La Main droite du diable est le second film américain de Costa-Gavras qui, tout comme dans les célébrés Missing (1982) qui précède et Music Box (1989) qui suivra, associe parfaitement efficacité américaine et l'engagement de ses brûlots politiques européens. Le scénario de Joe Eszterhas s'inspire d'un vrai fait divers qui vit en 1984 Robert Jay Mathews et son association suprémaciste blanche assassiner l'animateur radio Alan Berg - un drame qui inspirera aussi Talk Radio (1988) d'Oliver Stone. On y greffe ici un récit d'infiltration policière en suivant l'agent du FBI Cathy (Debra Winger) plongeant dans une certaine Amérique rurale afin de remonter le fil des meurtriers. L'ouverture du film nous fait découvrir, d'abord de façon abstraite puis brutalement concrète, le pan le plus haineux, raciste et intolérants de la société américaine à travers les auditeurs intervenant à l'antenne de la radio puis lors de la fatale expédition contre l'animateur. L'imagerie americana bucolique, chaleureuse mais désespérément blanche et nostalgique domine les premiers pas de Cathy dans cet environnement, à l'image du charmeur Gary Simmons (Tom Berenger), veuf et père de famille bienveillant. C'est un cadre et un homme auquel il est tenté de céder pour la jeune femme qui va progressivement découvrir l'envers du décor. C'est une petite musique de fond où l'on blague en passant sur les "négros", on se plaint des "arabes" et l'on vocifère contre les "cocos", chaque désagrément financier, sociétal ou simplement quotidien trouvant sa faute chez l'autre, celui qui n'est pas blanc et américain.Debra Winger qui représente encore (notamment grâce à Tendres Passions de James L. Brooks (1983)) une certaine idée candide de l'Amérique voit progressivement se déployer cette facette monstrueuse et intolérante. C'est d'autant plus intéressant d'aborder un récit d'infiltration à travers un protagoniste féminin, accentuant presque naturellement le sentiment de danger et soulevant des questionnements moraux de façon différente. Réellement tombée amoureuse de Simmons, elle découvre après lui avoir cédé la place qu'occupe la femme dans son monde, assignée aux tâches domestiques et supposée suivre aveuglément son idéologie. Cette bascule se ressent dans les scènes d'amour, lorsque dans la première Cathy réfréné l'ardeur de son amant pour un rapport plus tendre, puis dans la seconde où une fois révélé son vrai jour raciste il se montre férocement dominant. Si elle est de ce mauvais côté de la loi le jouet d'une idéologie et d'un état d'esprit, au sein du F.B.I. elle est tout autant soumise à l'ambition et au cynisme de ses supérieurs, dont un (John Heard) avec lequel elle a entretenu une relation amoureuse. Costa-Gavras anticipe et enrichi même une des problématiques à venir de Le Silence des Agneaux de Jonathan Demme (1991) sur la place de la femme dans un environnement d'hommes, les suprémacistes, le F.B.I., et le symbole du pouvoir au sens large formant une même boucle de violence et de duplicité - notamment la dernière partie où la couverture de Cathy est éventée par une fuite interne.C'est néanmoins l'immersion plus que le suspense /thriller qui intéresse Costa-Gavras ici. La plongée dans l'Amérique suprémaciste donne à voir une réalité sidérante où endoctrinement précoce (la fillette Rachel assénant innocemment les horreurs inculquées par son père), culte des armes et complotisme (avec une visionnaire anticipation avant internet de l'informatique comme réseau de communication sous-terrain des extrêmes) forment un tout séparant les patriotes du reste du monde. Le vase-clos des réunions, la ritualisation de la haine par la violence et le discours nous plonge dans un cadre suffocant où l'écœurement de l'héroïne fonctionne à plein. Sous ce regard sans fard, le réalisateur dépasse la caricature par une solide étude de caractère. La discussion de Cathy avec le brave type Shorty (John Mahoney) autour du feu fait glisser les maux ordinaires vers des solutions insoutenables avec le plus grand des naturels. Tom Berenger offre une prestation assez fascinante en fanatique tout à tour avenant et détestable, amoureux sincère dont le dilemme final est réellement touchant malgré ses idéaux abjects. C'est captivant de bout en bout et porté par une conclusion ambiguë qui entérine pleinement la patte de Costa-Gavras dans ce projet.
Sorti en dvd zone 2 français chez Arte
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