Une actrice se rend à
Hiroshima pour tourner un film sur la paix. Elle y rencontre un Japonais qui
devient son amant, mais aussi son confident. Il lui parle de sa vie et lui
répète « Tu n'as rien vu à Hiroshima ». Elle lui parle de son adolescence à
Nevers pendant la Seconde Guerre mondiale, de son amour pour un soldat allemand
et de l'humiliation qu'elle a subie à la Libération lorsqu'elle a été tondue.
Premier vrai film d’Alain Resnais – l’inaugural Ouvert pour cause d'inventaire (1946)
étant perdu – Hiroshima mon amour est une date dans l’histoire du cinéma qui
rentre véritablement dans une nouvelle ère par ses audaces. Le scénario labyrinthique
de Marguerite Duras et les expérimentations narratives et visuelles d’Alain
Resnais donnent ainsi à l’ensemble une forme novatrice et expérimentale qui se
met pourtant au service d’un récit poignant.
Deux corps nus entrelacés, leurs voix masculine/féminine qui
se répondent dans une répétition poétique sur l’horreur d’Hiroshima, et bientôt
celle-ci qui vient s’imposer à notre regard révulsé. Resnais met de la beauté
dans ses visions d’apocalypse avec ces cendres radioactives se reflétant en
fondu enchaîné sur la peau des amants en pleine étreintes et bientôt c’est la
désolation qui s’affiche avec corps calcinés, villes fantômes et corps
malformés par le contact aux radiations. Cette ville d’Hiroshima renferme un
passé douloureux qui va se mettre en parallèle de celui de notre héroïne sans
nom (Emmanuelle Riva), actrice en tournage au Japon et qui va y tomber
amoureuse d’un homme (Eiji Okada).
La relation est montrée au départ comme essentiellement
charnelle mais l’ouverture nous a bien fait comprendre que le reflet d’un passé
douloureux va bientôt les rattraper. La femme affiche un détachement de façade
quand l’homme est réellement bouleversé par cette rencontre. Les amours
interdites (elle est mariée) et impossibles avec un étranger, cette femme en a
connu de terrible quinze ans plus tôt, son traumatisme se mettant en parallèle
de la catastrophe d’Hiroshima arrivée presque simultanément. Encore adolescente
dans sa ville de Nevers, elle est tombée amoureuse d’un soldat allemand. Un
premier amour brutalement interrompu par la mort de ce dernier et les
représailles de la libération où après avoir été tondue elle sombra un temps
dans la folie.
Les mots de Marguerite Duras et les images de Resnais
trouvent une harmonie hypnotique pour dépeindre les tourments d’Emmanuelle
Riva. La musicalité du style de Duras, son art d’explorer les maelstroms de
souvenirs et de pensée intime dans une tonalité flottante est idéalement
transposé par Alain Resnais. Le film est volontairement verbeux et littéraire
dans ses dialogues, mais jamais dans un style abscons, que ce soit par l’interprétation
fébrile et intense d’Emmanuelle Riva ou la mise en scène inspirée d’Alain
Resnais. Cette brume de souvenirs qu’on se refuser à laisser affleurer s’annonce
donc par un montage fonctionnant par association d’idées, par des raccords en
mouvement déroutant (le corps endormi du japonais qui nous ramène à celui
mourant de l’amant allemand) avant que la voix-off de l’héroïne fasse peu à peu
le lien quand elle se confiera au japonais. Même là lorsque cette voix nous
guide, les images du passé vogue plus au fil des pensées d’Emmanuelle Riva avec
des alternances d’images déroutantes où le sensoriel prend le pas sur un fil
narratif classique.
Le cœur de cette femme semblait s’être éteint après ces
premiers émois violemment éteint et, au contact de ce japonais à l’amour
ardent, un désir oublié et violent semble renaître en elle. C’est un plaisir et
une douleur, le bonheur présent ramenant à la perte passé et la forçant à l’aveu.
Hiroshima et Nevers finissent par se confondre dans sa pensée et Resnais joue
de cela par un montage alterné où le glissement d’un mouvement de caméra dans
les ruelles d’Hiroshima peut se poursuivre dans le paysage rural de Nevers dans
la Nièvre. L’animation, les ruelles bondées et les néons d’Hiroshima répondent
à la désolation de la campagne déserte de Nevers. Les chambres d’hôtels, la
maison du japonais théâtre de leurs amours trouvent en miroir les granges
désaffectées et les cabanes délabrées des retrouvailles fiévreuses avec le
soldat allemand. Emmanuelle Riva est absolument bouleversante d’abandon
progressif, au fil de cette remontée de mémoire et du ravivage de sentiments
oubliés.
Elégante, sensuelle et d’une sensibilité à fleur de peau, elle est
troublante de bout en bout et par sa présence incarnée toute la préciosité
possible des dialogues s’estompent complètement. Eiji Okada même si l’on devine
aisément qu’il a appris phonétiquement ses dialogues français se révèle un
grand acteur malgré cette contrainte, amenant une intensité et un désespoir
palpable à son personnage.
L’aura de Marguerite Duras (le dépaysement, les amours
coupables et métissée, l’opposition à son environnement social tout L’Amant est déjà là) se mêle idéalement
à celle d’Alain Resnais dont l’humanisme et la réflexion sur le devoir de
mémoire s’articule parfaitement au romanesque. Le score torturé et envoutant de Georges Delerue y est pour beaucoup également.
Nevers est Hiroshima, Hiroshima
est Nevers, le japonais sera peut-être l'allemand. Les amants répètent le passé et se quittent ou au contraire restent ensemble… Tout cela reste finalement bien incertain dans une œuvre qui nous
interroge par sa forme, son message et les élans sentimentaux de ses
personnages.
Sorti en dvd zone 2 et dans un magnifique bluray restauré chez Tamasa