Le mari de lady Chatterley revient de la guerre blessé et impuissant. Il lui suggère qu'ils pourraient avoir un enfant malgré tout si elle acceptait de faire l'amour avec quelqu'un d'autre. L'idée fait son chemin et lady Chatterley tombe amoureuse de leur garde-chasse.
Laure de Clermont-Tonnerre signe son second long-métrage avec L’Amant de lady Chatterley qui figure aisément parmi les plus belles adaptations du classique de D.H. Lawrence. Plusieurs problématiques s’amorcent pour quiconque tente de s’attaquer à ce monument littéraire. La récente et célébrée version de Pascale Ferran, en ne concentrant son attention que sur le personnage de lady Chatterley, avait simplifié les deux protagonistes masculins et par là même la dimension sociale et spécifiquement anglaise du roman pour un résultat assez terne à la couleur trop « française » - écueil en partie dû au choix d’adapter Lady Chaterley et l’homme des bois, première version plus « soft » écrite par Lawrence. L’autre défaut venant souvent est de ne se concentrer que sur la facette érotique au service d’un spectacle racoleur comme la version de 1981 réalisé par Just Jaeckin qui en fait une sorte de variation de son Emmanuelle avec sa star Sylvia Kristel.
Il y a dans le film de Laure de Clermont-Tonnerre une sorte de conjonction parfaite dans les problématiques sociales, féministes et un certain traitement du sexe à l’écran (le fameux concept de male gaze) qui redonnent toute sa modernité au propos du livre. Plutôt que de démarrer dans la torpeur rurale et l’ennui de lady Chatterley (Emma Corrin), le récit choisit de revenir à la femme avant l’épouse, Constance alors qu’elle épouse fraîchement Clifford Chatterley (Matthew Duckett). Une conversation avec sa sœur Hilda (Faye Marsay) laisse supposer qu’elle a connu au moins une aventure avec un homme avant son mariage. C’est donc une femme qui n’a pas attendu le dogme du mariage pour cet accomplissement, mais que les évènements et la norme vont ramener à une condition frustrante. Revenu blessé et impuissant de guerre, Clifford s’isole du monde dans son manoir et ne décide plus que de vivre sur l’intellect et la vie sociale. S’il se soustrait de l’extérieur social et est de fait privé de « l’intérieur » intime, il doit en être de même pour son épouse. Constance devient une nurse de luxe pour cet époux impotent, se doit d’oublier l’attrait du sexe et (comme un dialogue le soulignera plus tard) doit presque se sentir coupable d’y penser alors que son légitime époux n’est plus en état de la satisfaire. La réalisatrice prend longuement le temps dans son montage, son travail sur les cadrages, de souligner la nature monotone et harassante de ce quotidien, la prison que constitue ce foyer qui n'a de conjugal que le nom. L’handicap physique de Clifford se conjugue à sa déficience émotionnelle, la distance qu’il ne peut franchir de ses pas vers son épouse est aussi celle des sentiments qu’il ne peut exprimer. On devine aisément que même en pleine possession de ses moyens, il aurait réduit Constance à une mère n’ayant d’autres horizons que leurs enfants potentiels. C’est d’ailleurs la seule maigre ouverture égoïste qu’il lui laisse, le tromper avec « un gentleman » afin de donner un héritier aux Chatterley – la bagatelle tant qu’elle reste cachée et sert les ambitions, une idéologie que prolongeront d’autres protagonistes comme la sœur. La force du roman de D.H. Lawrence vient, au-delà de ses audaces érotiques, du tourbillon sensoriel qu’il fait ressentir à sa lecture. L’élan qu’éprouve Constance pour son garde-chasse Oliver Mellors (Jack O'Connell) sera à la fois charnel, intellectuel et spirituel. Laure de Clermont-Tonnerre l’exprime parfaitement lors de leur première rencontre, où Constance observe ce corps nu et viril à la dérobée, avant d’être intriguée par l’esprit qui l’habite en voyant un livre de James Joyce dans ses affaires, puis être charmée par son rapport au monde quand il l’invite à cueillir des fleurs du cottage qui deviendra leur lieu de rendez-vous. Avec ces éléments épars, Oliver apparait comme un être riche de nuances quand Clifford semble tout d’un bloc de paraître, de visions obsolètes du rapport humain. D.H. Lawrence en entremêlant description de la faune et flore avec celle des corps nus de ses personnages déployait un sentiment à la fois dionysiaque, paganiste et naturaliste, transcendant la seule excitation sexuelle. La réalisatrice recherche le même effet par l’image, les compositions de plan et la photo de Benoît Delhomme créant une sorte de sidération rêvée dans certains extérieurs, où la connexion charnelle comme spirituelle du couple est sublimée. C'est le cas lors des scènes où Clifford raccompagne Constance à l'enclos avant le manoir, où la teintes de la photo et la composition de plan exprime sans les mots le passage de la gêne à la complicité amoureuse. Laure de Clermont-Tonnerre en comprenant le propos du livre estompe aussi plusieurs clichés restés à cause d’autres adaptations ratées. Mellors n’est pas l’être primitif n’existant que pour satisfaire la frustration de l’aristocrate esseulée (la grande faille de la version Pascale Ferran), mais un être réfléchi qui a sciemment fuit les injustices du monde dans sa retraite. Ce n’est pas lui qui éveil Constance au désir, mais le désir de cette dernière qui le reconnecte à son humanité. Ces notions sont sources de moults dialogues intérieurs difficiles à rendre dans un film, mais la réalisatrice les distille progressivement de manière subtile. Le premier coït entre les personnages, vif, brutal et spontané, laisse échapper des émotions bien différentes dans le jeu des acteurs. Emma Corrin (qui a d’une manière différente déjà magnifié une héroïne entravée avec Diana Spencer dans la série The Crown) exprime la fièvre de goutter à ce dont elle a si longtemps été privé, quand Jack O'Connell révèle une quasi-stupéfaction de reconnecter ainsi à tout ce qu’il a fui. A l’expression sauvage de ce désir dans un lieu clos et à l’abris des regards succèderont des unions de plus en plus décomplexées, à l’air libre et en pur mimétisme de cette flore devenant instrument/spectateur de leurs jeux amoureux.Le récit met cela en parallèle avec les aspiration purement capitaliste et industrielle de Clifford souhaitant relancer la mine de charbon. Clifford n’est que le prolongement de cette ère de Révolution industrielle où la puissance de la machine et le pouvoir de l’argent prévalent en tout, s’opposant au couple Constance/Oliver qui se déleste peu à peu de tout encombrement matériel - un raisonnement que ne peuvent comprendre que d'autres démunis qui ont perdu l'amour comme Mrs Bolton (Joely Richardson en clin d'oeil de l'adaptation télévisée de 1991 signée Ken Russell où elle jouait Lady Chatterley). Le fauteuil roulant mécanique de Clifford s’engluant sur les sentiers de campagnes fait un cruel écho à la scène où Constance et Oliver danse nus sous la pluie dans cette même nature. L’un est une anomalie cherchant à dompter son environnement, les autres s’y fondent naturellement. Après tout ces éléments passant par l’analogie, la mise en scène et les acteurs arrive dans la dernière partie un beau monologue d’Oliver explicitant sa vision du monde, son idéal. Laure de Clermont-Tonnerre signe une adaptation aussi respectueuse que moderne, dont la force romanesque et sensuelle est palpable à chaque instant et notamment lors d’un sublime épilogue écossais.Disponible sur Netflix
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