l’avalanche) qui aident nos héros à parvenir à destination. Les impressionnants décors construits par Alexandre Trauner oscillent tout autant entre cette volonté de réalisme (le temple indien) et une veine lorgnant sur la bd, sur le conte des Mille et Une Nuits (la rutilante salle aux trésors).

Tant que Danny et Peachy ne sont pas dupes de ce qu’ils sont, de qu’ils sont venus chercher, cet entre-deux leur est profitable. Dès lors que leur ambition dépasse des objectifs d’enrichissement terre à terre, qu’ils se prendront au jeu et s’imagineront dominants par le divin la simple condition humaine/sociale, tous les signes se retournent contre eux. Huston filme les statuettes antiques dans un dispositif dont l’association d’idées et les cadrages en contre-plongées laissent planer une menace et punition divine et mystique envers les intrus. L’imposture éclate lorsqu’ils cherchent à user de ce statut pour satisfaire des besoins bien humains (Danny cherchant à épouser Roxanne et brisant le contrat "moral" de l'expédition) et rompent ainsi l’équilibre instauré. Car pour un court laps de temps, Danny tel un roi Salomon s’est mû en souverain rendant une justice équitable qui transcendait les intérêts pécuniers et le mépris colonial, cherchait à réellement faire évoluer le quotidien de ses « sujets » en s’étant pris au jeu. 

La chute n’en sera que plus grande mais s’orchestrera avec courage, panache et émotion dans un conclusion poignante. Le tandem Sean Connery/Michael Caine est absolument grandiose d’alchimie rigolarde, au service d’un John Huston au sommet de son art qui redonne ses lettres de noblesse à la grande aventure dans un de ses chefs d’œuvres.

Sorti en bluray français collector chez Wild Side et pour les moins fortuné en bluray zone free et sous-titré français chez Warner

 

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